Le tout récent rapport Draghi secoue l’opinion publique informée. L’Europe cumule les retards, notablement par rapport aux États-Unis et à la Chine. S’agissant des États-Unis, le taux d’investissement, tant privé que public, est au global nettement inférieur, comme le montre le graphique, ci-dessous s’agissant de l’investissement du secteur privé (le retard est du même ordre s’agissant du secteur public).

 

Ce qui est rageant, dit dans des mots mieux choisis le rapport, c’est que ce déficit d’investissement coïncide avec un niveau d’épargne des ménages bien plus élevé que celui des États-Unis. Les ménages de l’UE épargnaient en 2022 un montant de 1.390 Md€ alors que le chiffre n’est là-bas que de 840 Md€ (le taux d’épargne des ménages étatsuniens est un quart de celui observé en UE). C’est cet écart qui explique comptablement l’excédent de la balance courante en Europe alors qu’il y a un fort déficit aux États-Unis, élément de querelle que va reprendre l’Administration Trump qui se met en place.

Et pourtant, malgré leur épargne plus élevée, les ménages de l’UE ont une richesse nettement inférieure à celle de leurs homologues américains, en grande partie à cause des rendements plus faibles qu’ils reçoivent du système financier sur leurs avoirs. Entre 2009 et 2023, la richesse nette des ménages a augmenté de 151 % aux États-Unis, contre seulement 55 % dans la zone euro.

Conclusion : s’il y a sans doute une rentabilité plus faible des actifs économiques en Europe, il y a à coup sûr, dit le rapport, une bien plus faible capacité du système financier européen à transformer l’épargne des ménages en investissements à haut rendement. Si la Commission européenne chiffre entre 750 et 800 Md€ les besoins d’investissement dont nécessite l’UE pour combler l’écart, il faut, outre un financement public, un système financier plus efficace pour orienter l’épargne là où le besoin se fait sentir – et en Europe plutôt qu’en placements financiers hors Europe.

Un des points soulevés par le rapport est la bien plus forte part du financement qui est assuré par le système bancaire plutôt que par les marchés financiers. Le graphique qui suit l’illustre : jusque dans les années 1980, la part des actifs des banques dans le PIB était à peu près équivalente en Europe, au Japon et aux États-Unis. Après cette date, le gros de la croissance du financement de l’économie est passé en Europe par les banques, les marchés financiers restant en arrière.

 

« …une plus grande présence d’investisseurs en capital patients et tolérants au risque. Les banques sont généralement soumises à une lourde réglementation prudentielle et n’ont pas l’expertise nécessaire pour sélectionner et contrôler les entreprises innovantes, en particulier par rapport aux investisseurs providentiels, aux investisseurs en capital-risque et aux fournisseurs de capital-investissement. Les entreprises innovantes à grande échelle ont tendance à avoir des flux de trésorerie très volatils […] et présentent donc une forte probabilité de faillite, même si elles contractent des dettes modestes. En outre, leur garantie est souvent largement intangible, constituée de brevets et du capital humain d’employés hautement qualifiés. Il est donc difficile pour les banques de l’évaluer et de s’en servir comme couverture de leur risque de crédit. Une structure financière qui favorise l’innovation ne devrait donc pas dépendre du financement bancaire. Au minimum, elle devrait être financée au moins en partie par des fonds propres et/ou disposer d’un financement par emprunt à long terme. L’une des raisons pour lesquelles les innovations technologiques transformationnelles ont eu tendance à se produire dans les pays dotés de systèmes financiers fondés sur le marché est que ces systèmes tendent à favoriser les sociétés de capital-risque. »