livre[1].gif
Annuel, le Vernimmen ! Le Millésime 2010, après le millésime 2009, est maintenant dans les librairies ! Il viendra désormais chaque année, comme le Beaujolais nouveau, un peu avant la chute des feuilles (qu’il compense par ses 1176 pages). Tous les utilisateurs de ce manuel s’en félicitent. C’est particulièrement le cas les membres de la DFCG, qui en sont des usagers fidèles, de par leurs responsabilités financières à la tête des entreprises. Le Vernimmen devient un peu plus une institution, lui qui est déjà le manuel dans son domaine le plus lu en Europe.

A la base de son succès, une excellente combinaison de rigueur et de simplicité. Avec, ce qui fait toujours la richesse d’un ouvrage dit de référence, des niveaux de lecture différents. Le débutant peut y commencer son parcours sans trop de problèmes ; le professionnel plus confirmé ou même le prof de finance y trouvent aussi leur substance et prennent plaisir à telle ou telle remarque au détour d’un chapitre. Cela vient probablement du choix initial, dû à Pierre Vernimmen et poursuivi par ses successeurs Pascal Quiry et Yann Le Fur, d’une orientation résolument pratique et tirée de la vie des entreprises (qu’ils connaissent bien en tant que banquiers d’entreprise). Donc le problème pratique d’abord, puis l’environnement institutionnel, juridique ou financier, puis la théorie qui explique tout cela. C’est un bon mélange entre le mieux de la culture de banquiers tournés vers le financement des entreprises (les auteurs ont tous été à Paribas, devenu BNP Paribas) et la qualité pédagogique propre à HEC, où ils ont été ou sont encore enseignants. Excusez du peu.

Pierre Vernimmen avait aussi fixé l’ossature de l’ouvrage, qui se révèle à l’usage solide et capable d’absorber les ajouts et mises à jour continuels que leur apportent Quiry et Le Fur, dans les faits quotidiens et dans les avancées de la théorie. Des chapitres courts et resserrés faisant franchir à chaque fois une marche, suivis d’exercices, de rappels et d’éléments bibliographiques. J’apprécie pour ma part les manuels de finance qui commencent par l’analyse financière et le lien entre la finance et la comptabilité : on sait que si la finance est la musique, la compta en est le solfège ! Tout ce qui concerne l’analyse de la valeur et de sa création est simple et stimulant : eh oui ! un surprofit, une rente est toujours une situation fragile qu’une bonne concurrence viendra toujours menacer. Les socles traditionnels de la théorie financière, ce que les auteurs appellent justement la théorie des marchés à l’équilibre, sont bien expliqués, même si la crise financière présente met un peu à mal certaines de leurs affirmations.

L’autre atout énorme du Vernimmen réside dans sa forme. Il fait partie des très rares manuels (à ma connaissance le seul en sciences humaines et en français) dont on peut dire qu’il est devenu un « espace pédagogique », terme qu’il faut expliquer. A côté du manuel lui-même, il y a bien sûr exercices, graphiques, données et références, ce que donne tout bon manuel. Mais le tout désormais sous forme internet, ce qui permet l’accès en continu, permet de décharger du matériel pédagogique, des graphiques, etc., aide à la fois au praticien et à l’enseignant dans ces domaines. La Lettre de Vernimmen fait le complément par des « brèves » portant sur des sujets concrets de finance ou des thèmes financiers d’actualité. Le blog de la DFCG va essayer d’en profiter. Et il y a maintenant le Vernimmen sous format Internet (gare bientôt aux déchargements illégaux de ce formidable ouvrage !), parce que le support Internet se prête idéalement à la consultation d’un manuel (de par sa portabilité, et ses fonctions de recherche et d’index). Bientôt le Vernimmen sur iPod.

Après toutes ces bonnes paroles, je me permets, moi l’aficionado, de placer quelques unes de mes petites requêtes. D’abord, l’index pourrait être sérieusement amélioré, en distinguant notamment sujets et auteurs. D’autant qu’il n’est pas complet (on cherche inutilement les auteurs Richard, Bellabah, Alt-Mokhtar… pourtant cités dans le corps du texte), malgré ses 17 pages écrites en gros caractères. Ce n’est pas digne d’un éditeur comme Dalloz. Il y a un gros manque sur le credit management et le poste-client. Le crédit client fait quand même près de 700 Md€ en France, presqu’autant que le crédit bancaire et 4 fois le crédit à court terme, et on a vu lors de la crise financière à quel point c’était un canal de propagation des récessions. Des petites remarques sur le contrôle de gestion dans la section sur l’analyse financière de l’entreprise seraient bienvenues, parce que cette discipline est au cœur de la bonne gestion des entreprises. Il y a un manque sur les institutions financières, qui après tout sont aussi des entreprises, et dont on pourrait voir comment elles fonctionnent et comment on les valorise. On comprend d’autant mieux comment fonctionne la demande de crédit d’une entreprise non-financière quand on sait comment fonctionne l’offre de crédit. Dans le domaine théorique, il n’y a pas assez de choses sur la théorie des contrats et des incitations, qui permet pourtant de dépasser la finance des marchés à l’équilibre et de poser des questions très pratiques comme la politique des rémunérations en entreprise, les fameux bonus, les relations clients / fournisseurs, les relations de concurrence, etc. En rester à la théorie des marchés en équilibre, c’est comme si les maths en étaient restés à la géométrie euclidienne : plus confortables, plus faciles à modéliser, mais insuffisants pour décrire la réalité. Cela étant, reconnaissons qu’on est aux confins de la théorie financière utilisable pratiquement, comme c’est le cas avec la finance comportementale. Les auteurs s’en sortent très astucieusement en disant de ces avancées, ce qui n’est pas faux : « Nous restons donc sur notre faim en attendant les applications directes en finance d’entreprise. » A titre personnel, j’aurais mis ailleurs qu’en fin d’ouvrage, au chapitre 52, quasiment comme un appendice, le chapitre sur la gestion des risques dans l’entreprise. En effet, la gestion des risques irrigue toutes les problématiques financières et doit être exposée au fil de tous les chapitres qui précèdent. La mesure du risque en Valeur à Risque doit par exemple figurer au chapitre 18, parce que c’est une mesure du risque alternative à la volatilité. Autre petite demande : le chapitre sur la faillite devrait venir bien avant dans l’ouvrage (il est tout à la fin au chapitre 51), alors qu’il est difficile de comprendre ce qu’est un crédit ou une obligation (par opposition à une action) si on ne voit pas la notion de défaut, immensément délicate et, hélas très actuelle dans la conjoncture présente. On comprend cela si on fait la paléontologie du Vernimmen en remontant à l’époque de ses premières éditions il y a plus de 30 ans : son orientation initiale était très tournée vers le monde des actions, des fonds propres et du contrôle de l’entreprise ;  et moins vers celui des produits de dette, embryonnaire à l’époque où Pierre Vernimmen commençait son enseignement.. Mais l’entreprise aujourd’hui est vue de moins en moins comme l’entreprise des « ses actionnaires » et toujours plus comme une entité en relation avec la communauté de ses bailleurs de fonds, actionnaires et créanciers, sans parler de ses autres parties prenantes, fournisseurs, clients, salariés, etc. Enfin, et toujours pour amplifier la place donnée aux produits de dette, il serait judicieux que la section 3 du chapitre 27, intitulée « les financements assis sur les actifs de l’entreprise », devienne un ou deux chapitres à soi seul, intitulés « les financements structurés », parlant de toutes les façons de cantonner un actif au sein du bilan de l’entreprise, actif financier ou pas, en terme de risque ou de financement. Ce serait l’occasion de parler plus longuement de l’assurance sur les actifs de l’entreprise, par exemple l’assurance crédit. Ces pratiques financières changent fortement le coût du capital et le risque portés par l’entreprise, ce qui militerait pour placer de tels chapitres après ceux qui traitent de la structure financière.

Mais tout cela figurera peut-être dans les prochains millésimes du manuel. En même temps que bien d’autres choses. On applaudit les auteurs de mettre un pied dans la « stratégie d’entreprise » dans le chapitre final, un domaine qui pour moi reste trop souvent de la « finance molle », où arrivent encore à briller les gourous et les beaux parleurs, à partir de concepts souvent un peu fumeux. Il est temps que cette discipline rentre dans les canons de la finance d’entreprise formelle et que des auteurs parlant simple et clair comme Quiry et Le Fur s’en saisissent.

François Meunier