La crise de confiance des marchés contre laquelle luttent désespérément les gouvernements est à la fois un indicateur de la profondeur du mal qui nous affecte et l’une des raisons pour lesquelles nous semblons incapables d’en sortir.

Comme l’a noté l’OCDE dans son rapport Corporate governance and Financial crisis, il est évident que les dysfonctionnements de la gouvernance des institutions financières sont largement responsables de la crise. Ce rapport souligne notamment les conflits d’intérêt dans le processus de fixation des rémunérations des dirigeants, l’incapacité des conseils à exercer correctement leurs responsabilités de contrôle, la démission trop fréquente des investisseurs et enfin, élément particulièrement mis en exergue, les déficiences des système de management des risques et par conséquent de l’information donnée aux investisseurs sur cet aspect critique de la gestion d’une entreprise.

Retrouver la confiance des marchés sera un processus long et difficile. Cela passera par une information plus transparente et pertinente, et de ce point de vue, les entreprises et les conseils d’administration doivent probablement repenser leur communication financière et non financière afin de tenir davantage compte de ce qui compte vraiment pour les actionnaires. A cet égard, le baromètre de la confiance Edelman pour 2010 montre l’évolution des esprits de 2006 à 2010 : la performance financière qui arrivait en 3ème position dans les critères de bonne réputation d’une entreprise passe en 10ème position. C’est la transparence et l’honnêteté qui viennent en première position (avec un taux deux fois plus important que celui attribué à la performance financière).

Mais lorsque l’on parle d’information, on doit évoquer le rôle des auditeurs (commissaires aux comptes en France) qui sont des agents de confiance pour les investisseurs : leur fonction est en effet de certifier que les comptes annuels (ou consolidés) sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé, du patrimoine ainsi que de la situation financière de la société (ou de l’ensemble des sociétés comprises dans la consolidation) à la fin de cet exercice (article L.225-235 du code de commerce).

Malgré cette définition précise, le rôle exact de l’auditeur fait l’objet d’un débat régulier qui redouble d’intensité lors des crises financières ou des grands scandales comptables. Depuis 1974, on évoque régulièrement un « expectation gap » qui est l’écart entre ce que les utilisateurs des comptes attendent de la part de l’auditeur et ce que ce dernier considère qu’il doit faire compte tenu de la définition légale de ses responsabilités et des moyens dont il dispose pour remplir sa mission.
Ce débat sur l’expectation gap recouvre en réalité deux aspects.

Le premier concerne le rôle de l’auditeur et la façon dont il est compris par les utilisateurs de ses travaux. L’un des points les plus délicats concerne l’identification des fraudes. L’investisseur considère que l’auditeur doit les rechercher systématiquement et non pas simplement les dénoncer lorsqu’il en a connaissance. De fait, la réglementation lui impose (au maximum) de porter à la connaissance du comité d’audit les faiblesses significatives du contrôle interne lorsque celles-ci concerne les procédures relatives à l’élaboration et au traitement de l’information comptable et financière.

Le second aspect de l’expectation gap concerne l’adaptation de l’information diffusée aux besoins des investisseurs. Il s’agit d’une question qui est à mon avis beaucoup plus importante. L’information comptable et financière permet-elle d’informer convenablement ses destinataires pour leur permettre de prendre des décisions d’investissement ou de désinvestissement en toute connaissance de cause ? Il est évident que la réponse ne peut pas être positive :

• l’information comptable est de plus en plus abondante. Jamais les rapports annuels ou les documents de référence n’ont été aussi lourds. Or, on sait que trop d’information tue l’information. Certes, la vie économique est complexe et les comptes traduisent nécessairement cette complexité. Mais l’expression doit rester pédagogique. C’est ce qui a conduit la SEC à publier un opuscule « A Plain English Handbook : How to create clear SEC disclosure documents »

• les thèmes développés dans l’information aux actionnaires ne doivent plus être exclusivement comptables et financiers. On a vu précédemment que les attentes s’étaient transformées au cours du temps. Au delà des données sur les aspects sociaux et environnementaux dont la diffusion a été rendue obligatoire par la loi NRE, les investisseurs veulent mieux comprendre le business model de l’entreprise, les principaux risques identifiés et la façon dont ils sont traités, la politique de gestion des actifs de l’entreprise et en particulier les actifs incorporels qui n’apparaissent pas au bilan, … Un certain nombre d’initiatives internationales ont été lancées dans ce domaine afin d’encourager la standardisation et la certification de ces informations non financière. Les lecteurs intéressés sont invités à se reporter aux travaux du GRI (Global Reporting Initiative).

Dans ce cadre, les grands acteurs mondiaux de l’audit sont pleinement conscients de la nécessité de faire évoluer leur rôle. On en veut pour preuve la création du Global Public Policy Symposium (GPPS) qui regroupe les CEO des 6 plus grandes firmes d’audit mondial. Dès 2006, dans un document intitulé « Serving Global Capital Markets and the Global economy: a View from the Ceos of the international audit networks », on pouvait lire :

« Le nouveau modèle devrait se fonder sur la volonté des investisseurs et autres utilisateurs de l’information financière, et l’information produite devait être tournée vers l’avenir, même lorsqu’elle s’appuie sur l’historique. Par exemple, les mesures suivantes sont de nature non-financière, mais semblent permettre d’augurer, à différents niveaux, de la performance future d’une entreprise : l’innovation (mesurée par les brevets déposés), la mesure de la satisfaction clients, le taux de produits ou services récompensés ou au contraire défectueux, et la mesure de la satisfaction des employés (dont le turnover donne une idée), parmi d’autres variables non-financières. »

 

Cette vision conduirait l’auditeur à changer profondément sa manière de travailler et de relater ses travaux à la communauté financière :

« Les investisseurs peuvent difficilement se contenter d’un rendu d’audit binaire conforme / non conforme. Ceux qui utilisent l’information financière pourraient exiger une analyse plus nuancée sur le niveau de conformité d’une entreprise avec un ensemble de normes données, ou sur le conservatisme souvent proportionnel à l’opinion des pairs. Les investisseurs pourraient même souhaiter avoir l’avis des auditeurs sur la santé globale et les perspectives d’ensemble de l’entreprise. »

Il sera donc très intéressant de suivre les travaux du FRC (Financial Reporting Council) qui est le régulateur indépendant chargé de promouvoir les pratiques de bonne gouvernance, de définir les standards de l’information financière et de réguler la profession des auditeurs en Grande Bretagne. Le 28 avril dernier, son CEO Stephen Haddrill a posé très clairement la question de la valeur ajoutée de l’audit et la façon dont elle pourrait être améliorée. Il a indiqué que le FRC publierait ses réflexions d’ici la fin de l’année.

Pour le patron du FRC, quatre questions méritent d’être posées :

1. La responsabilité des auditeurs à l’égard des actionnaires : comment mieux aligner les auditeurs sur les intérêts de ces derniers ?

2. La forme des rapports d’audit afin qu’ils soient plus utiles : « can the auditor say more about how much risk is carried and about the nature of the valuatios : are they central estimates or at the edge of riskiness »?

3. Le contenu des rapports annuel : faut-il être plus détaillé sur le risque et le business model et l’auditeur peut-il apporter plus de confort sur ces éléments?

4. La collaboration des auditeurs avec les autorités de régulation en évitant bien sûr les conflits d’intérêt.

Reste à savoir comment favoriser cette transformation.

Les entreprises sont-elles prêtes à payer davantage pour que leurs auditeurs jouent ce rôle d’agent de confiance sur des questions essentielles pour les investisseurs ? Cela n’est pas évident lorsque l’on voit les comités d’audit chercher à tout prix à réduire les honoraires des firmes d’audit qui sont pourtant les seules à pouvoir les aider à remplir leur fonction de contrôle de manière indépendante.

Les auditeurs sont probablement partagés sur cette évolution. D’un coté, ils aimeraient que leur rôle soit renforcé et surtout mieux reconnu, mais d’un autre coté, ils ont conscience de la révolution culturelle qu’ils devraient lancer. Ce sont généralement des gens prudents et conservateurs. Avides de standards, ils se complaisent trop souvent dans les conclusions types que la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) leur fournit. Leur formation comptable ne les qualifie pas pour analyser la stratégie d’une entreprise ou même sa dynamique financière dans une perspective prospective. Porter un jugement « finement nuancé » pour reprendre la formule du GPPS est un objectif qui paraît encore aujourd’hui assez utopique.