Le WACC est-il le coût du capital ?
Dans une évaluation fondée sur la méthode DCF, l’objectif premier du Wacc est d’intégrer l’impact positif de la dette sur la valeur des actifs. Or, non seulement l’amplitude de cet impact fait débat, mais en plus il n’existe pas une, mais des formules de calcul du Wacc. Pourquoi ne pas privilégier le coût d’opportunité du capital ? Vox-Fi reprend ici un important article déjà publié par finance&gestion.
La méthode d’évaluation par les flux (DCF – discounted cash flows) est devenue incontournable dans la vie quotidienne des entreprises, que ce soit dans le cadre du choix de projets d’investissement, de la mise en oeuvre des normes IFRS, ou encore de l’acquisition d’entreprises. Cette méthode repose sur deux piliers : les flux de trésorerie prévisionnels et le coût du capital. Si l’estimation des flux de trésorerie fait l’objet d’une attention soutenue de la part des dirigeants, il n’existe pas de mesure objective du coût du capital. Les seuls points de référence utiles qui peuvent être observés indirectement sont le coût des capitaux propres des sociétés cotées et le coût de leur dette. Dans le même temps, l’utilisation du coût moyen pondéré du capital ou Wacc (Weighted Average Cost of Capital), s’est généralisée, si bien que cet outil est devenu pour beaucoup synonyme de “coût du capital”.
À quoi sert le Wacc ?
Pour bien comprendre à quoi sert le Wacc, il est utile de rappeler les différents paramètres qui doivent être intégrés dans toute évaluation par la méthode DCF :
- la valeur temporelle de l’argent ;
- le risque de l’activité évaluée ;
- les économies fiscales sur frais financiers ;
- les coûts implicites de la dette (coûts liés au risque de faillite par exemple) ;
- le degré de liquidité de l’activité évaluée ;
- le degré de diversification du détenteur de l’activité évaluée.
À l’exception de la valeur temporelle de l’argent qui, par définition, est prise en compte dans le taux d’actualisation, tous les autres paramètres peuvent être intégrés soit dans les flux, soit dans le taux, soit encore dans les flux et dans le taux en même temps.
À titre d’illustration, considérons les modalités de prise en compte du risque. Dans la mise en œuvre traditionnelle de la méthode DCF, ce paramètre est présent à la fois dans les flux et dans le taux. En effet, le taux d’actualisation usuel de la méthode DCF n’intègre que le seul risque systématique de l’activité, c’est-à-dire la fraction du risque de l’activité qui reflète le risque de marché et ne peut donc être éliminé par la diversification[1]. L’autre fraction du risque, appelée risque spécifique, est, elle, supposée avoir été intégrée au niveau des flux[2]. Cette approche, qui distingue risque systématique et risque spécifique est certes la plus commune, mais elle n’est pas la seule possible : on peut par exemple inclure la totalité du risque dans les flux (alors qualifiés de “flux équivalents certains”) et les actualiser au taux sans risque.
S’agissant des autres paramètres, la logique est la même : ils peuvent être intégrés dans le taux ou dans les flux, à la discrétion de l’évaluateur. Par exemple, le faible degré de liquidité de l’actif évalué peut être pris en compte en intégrant une prime additionnelle dans le taux ou en appliquant une décote à la somme actualisée des flux.
Face à la multiplicité des combinaisons de mise en oeuvre de la méthode DCF offertes à l’évaluateur, le Wacc apporte, en théorie, une réponse tout à fait réconfortante : c’est un outil simple et commode pour intégrer dans l’évaluation (presque) tous les paramètres évoqués ci-dessus, d’où son succès. En réalité, il s’avère bien souvent simpliste et au bout du compte inapproprié.
Les “couacs” du Wacc
Pour reprendre ce bon mot du professeur Michel Fleuriet, un premier “couac” du Wacc tient aux modalités de prise en compte de l’impact de la structure financière sur la valeur de l’entreprise.
Dans un univers sans impôt et avec une information parfaite, Modigliani et Miller (1958) ont montré que le coût du capital de l’entreprise était indépendant de sa structure financière (c’est-à-dire de la proportion de capitaux propres et de dettes financières dans le financement des actifs). Il correspond simplement au coût des capitaux propres en l’absence de dette, encore appelé “coût d’opportunité du capital”.
Dans une proposition ultérieure (1963), les mêmes auteurs ont montré qu’avec l’existence de l’impôt sur les bénéfices, le coût du capital était inférieur au coût d’opportunité du capital, en raison des économies fiscales générées par les frais financiers. Ils ont montré également que le Wacc peut être calculé de deux manières distinctes :
- directement à partir du coût d’opportunité du capital, en ajustant ce taux à la baisse pour intégrer l’impact des économies fiscales sur frais financiers ;
- indirectement à partir du coût des capitaux propres et du coût de la dette après impôts, en calculant une moyenne pondérée de ces deux taux.
Les deux méthodes de calcul aboutissent heureusement au même résultat. Cependant, la première voie (directe) est bien souvent passée sous silence et seule la seconde voie (indirecte) est passée à la postérité. L’objectif essentiel du Wacc, à savoir l’intégration dans le taux d’actualisation de l’impact positif de la dette sur la valeur des actifs, a ainsi été perdu de vue.
Quel est l’impact de la structure financière sur la valeur des actifs ?
Le débat a tout d’abord porté sur les modalités d’estimation de la subvention fiscale liée à la déductibilité des frais financiers ; en particulier, quel taux retenir pour actualiser les économies fiscales : le coût d’opportunité du capital ? Le coût de la dette ? Le taux sans risque ? À chaque hypothèse correspond une formule distincte de calcul du Wacc[3]. Derrière le concept univoque de Wacc se cache en effet une multiplicité de Wacc et donc, in fine, autant d’estimations de la valeur de l’entité évaluée !
Un autre point du débat concerne la réalité même de l’impact de la structure financière sur la valeur de l’entreprise. Sans nier l’impact positif des économies fiscales sur frais financiers, d’autres facteurs, cette fois négatifs, doivent être pris en compte et sont ignorés dans l’approche traditionnelle du Wacc. Tout d’abord, au niveau de l’investisseur personne physique, le revenu des actions (dividende et gain en capital) bénéficie d’un traitement fiscal privilégié par rapport au revenu de la dette (coupons des obligations et intérêts des dépôts bancaires), ce qui vient contrebalancer la subvention fiscale obtenue au niveau de l’entreprise. Par ailleurs, la dette engendre un certain nombre de coûts plus ou moins implicites : coûts de faillite, coûts d’agence liés à la gestion des conflits d’intérêts, coûts d’opportunité liés aux projets qui ne pourront être mis en œuvre faute de financement disponible (notamment en raison des contraintes ou covenants imposées par les créanciers)[4].
Le fait que ces différents coûts soient difficiles à intégrer dans des modèles théoriques et, plus encore, à mesurer de façon empirique, ne saurait justifier de les ignorer. Bien plus, l’existence et l’ampleur de ces coûts semblent pleinement démontrées par le comportement des entreprises en matière de politique d’endettement. En effet, pour caricaturer, si le seul effet de la dette sur la valeur des actifs correspondait à la subvention fiscale liée à la déductibilité des frais financiers (autrement dit le recours à la dette n’aurait pas de contrepartie négative), les entreprises cotées les plus rentables et donc les mieux à même d’en bénéficier seraient les plus endettées. Or on observe que ce sont précisément ces entreprises qui ont le moins recours à l’endettement. Dès lors, l’existence d’un impact positif de la dette sur la valeur de l’entreprise fait question, ce qui conduit à douter de l’existence même d’un écart entre coût d’opportunité du capital et Wacc, et donc à remettre en cause l’utilité pratique du Wacc !
[1] C’est l’application du fameux Modèle d’évaluation des actifs financiers (Medaf) ou Capital Asset Pricing Model (Capm).
[2] Dans la pratique, on ne dispose généralement que d’un seul jeu de flux de trésorerie (base case ou management case) considéré comme le plus probable. En théorie, il conviendrait d’élaborer plusieurs scénarios probabilisés afin d’obtenir les “flux moyens espérés”, les seuls véritablement cohérents avec le taux d’actualisation utilisé.
[3] À titre d’illustration de la multiplicité des formules possible, lire le cahier de recherche de Fernandez intitulé “The correct value of tax schields. An analysis of 23 theories” !
[4] Une contrepartie des coûts d’agence de la dette, fréquemment citée à propos des LBO, est la discipline imposée aux dirigeants. L’impact positif de ce facteur sur la valeur des actifs est significatif, mais il est habituellement intégré dans les flux via l’amélioration attendue de la rentabilité des actifs (hausse de la marge opérationnelle, rotation accrue des capitaux employés) plutôt que dans un ajustement en baisse du taux d’actualisation.
Cet article a été publié sur Vox-Fi le 4 avril 2014.