Autant le dire d’emblée, cette fois-ci l’IASB nous paraît avoir fait un bon travail et s’être conformé à son objectif affiché de prendre en priorité le point de vue des investisseurs, puisque comme l’IASB l’explique, ce sont eux qui courent le plus de risques et qui ont donc un intérêt d’autant plus grand à avoir des normes comptables pertinentes. Si seulement ce principe avait pu être suivi pour la comptabilisation des locations, IFRS 16, dont nous avons eu l’occasion de vous dire tout le mal que nous pensons[1] !

 

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Les esprits grincheux diront toujours que ce projet de l’IASB de réforme de la présentation du compte de résultat (pour l’essentiel) aurait dû être concrétisé bien plus tôt puisque, pour l’essentiel, il rendra obligatoire :

  • la présence du résultat d’exploitation dans la présentation du compte de résultat ;
  • la distinction entre les éléments récurrents et les éléments non récurrents ;
  • la présentation en annexe des charges par nature quand l’entreprise a choisi de présenter ses comptes par fonction.

Il donne pour la première fois une définition du résultat d’exploitation (résultat des opérations non abandonnées avant impôt sur les sociétés, résultats financiers et quote-part des sociétés mises en équivalence).

Heureusement que ce projet avait été identifié comme prioritaire par l’IASB en 2015, car il ne se traduira au mieux dans les comptes des entreprises qu’en 2025. Il n’y a que l’Église catholique qui va plus lentement, mais elle, elle sait qu’elle a l’éternité devant elle ! Ne décourageons toutefois pas les bonnes volontés.

Aussi surprenant que cela puisse paraître à nos lecteurs, les normes IFRS sont très légères, en l’état actuel, sur la présentation du compte de résultat, ne rendant obligatoires que les lignes :

  • chiffre d’affaires ;
  • frais financiers ;
  • quote-part de résultat des entreprises consolidées par mise en équivalence ;
  • impôt sur le résultat ;
  • résultat des activités arrêtées ;
  • et résultat net.

Heureusement pour l’analyste, la quasi-totalité des entreprises vont au-delà de ce minimum et publient un résultat d’exploitation[2], voire un excédent brut d’exploitation.

Le projet de l’IASB, actuellement en fin de phase de consultation publique et qui peut donc encore évoluer, prévoit la présence obligatoire du résultat d’exploitation et la ventilation de toutes les charges et les produits entre exploitation, investissement, financement et quote-part de résultat des sociétés mises en équivalence. L’investissement regroupera les produits et charges des actifs financiers hors ceux de trésorerie, les résultats des sociétés mises en équivalence mais considérées comme non intégrées à l’activité du groupe, ainsi par exemple les résultats de la participation dans Suez chez Engie, et les résultats des immeubles de placement pour les quelques entreprises qui en disposent. Les éléments financiers comprendront sans surprise les produits financiers de la trésorerie active, les frais financiers sur les emprunts bancaires et financiers et les charges de désactualisation des provisions (principalement les provisions pour retraites). L’IASB apporte des correctifs utiles, comme la fin de l’option d’inscription parmi les charges d’exploitation des effets de la désactualisation des provisions qui devront rejoindre le résultat financier. Dans l’autre sens, les résultats sur couvertures de change devront se rattacher au résultat d’exploitation. Ce qui n’est que du bon sens.

On devrait ainsi avoir un compte de résultat avec plusieurs agrégats : le résultat d’exploitation, le résultat d’exploitation après quote-part des sociétés mises en équivalence et intégrées aux métiers du groupe, le résultat avant coût du financement net et impôt sur les sociétés, puis le résultat avant impôt, avant de boucler sur le résultat net.

Les éléments non récurrents seront toujours noyés dans le résultat d’exploitation, mais une note en annexe les détaillera, permettant normalement à l’analyste de faire son travail et d’éliminer de la capacité bénéficiaire de l’entreprise ce qu’il estime qui n’a pas à y figurer. On regrettera néanmoins que l’IASB ne revienne pas à son point de départ où figuraient sur une ligne isolée du compte de résultat ces éléments non récurrents, comme il le requiert pour le résultat des activités arrêtées, autre élément du résultat non récurrent.

Beaucoup plus audacieux est d’imposer aux entreprises présentant leurs comptes de résultat par fonction de donner une décomposition des charges d’exploitation par nature en annexe des comptes. Un certain nombre le font déjà, mais pas toutes, et souvent que pour une partie de leurs coûts d’exploitation. Avouons que les émetteurs se moquent un peu du monde lorsqu’ils présentent un compte de résultat avec une ligne « coût des ventes » qui fait 85 % de ventes (Airbus en 2019) ou 95 % (ArcelorMittal en 2019) sans en donner la décomposition, rendant vaine toute analyse du compte de résultat.

Nous espérons que l’IASB maintienne cette disposition à l’issue du processus de consultation publique où les opposants risquent d’être véhéments sur le thème du coût que représente une telle disposition pour eux.

Dans la même veine, l’IASB confirme l’interdiction du format à mi-chemin entre le compte de résultat par nature et le compte de résultat par fonction qui était apparu il y a quelques années. Il présente le compte de résultat par fonction, mais en isolant sur une ligne à part la dotation aux amortissements, coût retiré donc des coûts des fonctions. Cette présentation s’est probablement développée pour permettre aux utilisateurs de pouvoir calculer aisément l’EBE sans avoir à consulter les notes d’annexe ou le tableau de flux. Elle est particulièrement fréquente aux États-Unis où 11 des 30 plus grosses capitalisations boursières l’ont adoptée[3]. Mais les États-Unis n’ont pas substitué les IFRS à leurs normes locales, et ne sont donc pas concernés par ce projet.

Si dans ce projet, l’IASB définit exhaustivement les agrégats qui doivent apparaître dans le compte de résultat, des agrégats alternatifs, comme l’EBE, pourront apparaître dans une note annexe avec une réconciliation avec des agrégats autorisés.

On pourra regretter que l’IASB ne soit pas allé plus loin en donnant une définition de l’EBE afin d’harmoniser les pratiques et de faire disparaître des définitions baroques et obsolètes de l’EBE, comme celle qu’en donne encore le Plan comptable général français, ou celles concoctées par telle ou telle entreprise, souvent pour embellir sa réalité du moment. Depuis longtemps, nous utilisons, pour notre part, la différence entre tous les produits et toutes les charges d’exploitation qui tôt ou tard se traduiront par une entrée de trésorerie ou un débours de trésorerie, qui nous paraît avoir l’avantage de la clarté conceptuelle et de de la simplicité calculatoire. L’EBE correspond ainsi à la somme du résultat d’exploitation plus des dotations aux amortissements[4] . Une plus grande audace aurait été d’imposer la présence de l’EBE dans les agrégats obligatoires du compte de résultat, en tenant compte du fait que l’EBE est devenu souvent central dans les raisonnements financiers. Mais cela aurait probablement signifié la mort de la présentation du compte de résultat par fonction, qui demeure le choix de la majorité des entreprises publiant leurs comptes en normes IFRS.

De la même façon, on pourra regretter que l’IASB ne soit nulle part sur le terrain de la prise en compte des effets de la transition énergétique dans la comptabilité des entreprises. Imposer, par exemple, de faire apparaître dans le compte de résultat le coût de l’empreinte carbone de l’entreprise, estimé comme le produit du prix des crédits carbone fois le nombre de tonnes émises dans l’année, rendrait apparent le coût des externalités que l’entreprise fait subir du fait de son activité à la collectivité. Et les sommes en question ne sont pas négligeables. Danone les a chiffrées à 952 M€ en 2019, soit 36 % de son résultat courant[5]. Partant du principe que l’on ne gère pas ce que l’on ne mesure pas, une telle disposition ferait prendre conscience de l’ampleur de la tâche, et permettrait probablement aux investisseurs de mieux allouer le capital en fonction des efforts des entreprises en ce domaine.

 

Lire aussi : Mettre les engagements carbone dans les bilans d’entreprise

 

Certes, on est dans un domaine encore embryonnaire, et l’exemple de Danone est pionnier. Certes, il s’agit d’un coût théorique, au moins pour l’instant, tant qu’il n’y a pas de fiscalité carbone. Mais l’IASB n’a-t-elle pas imposé aux entreprises, au sortir de l’éclatement de la bulle TMT, la comptabilisation d’une charge, fictive, des coûts des stock-options auxquelles elles avaient beaucoup recouru[6] ? La transition énergétique est un enjeu sans commune mesure qui mériterait bien, nous semble-t-il, que l’IASB s’y penche avec urgence.

[1] Voir La Lettre Vernimmen.net n° 166 de mars 2019.

[2] Nous n’avons pas le souvenir d’avoir vu une entreprise non financière qui s’abstenait de publier en normes IFRS son résultat d’exploitation.

[3] Pour plus de détails sur ce point, voir la section suivante où nous donnons des statistiques d’adoption de cette pratique par pays, extraites du chapitre 3 du Vernimmen 2021.

[4] Pour plus de détails, voir le chapitre 10 du Vernimmen 2021.

[5] Voir la première partie de l’avant-propos du Vernimmen 2021.

[6] Voir La Lettre Vernimmen.net n°11 de juin 2002.

Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°182 de septembre 2020. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.