Le viager permet aux personnes âgées habitant un bien immobilier de le rendre liquide en le cédant contre versement d’une rente ou d’un capital, ceci sans en perdre l’usage. C’est un moyen efficace de compléter une retraite, quand on sait qu’en France 72% des personnes de plus de 70 ans sont propriétaires de leur logement.

Pourtant la formule marche mal, moins de 7.000 dossiers par an. On comprend aisément pourquoi : l’investisseur, toujours un particulier, prend sur lui le risque de mortalité du cédant. Mieux vaut ne pas avoir acheté à une nouvelle Jeanne Calment. La demande de biens en viager reste faible.

On imagine une solution financière simple, consistant à mutualiser ce risque et à présenter au vendeur une surface financière rassurante : un fonds pourrait se porter acheteur d’un grand nombre de viagers, et ferait jouer la loi des grands nombres pour neutraliser le risque de mortalité, adossé éventuellement à une assurance vie. Il revendrait les biens dès leur libération par l’occupant. Ce sont des schémas de la sorte que souhaite activement voir émerger la Caisse des dépôts.

Mais cette solution ne lève pas un autre obstacle au produit, cette fois du côté de l’offre : les gens, surtout âgés, ne s’imaginent pas perdre la propriété de leur logement, sous la pression ou non de leurs enfants.

Vient alors une autre approche, plus décentralisée et désormais courante sur le marché hypothécaire américain : le prêt hypothécaire inversé ou reverse mortgage, qui n’occasionne pas de transfert de propriété mais fonctionne sous forme de prêt.

Toute personne de plus de 62 ans, qui n’a ni emprunt ni hypothèque sur sa maison, peut s’en servir pour lever une somme globale en capital (un prêt) ou bien une rente mensuelle, dans les deux cas gagées sur la maison. La somme en question correspond au prix de la maison, moins le portage d’intérêt cumulé sur la durée moyenne de financement (selon la table de mortalité et éventuellement le risque immobilier), moins les coûts et marge d’intermédiation.

Il s’agit bien d’un prêt, mais qui n’a pas besoin d’être remboursé tant que le dernier propriétaire survivant n’a pas déménagé ou décédé. À ce moment, les héritiers ont le choix entre rembourser la somme due ou vendre le bien en récupérant la différence entre la valeur du bien et la somme due à la banque. Dans certains cas, si cette différence est négative, cas où l’emprunteur vit très longtemps ou si le prix du bien chute, ils peuvent se dessaisir du bien en étant quitte du complément. Le prêt est « sans recours » et le risque immobilier est en principe couvert.

Il s’effectue donc la même mutualisation qu’avec un fonds qui achète les droits de propriété, mais cette fois avec des titres de dette et en s’appuyant sur les réseaux bancaires. On est en droit d’être méfiants, sachant que cette innovation vient des États-Unis, qui ont su inventer les subprimes. Mais ce pourrait aussi être un cas de bonne finance, où le système financier joue correctement son rôle d’intermédier le financement et de réduire les risques. Il est la condition pour que ce marché si particulier, qui combine risque vieillesse et risque immobilier, puisse émerger.

Mais tout va trop vite. Il y a aux États-Unis une véritable frénésie sur ce nouveau produit, qui inquiète et oblige à regarder à la loupe les petites lettres des contrats.

D’abord, le financement ne va pas nécessairement au terme de la durée de vie de l’emprunteur. Il peut y avoir contractuellement une obligation de remboursement lorsque la durée de portage implique pour la banque un dépassement de la valeur de la maison. Le risque du prix de l’immobilier est dans ce cas non couvert. Si cela arrive à un âge avancé de la vie de l’emprunteur, il lui est difficile de rembourser l’emprunt. S’il revend à ce moment, la valeur de son bien rembourse à peine l’emprunt.

Par ailleurs, la banque se gorge des frais de dossier et des frais de services pendant la durée du prêt. Enfin, l’emprunteur est tenu d’habiter sa maison (raisonnablement comme dans le viager). S’il la quitte, forcé par exemple d’aller en maison de retraite, il doit rembourser l’emprunt et donc vendre, sans être assuré de la valeur résiduelle après remboursement de la dette.

Au total, donc, un produit qui n’est pas encore abouti et qui doit susciter le regard des autorités de protection des consommateurs. Mais qui indique une voie intéressante pour le financement de la retraite des personnes âgées, si les banques françaises veulent bien la regarder. Un viager sous forme de dette plutôt que de fonds propres, pour dire les choses en termes financiers, est un outil probablement plus efficace.