À l’occasion de la remise du prix Nobel d’économie 2016 à deux économistes, Oliver Hart et Bengt Holmström, pour leurs travaux en théorie des contrats (voir ici pour un descriptif), il est utile de rappeler ce qu’a dit de ce prix Friedrich Hayek lorsqu’il l’a reçu, en même temps que Gunnar Myrdal, en 1974.

 

« Votre Majesté, Votre Altesse Royale, Mesdames et Messieurs,

 

Maintenant que le prix Nobel de science économique a été créé, on ne peut qu’être profondément reconnaissant d’avoir été sélectionné comme l’un de ses bénéficiaires conjoints, et les économistes ont certainement toutes les raisons d’être reconnaissants à la Riksbank suédoise de considérer leur discipline comme digne de ce grand honneur.

 

Pourtant, je dois avouer que si l’on m’avait consulté sur la mise en place d’un prix Nobel d’économie, je l’aurais vivement déconseillé.

 

L’une des raisons était que je craignais qu’un tel prix – et cela vaut pour les activités qui entourent d’autres grandes réalisations scientifiques – accentuent les effets de mode en matière scientifique. Cette crainte a été brillamment réfutée par le comité de sélection qui vient d’attribuer le prix à quelqu’un [Gunnar Myrdal, l’autre récipiendaire du prix] dont les vues sont aussi démodées que les miennes.

 

Je ne me sens pas encore tout autant rassuré sur ma deuxième cause d’appréhension, qui est que le prix Nobel confère à un individu une autorité qu’aucun homme ne devrait posséder s’agissant d’économie.

 

Cela n’a pas d’importance dans les sciences naturelles. Ici, l’influence exercée par un individu est surtout une influence sur ses collègues experts, qui sauront bien le rabaisser à sa taille s’il excède sa compétence.

 

Mais l’influence de l’économiste qui porte le plus est une influence sur les gens ordinaires : les politiciens, les journalistes, les fonctionnaires et le public en général. Il n’y a pas de raison qu’un homme qui a apporté une contribution, même remarquable, à la science économique soit omnicompétent sur tous les problèmes de la société – ce qui est pourtant la façon dont la presse aura tendance à le traiter, et ceci jusqu’au point où il finit lui-même par s’en persuader. Il en vient même à ressentir comme un devoir public de se prononcer sur des problèmes auxquels il n’a pas consacré d’attention particulière.

 

Je ne suis pas sûr qu’il soit souhaitable de renforcer l’influence de ces quelques économistes choisis par une tel cérémonial et une si visible reconnaissance de leurs réalisations, qui parfois datent d’il y a bien longtemps.

 

J’en suis donc presque à vous suggérer d’exiger de vos lauréats un serment d’humilité, une sorte de serment d’Hippocrate, de ne jamais dépasser dans leurs déclarations publiques les limites de leur compétence.

 

Ou bien, lui remettant son prix, pourriez-vous rappeler au lauréat le sage conseil d’Alfred Marshall, l’un des grands hommes de notre discipline, qui écrivait : « Les chercheurs en sciences sociales doivent craindre l’approbation populaire : le mal est avec eux quand les hommes parlent bien d’eux. »