La gestion du risque est devenue une préoccupation essentielle des directions générales et des conseils d’administration dont la naissance remonte au début des années 2000 avec les obligations législatives ou réglementaires relatives au contrôle interne des sociétés (loi SoX aux Etats-Unis, LSF en France…).
A l’époque, il s’agissait avant tout de contrôler la fiabilité de l’information comptable et financière. Progressivement, cette préoccupation comptable a été élargie pour couvrir la gestion opérationnelle et stratégique. Dans cet esprit, le COSO et le cadre de référence de l’AMF invitent les entreprises à adopter une approche holistique de la gestion des risques.
Même si des progrès importants ont été accomplis (création de Directions des risques, renforcement de l’audit interne, mise en place de systèmes souvent sophistiqués de contrôle interne, élaboration de cartographie des risques…) peu d’entreprises ont mis en place une véritable gestion systématique des risques. Les approches restent très comptables. Il faut dire que l’interprétation des textes récents sur le rôle du comité d’audit ne va pas dans le bon sens.
Contrairement à ce que l’on croit, cette pratique restrictive n’est pas dans l’intérêt de la bonne gouvernance. Une approche des risques par le petit bout de la lorgnette comptable focalise les administrateurs sur leur rôle disciplinaire au détriment de leur rôle de conseil stratégique, ce qui a un impact sur la création de valeur comme le soutient une étude récenteThe cost of intense board monitoring » ). Pour éviter cette situation contre-productive et frustrante, il faut revisiter l’approche de la gestion des risques par le conseil et la replacer dans un contexte plus dynamique et stratégique en focalisant les administrateurs sur le « risque actionnarial ».
On peut définir ce risque comme l’éventualité d’un décrochage important, brutal et inattendu du cours de Bourse d’une entreprise cotée. Curieusement, ce risque est totalement absent des approches classiques d’Enterprise-wide Risk Management (ERM).
Certes, la valeur actionnariale n’est pas absente des référentiels professionnels. Elle constitue même un objectif suprême : « La gestion des risques permet d’identifier et d’analyser les principales menaces et opportunités potentielles de la société. Elle vise à anticiper les risques au lieu de les subir, et ainsi à préserver la valeur, les actifs et la réputation de la société » (Cadre de référence de l’AMF).
Mais le cours de Bourse n’est jamais considéré comme un risque en lui-même. Cette conception est une conséquence logique de l’hypothèse généralement acceptée d’efficience des marchés qui veut que la valeur de marché de l’entreprise reflète fidèlement sa valeur fondamentale. En cela, elle est cohérente avec les principes comptables et la philosophie de la juste valeur. Mais la crise récente a démontré la faiblesse du paradigme de l’efficience des marchés : le cours peut être déconnecté de la valeur intrinsèque.
Le risque actionnarial doit être considéré comme un risque autonome car un décrochage important du cours de Bourse n’est pas sans conséquence sur la valeur fondamentale de l’entreprise. Il existe une boucle de rétroaction qui n’est généralement pas perçue par les directions générales.
La chute du cours de Bourse va en effet peser sur la croissance anticipée de l’entreprise : elle réduit les possibilités de financement des opportunités de croissance futures (qui étaient contenues dans l’appréciation de la valeur de marché antérieure à la chute) ; elle démotive les managers rémunérés en fonction des performances actionnariales ; elle déséquilibre la structure financière exprimée en valeur de marché, et dans certains cas, précipite l’entreprise dans une situation de détresse financière (rupture des covenants bancaires) ; en accroissant la vulnérabilité stratégique de l’entreprise, elle peut augmenter la volatilité des flux de liquidités futurs et le coût du capital.
Outre ses impacts négatifs sur les paramètres de la valeur intrinsèque de l’entreprise, un décrochage va entraîner des conséquences potentiellement coûteuses en matière de gouvernance : apparition d’investisseurs activistes, coûts engagés pour se défendre et rétablir sa réputation, relations avec le marché plus compliquées, survenance de désaccords au sein du conseil sur la conduite à tenir en cas d’offre hostile sur le capital, distraction du management au détriment de la gestion opérationnelle, etc.
Le risque actionnarial n’est pas seulement majeur. Il est également fréquent. Sa probabilité d’occurrence est sous-estimée par les directions générales. Une étude réalisée par Ernst & Young et Oxford Metrica en 2002 sur les 1 000 plus grandes entreprises mondiales a montré que, entre 1996 et 2001, 40 % d’entre elles ont connu au moins un décrochage de plus de 30 % par rapport au marché sur une période de 20 jours de Bourse. On trouve un ordre de grandeur similaire sur le marché français : au cours des 3 dernières années (2008-2010), 45 % des 300 plus grandes entreprises françaises ont connu une chute de leurs cours par rapport à l’indice de plus de 20 % sur une période d’un mois calendaire !
Facteur aggravant, la déconnexion du cours par rapport à l’indice ne se réduit que très lentement au cours du temps. Dans l’étude précitée de Ernst & Young, on s’apercevait qu’au bout d’un an, l’écart ne s’était réduit que de 50 %. Il faut dire que lorsque l’entreprise pâtit de la méfiance du public, il est très difficile de rectifier la tendance. Selon le dernier Edelman Trust Barometer 2011, 57 % des personnes interrogées vont croire une information négative entendue une ou deux fois à propos d’une entreprise dont elles se méfient. 15 % seulement croiront une information positive à l’égard de cette même entreprise. Ces chiffres contrastent avec les résultats obtenus pour une entreprise en laquelle elles ont confiance : 25 % vont croire une information négative et 51 % une information positive.
Compte tenu de sa fréquence et de ses conséquences, les entreprises ne peuvent plus négliger le risque actionnarial.