Au moment où l’Allemagne met en place un SMIC à un niveau de 8,50€ de l’heure, où le gouvernement Cameron pense accroître le SMIC britannique de 15%, où Obama veut faire accepter par le Congrès américain le passage du SMIC de 7,25$ à 10,50$, il est bon de s’interroger sur notre SMIC français.

 

Peu de gens en contestent encore l’utilité. Il s’agit d’une protection de base des salariés, dont beaucoup à défaut seraient démunis face à leur employeur parce qu’insuffisamment défendus par la seule règle des contrats ou par l’action collective. On le voit sur l’exemple allemand : quand les conventions collectives sont devenues moins protectrices suite aux réformes conduites par Schröder en 2003, une foule de salariés ont dû se contenter de contrats précaires à 400€, les dits minijobs, remis en question aujourd’hui par le gouvernement de coalition d’Angela Merkel.

 

De plus, le SMIC a des effets d’offre positifs : il pousse vers le marché du travail des gens qui autrement s’en abstiendraient en raison d’une rémunération insuffisante. Et côté entreprises, un salaire plus élevé, parce qu’il renchérit le coût du travail, pousse l’employeur, quand il en a les moyens, vers l’innovation et la hausse de la productivité.

 

Mais on connaît aussi les défauts d’un SMIC « trop » élevé. N’étant pas contractuel, mais imposé par la loi, il colle mal au terrain. Un salaire mensuel brut de 1.430 € est très bas pour celui qui habite la Région parisienne, moins s’il habite le Cantal ou la Lorraine, sans parler de Mayotte ou de la Réunion. De plus, un SMIC « trop » élevé évince du marché du travail les personnes dont la productivité est inférieure au niveau du salaire minimum, en premier lieu les jeunes non qualifiés qui démarrent ou voudraient démarrer dans la vie active.

 

Toute la question est de savoir où placer le « trop ». Le SMIC français est-il dans ce cas ? De multiples travaux ont été réalisés à ce sujet. Tout en reconnaissant ce qu’il y a de choquant à désigner par « trop élevé » le salaire de celui qui ne gagne que 1.430€, la réponse est vraisemblablement positive, en tout cas s’agissant des jeunes et des personnes non qualifiées. Le succès mérité des contrats d’alternance, fortement subventionnés par la puissance publique, montre bien à rebours le levier d’emploi que permettrait un SMIC plus bas pour les jeunes. De même, la réduction systématique des cotisations sociales sur les bas-salaires, qu’on retrouve encore dans le récent CICE, témoigne de la prise de conscience publique que le coût du travail pour les bas salaires pèse sur l’emploi et la compétitivité. La solution française est de subventionner l’entreprise pour qu’elle poursuive sa politique d’embauche des jeunes et des personnes peu qualifiées. Le coût pour les finances publiques dépasse 25 Md€ l’an, ce qui conduit à s’interroger sur le bien-fondé d’une politique qui, au lieu de moduler le salaire dans une relation directe entre le salarié et l’entreprise, fait intervenir massivement le financement public.

 

Il y a enfin et surtout un effet pervers mal identifié par le corps politique, trop éloigné de la vie des entreprises : le SMIC atrophie la politique salariale. Il rend les DRH paresseux, du moins dans les entreprises ayant une proportion importante de main d’œuvre peu qualifiée. Ici, la gestion salariale est désespéramment simple : il suffit d’attendre ce que dira la revalorisation légale annuelle. Peu ou pas de modulation de la rémunération selon la performance ; seulement des augmentations générales. Sachant la force de la « convention » qu’est le SMIC, qui simplifie à l’extrême la négociation salariale à l’embauche, sachant aussi l’effet de cascade d’une hausse de SMIC sur les salaires plus élevés, on hésite avant d’augmenter un salarié peu qualifié au-delà du SMIC. On imagine aisément la motivation d’un salarié qui pendant 20 ans est resté au SMIC et le sera, s’il garde son emploi, pendant 20 ans encore.

 

Nous sommes le pays où la proportion de salariés directement impactés par les variations de SMIC est de très loin la plus forte. Et celui pour lequel l’écart entre salaire médian et SMIC est le plus faible. Lien de cause à effet ?, la France est aussi, d’après les enquêtes paneuropéennes, le pays où la qualité de la relation entre les salariés et l’entreprise, ce qu’on couvre du mot général de « confiance », est parmi les plus faibles.

 

Paresse des DRH, mais paresse également des syndicats qui n’ont au mieux à se mettre sous la dent dans ces entreprises que le niveau de l’augmentation générale. Cela accroît ni leur crédibilité ni leur professionnalisme. Avoir un SMIC plus bas imposerait d’autres formes de défense des salariés face à l’arbitraire de certains employeurs : des contrats d’entreprise, ou des conventions de branche, ou des actions de terrain qui renforceraient le rôle des syndicats et leur crédibilité.

 

On ne baissera pas le SMIC en France. Il sera dur de le moduler selon l’âge et l’expérience au travail. L’échec cuisant du gouvernement Villepin dans sa tentative d’imposer le Contrat Première Embauche pour les jeunes traumatise tout ministre du travail qui voudrait s’y coller.  Il sera dur aussi de le régionaliser, alors qu’on pourrait aisément concevoir qu’à l’instar du Canada, le niveau du SMIC soit fixé au niveau des régions, avec un cadrage de l’État. Il reste donc sur la durée à en freiner l’évolution et faire qu’il s’écarte à nouveau du salaire médian. Le gouvernement Fillon, conscient du problème, l’a fait : il n’y a eu aucun coup de pouce au SMIC entre 2007 et 2012. Mais le même François Fillon, en tant que ministre du travail du gouvernement Raffarin, n’a su répondre au choc de la loi sur les 35 heures que par une hausse très inconsidérée du SMIC horaire, de 18% entre 2002 et 2005, ceci au moment où l’Allemagne prenait les mesures qu’on connaît. Le gouvernement Ayrault, après un coup de pouce symbolique de 0,6%, se contente de l’indexation simple sur l’inflation, et réfléchit à des règles d’indexation moins automatiques.

 

Hélas, ce freinage mettra du temps à réintroduire une souplesse contractuelle. À défaut, cela devient un des enjeux de la baisse programmée des cotisations famille à la charge des employeurs : il faut souhaiter qu’elle donne de l’air aux DRH et aux syndicats pour assouplir la relation salariale en rétrocédant de façon ciblée sur les salaires une partie de la baisse des charges.