Avec l’adoption des IFRS, les directeurs financiers ont découvert le concept du résultat global ou résultat étendu (en anglais Other Comprehensive Income). Cette notion présente des difficultés de définition et il est souvent ardu d’en analyser les variations. C’est si vrai que l’IASB en propose une révision dans son Document de discussion qui sera publié en juillet.

 

Cet agrégat s’avère pertinent dans un cadre comptable qui fait appel à des méthodes d’évaluation des actifs et passifs pouvant être fort éloignées du traditionnel coût historique. Il permet de séparer de façon claire le résultat lié aux opérations, et plus largement aux décisions des dirigeants de l’entreprise et les éléments relevant davantage de changements extérieurs à la société. Comme il présente ces derniers éléments après le résultat net, il permet une analyse annuelle de ces éléments exogènes que ne permettrait pas leur seule incorporation à la variation des capitaux propres.

 

Cependant, cet agrégat fait l’objet de nombreuses critiques. La première vise principalement le fait que cette vision d’un résultat global composé de deux parties totalement distinctes ne résiste pas à la réalité, car la notion de « recyclage » crée un passage du résultat de l’une à l’autre. Un second problème tient au fait qu’à l’inverse du résultat net, il n’est pas au centre des analyses de la performance des entreprises. Cette asymétrie dans le niveau d’analyse, ajoutée au concept de recyclage, fait peser le risque d’une mauvaise mesure de la performance de l’entreprise.

 

Une notion encore floue

 

Le cadre conceptuel ne donne pas une définition de ce qui doit composer les charges et les produits d’une entreprise. De même, la norme IAS1 Présentation des États financiers ne définit pas le résultat global, mais liste les éléments qui le composent et indique les différentes manières de le présenter.

 

Alors que le Board était en faveur d’un résultat global unique, les rédacteurs de l’IAS 1 se sont montrés largement en faveur d’une présentation en deux parties. Au final, le Board a décidé ne pas trancher entre ces deux approches d’où cette possibilité de choix.

 

Les éléments composant le résultat net sont pour l’essentiel les charges et produits usuels, c’est-à-dire marge brute, résultat des opérations, financier et sur opérations exceptionnelles et impôt sur les sociétés. Ce résultat net doit distinguer la part groupe de la part des minoritaires.

 

Pour les sociétés ayant choisi de présenter séparément le résultat net du résultat global (option b), il est nécessaire de présenter de façon explicite les différents éléments constituant le résultat global. Ces éléments sont présentés net d’impôt et les reclassifications vers le compte de résultat (i.e. le recyclage) doivent être explicitées.

 

La norme IAS 1 (paragraphe 93) indique que les règles relatives au recyclage sont précisées dans les autres normes, cependant, aucune définition de ce terme ou de ce concept n’est fournie ni dans cette norme ni ailleurs dans le référentiel. Par ailleurs, bien que les paragraphes 95 et 96 de la norme IAS 1 présentent des illustrations d’éléments pouvant faire l’objet de recyclage et d’autres ne le pouvant pas, ce ne sont que des exemples.

 

Quelle est la pratique ?

 

Une étude menée par Company Reporting sur les états financiers publiés par 30 groupes internationaux au titre des exercices clos entre le 31 décembre 2011 et le 30 septembre 2012, révèle que 93 % de ces sociétés ont adopté une présentation du résultat global séparée de celle du résultat net.

Cette quasi-unanimité dans le mode d’utilisation d’une norme est rare. Ce peut être l’indication que cet agrégat est finalement vu comme peu stratégique pour la communication financière et, en conséquence, la solution perçue comme la plus simple est retenue. De fait, en adoptant une présentation séparée du résultat net et du résultat global, il est plus facile de se focaliser sur l’analyse du résultat net.

 

 

À quoi sert ce résultat global ?

 

Aux États-Unis, la notion de Other Comprehensive Income existe dans les normes comptables depuis 1997 et l’IASB s’est inspiré de ce modèle. En France, les normes comptables ne se référent pas à une notion de résultat global et seul le résultat net existe. En revanche, se trouvent dans les capitaux propres des éléments, peu nombreux il est vrai, qui feraient partie du résultat global en IFRS, ainsi des écarts de réévaluation.

 

La nécessité d’avoir recours à un agrégat inclus dans le résultat annuel mais ne faisant pas partie du résultat net résulte de la complexité grandissante des normes comptables et de l’importance grandissante du recours à des informations de marché pour évaluer des actifs et des passifs. Fondamentalement, deux écoles de pensées s’opposent sur la nécessité ou non de présenter un résultat global.

 

Vision 1 : La lisibilité de la performance attribuable au management

 

Elle privilégie le résultat des opérations ou, plus généralement, le résultat des décisions de la direction de l’entreprise. Pour illustrer cette vision, on peut considérer que les écarts actuariels sur les provisions pour engagements de retraites sont davantage dus aux conditions de marché qu’aux décisions des dirigeants de l’entreprise. C’est pourquoi, en suivant cette ligne de pensée, ces écarts actuariels ne devraient pas venir influer (polluer ?) sur la « performance réelle » de l’entreprise.

 

Il faut également reconnaître que ces éléments sont souvent difficiles à interpréter pour des non-spécialistes, à la différence de la marge brute, par exemple, qui semble plus facile à appréhender.

 

Cette opposition entre une performance résultant des décisions des dirigeants et une performance imposée par l’extérieur a une certaine pertinence, au moins à court terme. A contrario, dans une perspective à plus long terme, on pourrait argumenter que le choix d’un plan de retraite X ou Y relève bien d’une décision managériale.

 

Également, cette obligation d’information sur ces éléments contraint les sociétés à renforcer les contrôles autour d’éléments qui peuvent s’avérer d’autant plus risqués, car plus volatils et complexes à analyser pour des non-spécialistes. Des instruments de couverture mal structurés peuvent ainsi s’avérer très coûteux au moment du débouclage.

 

Vision 2 : La simplicité de lecture du résultat est essentielle

 

Cette seconde vision considère que l’utilisateur des états financiers est intéressé par l’ensemble des éléments qui impactent la performance et, de façon plus globale, par la capacité de l’entreprise à rémunérer les capitaux investis. Or, conserver la présentation du résultat en deux parties distinctes rend plus complexe cette analyse, d’autant plus que la frontière entre ces deux niveaux de résultats n’est pas étanche. Deux facteurs expliquent cette non-étanchéité :

– le recyclage dans le résultat net de certaines opérations (voir plus bas) ;

– le fait qu’un jugement sur le risque d’une opération peut conduire à la comptabilisation en résultat net ou en autre élément du résultat global.

 

Par exemple, un instrument de couverture estimé efficace verra son résultat présenté dans les autres éléments du résultat global. En revanche, s’il est réputé non efficace, son résultat sera présenté dans le résultat financier (et donc le résultat net). Ainsi, le jugement sur l’efficacité d’un instrument de couverture neutre sur le résultat global aura un impact sur la présentation du résultat net.

 

En conséquence, ignorer ces autres éléments du résultat global retire un élément informatif important.

 

Un autre argument en faveur d’un résultat global unique est que la séparation conduit à une communication financière concentrée sur le résultat net au détriment des autres éléments du résultat global, vus plutôt comme des éléments résiduels et mécaniques. Une étude (Atliance du Groupe Tuillet) sur les états financiers 2011 des sociétés du CAC 40 indique que si le résultat net cumulé de ces groupes s’est élevé à un peu moins de 81 Md€, les autres éléments du résultat global ont été négatifs de 14 Md€ (soit 17 % sur résultat net). Pourtant, les présentations et analyses des résultats ont porté quasi exclusivement sur le résultat net, à commencer par le résultat par action. On peut penser que la communication sur les résultats 2011 aurait été différente si seul le résultat global avait été présenté (67 Md€).

 

Enfin, on avance souvent comme argument contre ces autres éléments du résultat global qu’ils sont difficiles à analyser pour les dirigeants. Mais cet argument est moins recevable : même s’ils sont régis par des règles de comptabilisation complexes et généralement non-directement liés au cœur de métier des entreprises, ils font bien partie de la performance des entreprises. La crise financière ouverte en 2008 est là pour nous rappeler que ces opérations constituant le résultat global peuvent avoir des impacts très significatifs sur la pérennité des sociétés.

 

Vers une présentation dans la variation des capitaux propres ?

 

Une position de mi-chemin entre ces deux approches serait de présenter ces éléments comme faisant partie de la variation des capitaux propres. Mais, bien que cette solution paraisse intéressante, elle conduit à une plus grande confusion pour l’utilisateur des états financiers, notamment confusion avec les opérations sur le capital (émission de titres, versement de dividendes…) et ces éléments.

 

Ainsi, l’IASB ne souhaite pas revenir sur le concept du résultat global, qui semble une solution préférable à celle qui consiste à porter ces éléments en variation des capitaux propres. Mais, reconnaissant les difficultés de lisibilité et d’interprétation du résultat global, en particulier la notion de recyclage, une révision de ces concepts est proposée dans le Document de discussion sur le cadre conceptuel présenté en juillet 2013. Il est intéressant de noter que si l’IASB avait suivi ses propres recommandations lors de la rédaction de la norme IAS 1 et n’avait pas permis la présentation du résultat global en deux parties, ce débat n’existerait pas.

 

1. Cet article n’engage que son auteur et en aucun cas la position de McGladrey LLP ou du réseau RSM.

 

Cet article est paru dans Finance & Gestion n°319 et 320, en mai et juin 2014.