Le marché des droits d’émission (dit cap-and-trade en anglais ou plafond et échange dans une traduction libre par la rédaction de Vox-Fi) est plus efficace qu’une gestion administrative pour s’attaquer aux problèmes d’externalité, tels que la réduction de la pollution. Pourtant, les politiques tant aux États-Unis qu’en Europe ont reculé sur ce sujet au cours des dernières années. Ce billet, repris d’un billet du 20 janvier du site partenaire Vox-EU, fait un parallèle entre l’abandon par le Parti républicain de toute réglementation environnementale fondée sur le marché et leur rejet récent d’Obamacare, la loi sur l’assurance maladie obligatoire. L’auteur montre qu’en pratique, l’alternative à une réglementation fondée sur le marché n’est pas une absence de réglementation – vœu plus ou moins subliminal d’une partie des Républicains –, mais plutôt le retour à une gestion bureaucratique, reposant sur des subventions et des normes inefficaces.

Les marchés peuvent échouer. Mais ils sont en même temps assez souvent la meilleure façon pour l’État de remédier à ces défaillances. Cela a été démontré pour la gestion de la pollution de l’air, des bouchons automobiles, de l’attribution des fréquences hertziennes, de la limitation de l’usage de la cigarette… Et pourtant, les mécanismes de marché sont maintenant en recul.

Les marchés de quotas d’émission – par lesquels les entreprises qui peuvent réduire à peu de frais leurs émissions polluantes aident par le jeu de l’échange celles qui ne le peuvent pas – permettent d’atteindre les objectifs environnementaux à un coût économique relativement faible. Cette proposition ancienne était devenue couramment admise et mise en action. Pourtant, le processus politique aux États-Unis est en train de tuer ces marchés. Aux États-Unis, le marché des droits d’émission de SO2 (dioxyde de soufre), pourtant si efficace, a de fait disparu depuis 2012. En Europe, le système ETS d’échange des quotas de carbone, le plus grand marché de droits au monde, est pratiquement mort en avril 2013. Sur les deux rives de l’Atlantique, l’approche marché pour réguler l’environnement a cédé la place au cours des cinq dernières années à l’approche d’autrefois d’une gestion par directive et contrôle, par laquelle l’État dicte qui doit utiliser telle technologie, et comment, et en quelles quantités, etc.

Le succès du marché des droits d’émission
Le problème n’est pas que le plafond-et-échange ne serait qu’une vue théorique d’économistes dans leur tour d’ivoire sans application au monde réel. Sa performance a dépassé les attentes. Le mécanisme a permis l’élimination du plomb dans les années 1980 plus rapidement que prévu, avec des économies de 250 M$ par an, incomparablement mieux que l’approche administrative. Les émissions de SO2 ont été freinées à un coût beaucoup plus faible que les spécialistes le pensaient avant 1995. Comme prévu, le secteur de l’énergie électrique a choisi de fermer les usines qui entraînaient les coûts les plus forts pour réduire la pollution. La flexibilité du système a également fait naître des développements inattendus – comme la nouvelle technologie de brossage ou la mise au point d’un charbon à faible teneur en soufre.

Le marché des droits d’émission et le Parti républicain
Aux États-Unis, les marchés de droits ont été initialement considérés comme une idée républicaine ou « de droite ». Ils ont été poussés par ceux qui se considéraient comme pro-marché plutôt que pro-régulation. La plupart des organisations environnementales s’y étaient opposées, beaucoup trouvant immoral que les entreprises puissent en payant disposer du droit de polluer. L’utilisation pionnière de l’approche de marché de droits pour éliminer progressivement le plomb de l’essence venait de l’administration Reagan dans les années 1980. Le recours aux marchés de droits pour réduire les émissions de SO2 des centrales électriques dans les années 1990 était une politique de l’administration de George H.W. Bush. Son recours pour réduire le SO2 venait de l’administration de George W. Bush. C’est le sénateur John McCain, candidat républicain à la présidence en 2008, qui proposait d’utiliser le marché des droits pour réduire les émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre.
Pourtant, les républicains semblent faire comme si cette approche n’avait jamais été la leur. Pour tuer la dernière grande loi sur le climat de 2009, ils ont frénétiquement plongés dans une rhétorique anti-régulation. Même chose à propos de la loi sur la sécurité et la propreté énergétique. Il est ironique que les conservateurs aient choisi de diaboliser leur propre création.

Le retrait concerne aussi l’Europe
L’UE a adopté un système d’échange de quotas (ETS) en 2003 comme moyen rentable d’atteindre les engagements qu’elle avait pris au titre du Protocole de Kyoto sur le changement climatique. Il est rapidement devenu le plus grand réseau au monde pour mettre un prix de marché sur les dommages environnementaux. Mais l’ETS a été mis de côté en faveur d’autres types de réglementation. Une directive européenne indique que 20 % de l’énergie doit provenir de sources renouvelables d’ici 2020. Du coup, l’énergie renouvelable a été promue par des normes injonctives et des subventions (en pratique incroyablement élevées). Ces mesures ont contribué à l’effondrement du prix des permis d’émission. Cela encourage la combustion du charbon – la source d’énergie la pire du point de vue du réchauffement climatique et de la pollution locale – une chose qui ne serait pas arrivée si la politique en était restée à l’instrument des prix de marché.

Un parallèle avec l’Obamacare et la politique de la santé
Il est fascinant de comparer la nouvelle attitude des politiques aux États-Unis envers les mécanismes du marché pour réduire la pollution et l’hostilité républicaine à la loi sur les soins abordables, connue sous le nom d’Obamacare. Il s’agit d’un mécanisme de marché au sens où les assureurs de santé et les fournisseurs de soins restent privées et s’affrontent dans la fourniture des soins. La clé de voûte est de faire en sorte que tous les Américains disposent d’une assurance maladie, sous forme d’une obligation individuelle. Comme il a été souligné maintes fois, c’était à l’origine une approche conservatrice, conçue pour fonctionner via le marché. L’alternative est de voir l’État soit fournir directement l’assurance maladie (un système de payeur unique comme au Canada ou ailleurs) ou bien directement les soins de santé eux-mêmes (une « médecine socialisée » comme au Royaume-Uni).

Cette nouvelle approche a été proposée dans les think tanks conservateurs tels que la Fondation du patrimoine. Elle a été adoptée dans le Massachusetts par le gouverneur républicain Mitt Romney. Mais quand le président Obama l’a adoptée, elle était devenue anathème pour les républicains.
Il y a une claire analogie entre l’air et la santé. La défaillance du marché dans le cas de l’environnement vient du fait que la pollution est ce qu’on appelle une « externalité » : ceux qui polluent n’en supportent pas le coût. Dans le cas des soins de santé, il s’agit de ce qu’on appelle une « sélection adverse » : les assureurs ne peuvent pas fournir une assurance, en particulier pour les patients atteints d’affections préexistantes, s’ils ont des raisons de craindre que les clients « sains » se sont déjà retirés du pool de risques.

L’État peut se rater quand il tente de remédier à la défaillance du marché. Dans le cas de l’environnement, la réglementation par gestion administrative avec injonctions et contrôle est inefficace, décourage l’innovation et peut avoir des conséquences inattendues. Par exemple, quand le règlement « New Source Review »  exige des compagnies d’électricité américaines construisant une nouvelle centrale qu’elles adoptent la technologie disposant des normes de contrôles les plus strictes. Elles répondent à cela en gardant leurs usines les plus anciennes et les plus sales le plus longtemps possible. Dans le cas des soins de santé, un monopole de service national de santé peut prévenir l’innovation et de fournir des soins inadéquats avec de longues files d’attente. En général, les meilleures interventions de l’État sont celles qui ciblent la défaillance avec précision – via un système de plafond et échange pour mettre un prix sur la pollution de l’air ou en utilisant l’assurance obligatoire pour limiter la sélection adverse dans l’assurance santé – et laissent les forces du marché faire le reste.

Les conservateurs américains parlent souvent comme si leur vraie alternative était tout simplement : pas de réglementation du tout. Mais voudraient-ils revenir à l’air irrespirable de Los Angeles d’avant 1970 ? Même pour ceux qui le voudraient, la réalité politique montre que l’alternative pratique est un système de recherche de rente absurde dans lequel l’énergie solaire, l’éthanol à base de maïs et les combustibles fossiles reçoivent des subventions ou des interdictions. De manière analogue, certains conservateurs égarés diront que les salles d’urgence doivent écarter les grands malades quand ils n’ont pas d’assurance santé. Mais la vie réelle montre que les hôpitaux pourvoient quand même leurs soins à ceux qui n’ont pas d’assurance. Les frais sont répercutés sur le reste d’entre nous.

 
Cet article a été publié une première fois sur Vox-Fi le 24  janvier 2014.