L’application stricte du principe de juste valeur a un caractère pro-cyclique qui conduit à un renforcement des croyances du marché que ce soit à la hausse ou à la baisse. Il semble que cette affirmation soit devenue une évidence et qu’à ce titre on peut voir dans les normes comptables une des causes de la crise financière actuelle. Ce billet cherche à démontrer que les normes comptables internationales ne peuvent pas s‘analyser indépendamment des autres normes qui régissent le comportement des établissements bancaires, et notamment des normes Bâle II qui déterminent les exigences de fonds propres en fonction des risques assumés.

Ces normes prudentielles exigent une adéquation entre les capitaux propres comptables des banques et les crédits ou engagements que ces banques ont consenti. En période de hausse du marché, les capitaux propres augmentent à un rythme plus rapide que celui des seules transactions réalisées puisque la revalorisation des actifs financiers intègre également les perspectives optimistes du marché sur les échéances futures. Les capitaux propres deviennent alors très nettement supérieurs aux exigences prudentielles imposées par les normes bancaires Bâle II.

Dans une logique financière, les actionnaires vont chercher à maximiser la rentabilité des capitaux investis (ROE). Ils vont alors inciter les dirigeants de l’entreprise soit à mettre en œuvre des plans de rachat d‘actions ou de distributions de dividendes pour accroître le ROE et ainsi favoriser une hausse du cours boursier. Cette incitation est renforcée par les plans d’options sur actions dont bénéficient les dirigeants d’entreprises et qui visent à maximiser le cours boursier de l’action, indépendamment du volume des actions en circulation.

L’utilisation des prix du marché résout-elle tous les problèmes ?
Contrairement à ce qui est souvent présenté, la juste valeur n’est pas équivalente au prix du marché. Pour la valorisation des instruments financiers, le prix du marché n’est retenu qu’en présence d’un marché actif.

La question centrale que pose la crise financière est de savoir qui détermine qu’un marché est actif. Ce n’est donc pas le normalisateur comptable qui est en cause mais la cohérence entre une normalisation comptable qui renvoie à des prix de marché et la normalisation de ces marchés. C’est d’ailleurs ce qu’a très bien compris la nouvelle administration américaine en cherchant à réduire les zones de non-surveillance des marchés. Dans le cas des actifs immobiliers titrisés, les marchés n’étaient pas correctement régulés et ils ne répondaient pas aux exigences d’un marché actif. Malheureusement, ceci n’est apparu au grand jour que quand la crise a éclaté.

Comment réduire le risque d’une autre crise financière ?
La crise financière de 2008 a surpris par son ampleur car les normes se sont révélées inopérantes entre elles. Il n’y a pas eu de défaillance formelle d’une norme spécifique mais la crise immobilière américaine a mis en évidence l’incohérence des normes entre elles. En elles-mêmes les normes comptables internationales conduisent à une meilleure représentation de l’image fidèle des comptes des entreprises. Mais, pour y parvenir, ces normes comptables s’appuient sur des normes d’efficience des marchés. A l’opposé, les normes prudentielles bancaires s’appuient sur les normes comptables pour évaluer les capitaux propres et mesurer la valorisation des risques. Et pourtant, il n’existe que peu ou pas d’organe de concertation entre ces différents normalisateurs.

De surcroît, à ce système potentiellement explosif, la focalisation sur les incitations financières des dirigeants d’établissements bancaires et des traders a rajouté le détonateur en incitant chacun des acteurs de ce système à privilégier son intérêt à court terme au détriment d’un intérêt général plus difficile à évaluer.

L’enjeu n’est donc pas de modifier le thermomètre, mais de prévoir une coordination entre les organismes normalisateurs. Concrètement, cette exigence de coordination est complexe à mettre en œuvre car elle suppose une confrontation entre des logiques et des expertises distinctes. Elle est pourtant indispensable et doit se réaliser à un niveau international. Les normes comptables internationales ont réussi à créer un langage commun à différentes cultures. Il importe de le protéger mais aussi de le développer en réintroduisant des éléments davantage tournés vers les autres parties prenantes des entreprises. Pour ne citer que la question des capitaux propres : comment les normes comptables internationales pourraient-elles favoriser l’émergence d’une norme qui permette de protéger les intérêts de toutes les parties prenantes et non seulement ceux des actionnaires ? A travers la notion d’entité (une entreprise existe en tant que telle et n’est pas seulement la propriété de ses actionnaires), il est vraisemblable que la théorie comptable puisse offrir des portes de sortie vers le haut pour réduire les risques de reproduction d’une crise financière semblable à celle que nous avons connue.

Bibliographie
Pigé B. (2008), Gouvernance Contrôle et Audit des Organisations, Economica.
Pigé B. et Paper X. (2009), Normes comptables internationales et gouvernance des entreprises. Le sens des normes IFRS, EMS.