Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à l’Université de Cergy-Pontoise.

 

Comme toute relation contractuelle de long terme, un contrat de prêt se caractérise généralement par des asymétries d’information. À conditions équivalentes, les prêteurs et les emprunteurs préfèrent contracter avec des contreparties qu’ils connaissent. Cette idée est bien connue et a été souvent testée. L’article que nous présentons ce mois[1] va cependant plus loin, en proposant notamment de distinguer relations personnelles et relations institutionnelles, et en faisant apparaître des effets économiques très significatifs de ces relations sur le financement et l’investissement.

Nous avions présenté dans cette chronique il y a quelques années, sous le titre « Le crédit entre amis », un article sur ce même thème[2]. L’article montrait que l’existence d’un lien interpersonnel ancien entre un cadre de la banque et un cadre de l’entreprise permettait d’obtenir un crédit dans des conditions plus avantageuses. Mais l’approche était différente : les relations personnelles anciennes prises en compte étaient celles de camarades de promotion ou d’anciens collègues. L’article d’aujourd’hui mesure l’intensité de la relation personnelle par l’existence de précédents contrats de prêts entre le dirigeant d’entreprise (CEO ou CFO) et la banque. L’auteur propose un indice prenant en compte à la fois la durée, la fréquence et le caractère récent de ces précédents contrats. Ainsi, ce n’est pas l’amitié supposée entre les contractants qui est mise en avant, mais leur passé de co-contractants justifiant une réelle diminution des asymétries d’information. Des « relations personnelles de crédit », pour reprendre le titre de l’article.

Pour mesurer l’effet de ces relations sur les contrats de crédit, l’auteur s’est focalisé sur le turnover des dirigeants d’entreprise lié aux départs en retraite et aux décès. L’idée est de capter des événements vraisemblablement exogènes à la relation de crédit, pour établir une causalité entre relations personnelles et conditions de crédit. Les effets mesurés sont très significatifs. Sur l’échantillon analysé (issu d’entreprises du S&P 500 entre 1994 et 2012), l’entreprise emprunte quatre fois plus souvent auprès de banques avec lesquelles le nouveau dirigeant a des relations de crédit intenses. Les montants empruntés sont plus élevés (de 12,5 %) et le coût du crédit est plus faible d’une vingtaine de points de base. Par ailleurs, ces conditions plus favorables ne sont pas compensées par des clauses plus restrictives. La stratégie empirique de l’auteur permet aussi de montrer que la relation personnelle (entre le dirigeant d’entreprise et la banque) a plus d’impact sur le contrat de prêt que la relation purement institutionnelle entre l’entreprise et la banque.

Les effets économiques de ces relations personnelles sont significatifs, en particulier dans les périodes de récession. Durant la crise de 2008-2009, les emprunteurs dont les dirigeants entretiennent des relations de crédit intenses avec les prêteurs ont investi 90 % des montants supplémentaires empruntés (142 millions de dollars sur l’échantillon étudié). Ainsi, l’existence de relations de crédit intenses (c’est-à-dire durables, fréquentes et récentes) entre les dirigeants d’entreprise et les banques semble réduire les contraintes de financement liées aux asymétries d’information, et permettre d’investir davantage dans des projets profitables.

 

[1] S.A. KAROLYI (2017), Personal Lending Relationships, Journal of Finance, vol. 73-1, pages 5 à 49.

[2] Voir Lettre Vernimmen n°108 de juin 2012.

 

Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°160 (juillet 2018). Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.

Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 27 août 2018.