Le livre a pour lui une concision de pensée et une justesse de la formule qui en font une lecture attirante. Il fourmille de faits, de remarques et de notations très fines sur les enjeux de crise climatique et sur nos moyens d’action. J’ai applaudi par moment, me suis rétracté à d’autres.

Quelques points ressortent plus fortement :

1 – L’importance de l’action publique pour donner la bonne impulsion technologique. Il cite Bill Janeway, le mythique capital-risqueur de Warburg-Pincus :

« Le premier et plus important des éléments de l’économie de l’innovation est l’existence de sources de financement découplées de toute considération de retour sur investissement » … que Veltz commente ainsi, pour le proposer en modèle :

Le modèle de Janeway s’organise autour d’un triangle : une base d’initiative publique, hors critères de retour sur investissement, à partir d’un État attaché à une mission ; des financements spéculatifs qui explorent, par essais et erreurs, les univers du possible en surfant sur les infrastructures publiques, au prix de bulles successives, gaspilleuses mais nécessaires ; une intégration progressive des nouveautés par les marchés traditionnels. L’État n’est pas là pour compenser les défaillances de marché, mais pour amorcer le processus, en fonction d’objectifs collectifs clairement sociopolitiques, et pour en gérer les conséquences néfastes. Sans lui, le cercle vertueux ne s’enclenche pas. (p. 103)

 

2 – En même temps, un doute sur les solutions technologiques à la crise climatique en raison de l’ « effet-rebond », selon ce mot quelque peu bateau qu’on entend désormais.

L’effet-rebond, c’est le fait qu’une innovation censée économiser une ressource en redouble au contraire la consommation. L’invention du LED est un bon exemple. Il a permis un gain énergétique fantastique de la lumière, mais on éclaire davantage encore, de sorte que la consommation d’énergie s’accroit au total.

C’est cet effet que certains écologistes mettent en avant pour rejeter avec force l’intérêt de tout apport technologique. Car il veut nous faire sortir du piège de la surconsommation énergétique en nous y plongeant la tête un peu plus.

Voici une position extrême, qui contredit un peu le point 1- ci-dessus. Elle me semble avoir le tort de ne pas être posée dynamiquement. En fait, toute véritable innovation est par définition à effet rebond positif. Si on invente le lave-linge, on va laver plus souvent nos vêtements et c’est un peu pour ça qu’on l’invente. Si on invente l’avion, on va utiliser plus souvent l’avion.

Plus encore, si on fait le calcul global, au niveau de l’ensemble de la consommation, on s’aperçoit que celle-ci ne croît guère plus de 1 à 2 % par tête de façon tendancielle, ce qui correspond in fine au gain de productivité de l’économie. Si donc il y a des effets rebond partout, il doit bien y avoir en même temps des effets de substitution, ce qu’on peut appeler des « effets étouffement » partout également. On supprime les ampoules thermiques mais la consommation de tungstène avec. On électrifie la bicyclette (effet rebond sur la consommation électrique) mais au détriment d’autres modes de mobilité.

Maintenant, l’ubiquité du LED, qui enjolive nos appartements, tend aussi à accroître la pollution lumineuse des villes. On note ici que le prix élevé d’un produit est une barrière efficace à l’usage d’un bien et donc aux externalités négatives qui vont avec. La solution n’est pas de rejeter le LED (ce que ne fait pas Veltz, bien sûr, le LED est une meilleure cause que la 5G à ses yeux), mais d’en éviter les abus par des réglementations adaptées (qu’on commence à observer pour l’éclairage urbain).

 

3- La vraie solution est la sobriété nous dit Veltz. Ici, s’ouvrent les intéressants chapitres 3 à 5 qui montrent les voies de transition sociale vers un usage plus sobre des ressources. La route est étroite cependant :

« Le chemin vers la sobriété de masse reste à inventer. La voie coercitive ou celle des rationnements sont socialement inacceptables. À l’inverse, le renvoi du défi sur les comportements individuels et leur degré de vertu  n’est pas suffisant. Nous sommes en présence d’un problème qui touche nos valeurs, mais qui est aussi un problème « technique » d’organisation de nos sociétés. »

Mais ici, davantage que des solutions prêtes à l’emploi, Veltz décrit des tendances qui pourraient ou non aller dans le bon sens : des produits dont la conception intègre l’exigence de sobriété, un élan vers l’économie de services, notamment dans la santé, une réappréciation du « local » en matière de consommation et de chaine de valeurs (dont il souligne toutefois les excès)…

 

4- Un désaveu total des solutions prônées par les économistes. Cela recouvre la taxe carbone à laquelle il consacre quelques pages assez sévères, la finance verte et le green tech, « trois pistes (qui) ont en commun de reposer in fine sur le jeu des marchés (et qui pour cela) plaisent à une majorité d’économistes. » (p. 89)

C’est pour moi, avec sans doute un biais d’économiste, la partie la moins convaincante. La taxe carbone pèche parce qu’elle aura du mal à être globale, laissant la place aux passagers clandestins qui profitent de l’effort des autres (il existe des solutions, notamment l’ajustement à la frontière discutée en ce moment au parlement européen) ; parce qu’elle pèse avant tout sur les bas-revenus (hum ! quelle arme anti-crise climatique ne le fait pas, sachant en tout état de cause que ce sont les bas-revenus qui vont souffrir de façon immensément disproportionnée de la dégradation de la planète) ; parce que manquent les solutions de remplacement (oui, tout se joue sur la durée, d’où une mise en place très progressive) ; parce qu’elle ne fait rien pour sauver les habitats écologiques menacés (en effet, elle n’est qu’un instrument parmi d’autres). La finance verte n’a pour l’instant quasiment fait preuve de rien (mais Veltz donne des exemples en sens inverse) ; et la green tech nous ramène à la question du terreau propice, c’est-à-dire à l’intervention vitale de l’État évoquée au point 1.

Un mot sur le passager clandestin. Dans un monde qui reste brutal, avec des risques géopolitiques croissants, il semble toutefois qu’il y ait une bonne nouvelle que considère insuffisamment Veltz : à des degrés divers certes, nous sommes tous en commun affectés devant la menace climatique. Or, rien de mieux qu’une menace commune pour réunir la « famille ». On le voit dans les films de science-fiction quand débarquent des martiens hostiles, genre La guerre des mondes de Spielberg où tout à coup, Russes, Américains et Chinois (les Européens comptent pour du beurre) se mettent à coopérer. On voit aujourd’hui que le contexte de pré-guerre froide que se font Chine et États-Unis n’empêche pas les avancées conjointes des deux pays, depuis Biden, autour du thème climatique. Un enjeu mondial appelle normalement des réponses mondiales. Le réchauffement climatique a donc aussi ses retombées civilisationnelles, dont on saura peut-être profiter. C’est une bribe d’optimisme à ne pas oublier.