Malgré toutes ses protestations, David Cameron est sur le point d’assurer la victoire éclatante du camp favorable à la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE. La liste des quatre «exigences» du Premier Ministre, publiée par le Sunday Telegraph, en constitue la plus récente et irréfutable démonstration. En effet, ses demandes sont sans objet ou – au mieux – une tentative maladroite de préempter les résultats d’une future révision des Traités. Les conséquences prévisibles seront une déception de l’électeur anglais, aujourd’hui encore largement indécis, l’incitant à voter pour la sortie (avec ou sans la bénédiction de Cameron).

La première « exigence » est « une demande explicite que le Royaume-Uni soit exonéré de toute démarche visant la création d’une Union plus étroite ». Ceci semble superflu dans la mesure où cela impliquerait des changements du traité pour lesquels l’unanimité est requise, ce qui confère déjà au R.-U. un droit de veto et/ou la possibilité de quitter l’Union en application des règles du traité de Lisbonne.

La seconde « exigence » est « la reconnaissance formelle que l’UE est une Union multidevises ». Or ceci est un « fait » incontestable dans la mesure où l’Eurozone ne s’étend pas à l’ensemble de l’Union. Le R.-U. bénéficiant déjà d’une dérogation à l’obligation d’adhérer à l’UEM, n’a donc nullement besoin d’assurances supplémentaires.

La troisième réclame « l’instauration d’un système de « cartons rouges » qui permettrait à des groupes de Parlements nationaux de bloquer des propositions législatives européennes ou d’annuler des dispositions existantes ». Cela impliquerait une modification des traités. Il apparaît inique de demander aux 27 autres membres de s’engager sur des changements qui, s’ils devaient voir le jour, découleraient nécessairement d’une négociation générale sur l’ensemble de l’architecture institutionnelle de l’Union. Le principe mis en cause ici est la hiérarchie des normes législatives qui, en cas d’acceptation de la proposition anglaise entérinerait la subordination de la loi communautaire aux législations nationales. Cela rendrait le passage de toute législation européenne plus complexe et  l’acquis communautaire menacé d’annulation, augmenterait l’incertitude juridique. Cela inhiberait significativement les décisions d’investissements transfrontaliers.

Quatrièmement, la demande d’une « réorganisation de l’Union de façon à protéger  les intérêts des pays non membres de l’Eurozone » est tout aussi irrecevable dans la mesure où elle imposerait aux membres de l’UEM les mêmes types de limitations de souveraineté que le R.-U. prétend conserver à son propre profit. David Cameron accepterait-il, par exemple, de s’engager à « sauvegarder en cas de Brexit le droit des écossais, gallois et nord-irlandais de se maintenir dans l’UE » ?

Il existe un large consensus sur le fait qu’une profonde réforme de l’UE est nécessaire. Dans la mesure où le referendum se tient comme promis avant la fin 2017, la question posée devrait être reformulée comme suit : «Le R.-U. doit-il rester au sein de l’Union pour participer à la renégociation des traités et protéger ses intérêts ou quitter en abandonnant sa capacité d’influencer les résultats »?  Un vote favorable au maintien au sein de l’UE n’exclurait nullement la possibilité de se retirer à une date ultérieure.

Il est symptomatique que le Premier Ministre semble avoir abandonné ses demandes d’amendements des Directives et Règlements sur l’immigration, les droits sociaux, le droit du travail, la libre circulation des personnes au sein de l’UE, etc., tous sujets à propos desquels d’autres pays membres sont demandeurs. Ces modifications peuvent, en effet, être mises en œuvre au travers de la procédure législative ordinaire et ne devraient pas donner lieu à de nouvelles exonérations ou « opt-outs ».

Sur la base de la formulation des dernières exigences britanniques, l’UE devrait refuser toute négociation préalable. La Commission devrait réorienter le travail de la « task force » qui en est chargée et concentrer ses efforts sur la préparation de la future conférence intergouvernementale où le R.-U. aura tout loisir de présenter ses requêtes.

Le Conseil Européen doit assumer la lourde responsabilité de piloter le processus de réforme de l’UE. S’il autorise des négociations sérieuses avant le vote, il transférera à la seule Grande-Bretagne le droit unilatéral de statuer sur l’avenir de l’Union car le résultat des négociations ne s’imposerait qu’à une seule des deux parties.

Quant au Brexit, il peut déboucher sur deux scénarios :

Soit, il galvanise les autres pays membres (libérés de l’obstruction anglaise) à changer en profondeur la nature de l’Union en lui permettant de déployer tout son potentiel – en ce compris dans les domaines de la défense, des affaires étrangères, et des questions économiques et financières. L’UE procède rapidement, sans prendre en compte les intérêts britanniques, visant en particulier à réaliser « une Union plus étroite », une extension de l’Eurozone à l’ensemble de ses membres et la mise en place d’une hiérarchie des normes législatives subordonnant clairement les pouvoirs locaux et nationaux aux compétences investies au niveau communautaire. Dans ce cas le R.-U. se trouve isolé et devra se préoccuper simultanément de garder la cohésion de la Grande-Bretagne tout en renégociant ses relations avec ses partenaires commerciaux.

Soit, le Brexit crée un précédent dommageable et renforce les partis nationaux-populistes à dominante « eurosceptique » dans les autres Etats-Membres. Réformer l’UE devient alors impossible et la pérennité de la monnaie unique se trouve constamment remise en cause. Alors, la turbulence des marchés ou des évènements politiques – nationaux ou internationaux – débouche sur l’implosion de l’UE et de l’UEM. Le chaos se propagerait à l’ensemble du globe ; il n’épargnerait pas le R.-U. et ses conséquences seraient encore plus désastreuses que celles induites par le Brexit.

En conclusion, David Cameron conduit la Grande-Bretagne – peut être involontairement – sur une voie périlleuse. Le Conseil Européen a l’obligation de prendre en compte l’intérêt de l’ensemble de ses membres et non de s’aplatir devant les visées idiosyncratiques de l’un d’entre eux. La Chancelière Merkel est la seule qui a l’envergure nécessaire pour diriger une coalition capable de tenir tête au Premier Ministre en laissant, comme d’habitude, le Président Hollande s’enferrer dans la recherche d’une synthèse impossible entre deux  visions fondamentalement irréconciliables.

Que Dieu sauve la Reine et l’Union Européenne !
Paul N. Goldschmidt

Directeur, Commission Européenne (e.r.) ; Membre du Comité d’Orientation de l’Institut Thomas More.

 

Web: www.paulngoldschmidt.eu