Le tonneau des Danaïdes de la dépense sociale
L’Etat et les collectivités territoriales ne sont pas, loin s’en faut, les seuls en cause dans la dérive de la dette publique. Sur les 57 points de PIB prélevés sous forme de dépenses publiques, 33 (22 pour l’ensemble de la zone euro) sont consacrés aux transferts sociaux, les deux principaux postes étant la retraite (14) et la santé (9). La France détient aujourd’hui le record OCDE des dépenses sociales publiques, alors qu’en 1980 nous étions, avec moins de 21 points de PIB, derrière la Suède (27), le Danemark (25) et l’Allemagne (22). Nous avons clairement sacrifié notre souveraineté à un modèle social insoutenable tant par son niveau de dépense que par sa dérive. Le FMI a résumé le mal français dans son dernier rapport annuel : la France « est entravée par des rigidités structurelles » et « 90% des efforts d’assainissement budgétaire proviennent de hausses de recettes fiscales et non de réductions des dépenses ».
Lorsqu’une entreprise est proche de l’état de cessation des paiements, l’une des solutions tentantes, si les créanciers s’y prêtent, est d’allonger la durée des prêts pour diminuer le poids présent de l’amortissement de la dette. C’est ainsi que fonctionne la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Lors de sa création en 1996 par Alain Juppé, elle devait amortir 44,7 Md€ en 13 ans. La CADES existe toujours, sa capacité d’endettement a, depuis, été portée à 234,6 Md€ et sa date ultime de remboursement à 2025…En 16 ans, 216 Md€ de déficits accumulés par la sécurité sociale lui auront été transférés. Il en restait 132 Md€ à amortir au 31 décembre 2012. A cette date, la dette sociale s’établissait, compte tenu de la dette restée à la charge des administrations de la sécurité sociale (ACOSS, UNEDIC, CNAF), à 210 Md€. Ce montant a plus que quadruplé en dix ans et entretient, dixit la Cour des comptes, « une spirale de la dette sociale particulièrement dangereuse ».
Cette dette sociale est injustifiable : la sécurité sociale n’investit pas dans l’avenir, elle ne fait que verser des prestations qui ne bénéficieront que très marginalement aux générations futures. Au-delà de ce premier moratoire de la dette française qu’est la CADES, la retraite à la française s’apparente de plus en plus à une pyramide de Ponzi. La chaîne de Ponzi se définit comme un système dans lequel d’anciens investisseurs (d’anciens cotisants aujourd’hui retraités) ne sont pas rémunérés avec le rendement de leur placement, mais avec les dépôts de nouveaux investisseurs (les cotisants actuels), selon un schéma divergent dans lequel le trop-versé sera comblé par des ressources hypothétiques (surévaluation des taux de croissance et d’emploi futurs). Le doute sur la solvabilité à long terme de notre système de retraite est d’autant plus permis que :
– tout est fait pour que les cotisants n’y comprennent rien : ils devraient au minimum recevoir un état annuel récapitulant leurs dépôts, la valeur des droits accumulés et la différence entre les deux (éventuellement une perte) ;
– les hypothèses démographiques et économiques qui sous-tendent les scénarios du Comité d’Orientation des Retraites ne sont pas réalistes et oublient des risques manifestes (accélération de l’exil des jeunes et des cadres, moindre performance du système d’intégration des immigrés) ;
– le besoin de financement des régimes de retraites, y compris les efforts supplémentaires à réaliser ultérieurement pour faire revenir les régimes concernés à l’équilibre, ne font l’objet d’aucun débat public ;
– les droits à pensions futures des actifs et des inactifs, calculés sur la période d’activité à la fin de chaque année, ne figurent pas au passif du bilan de l’Etat (contrairement aux États-Unis et au Royaume Uni), mais font simplement l’objet d’une estimation hors bilan (1 680 Md€ d’engagements de retraite de l’Etat au 31 décembre 2012, soit 82% du PIB).
Le pessimisme de la connaissance n’empêche pas, bien au contraire, l’optimisme de la volonté. La compétitivité, dont on parle tant, doit aussi être celle de l’Etat-providence. Notre système est à bout de souffle et la collectivité ne peut plus, avec l’organisation actuelle, financer des dépenses sociales forcément appelées à progresser plus vite que le PIB. Il est temps d’engager une réforme en profondeur de nos administrations sociales, de mettre fin à leur complexité, de fusionner les caisses et les 38 régimes obligatoires existants, de s’attaquer aux gaspillages de la sécurité sociale et des mutuelles, de responsabiliser les patients, de faire revenir l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et de rendre notre système de santé et de retraite moins coûteux, plus efficace et plus équitable.
Article paru dans le numéro 1237 d’Option Finance