Lecture : Impôts sur le capital, impôts sur les entreprises
Note de lecture sur « Réforme fiscale et retour de la croissance », Michel Didier, Jean-François Ouvrard, Pascale Scapecchi, ed. Economica et COE-Rexecode, 2014.
Le sujet fiscal est central en France. Il fait l’objet du livre rédigé par trois économistes de COE-Rexecode, qui concentrent leur analyse principalement sur la fiscalité portant sur les entreprises et sur le rendement du capital. Comme l’écrit Jean Peyrelevade dans sa préface, « plaise au ciel que ce document soit lu par les décideurs publics ».
Un très gros travail est fait pour décortiquer les impôts qui frappent les entreprises et faire une comparaison entre la France et 4 pays européens qui lui sont comparables, à savoir l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. L’exercice n’est jamais commode, déjà parce que les nomenclatures en matière fiscale ne sont pas homogènes d’un pays à l’autre. Surtout en raison du problème récurrent de l’analyse fiscale : l’agent économique qui acquitte l’impôt ou le prélèvement (par exemple, l’entreprise s’agissant de la cotisation sociale de solidarité des sociétés ou C3S, qui pèse pour 2 Md€ environ) n’est pas forcément celui qui le subit effectivement. Par exemple, l’entreprise peut reporter le coût fiscal de la C3S sur ses clients, ou sur ses fournisseurs, ou sur ses salariés selon la malléabilité des uns et des autres.
L’étude ne règle évidemment pas cette question complexe, mais a le mérite de faire le calibrage précis des impôts qui pèsent, directement en tout cas, sur les coûts de production des entreprises, sans s’engager sur la question de la répercussion de ces impôts sur toute la chaine des coûts et des prix.
La conclusion qui s’impose de cette vue d’ensemble se résume ainsi :
- Le taux de prélèvement obligatoire français est le plus élevé d’Europe, à 46% du PIB en 2013, soit près de 7 points au-dessus du taux allemand et près de 10 points du taux britannique. Ceci, nous le savons bien.
- L’écart n’est pas essentiellement dû aux impôts sur la consommation, dont la TVA est le plus important. Les taux oscillent en 2012 autour de 11% du PIB dans les cinq grands pays examinés, sauf pour l’Espagne à 8,6%.
- Contrairement à une certaine impression diffusée lors de récents débats publics, l’écart ne tient pas non plus essentiellement aux impôts sur le travail (dont pour l’essentiel les cotisations sociales, en tant que prélèvements obligatoires). Ils se situent globalement en 2012 à un niveau autour de 22 et 23% en France, Allemagne et Italie (23,4% pour la France, qui détient le record), moins toutefois au Royaume-Uni et en Espagne. On retrouve là un point mis en évidence par le même Peyrelevade dans un édito du 14 avril des Échos : la perte de compétitivité française tient essentiellement, s’agissant des coûts de production, à la dérive des salaires par rapport à la productivité et non à des charges sociales qui auraient crû abusivement.
- La vraie différence vient des impôts qui portent sur les coûts de production (hors salaires) et sur les rendements du capital. Par exemple, les 7 points d’écart entre le taux de prélèvement français et allemands s’expliquent quasiment uniquement par ces derniers impôts, à raison de 40% de l’écart par les impôts sur la production et 60% par les impôts sur le rendement du capital.
Ce constat ne signifie pas en théorie qu’il faille baisser prioritairement les impôts sur les coûts de production ou sur l’épargne. À nouveau en raison des effets indirects de la fiscalité et évidemment parce que le premier sujet reste celui de réduire la dépense publique, puisque l’autre mode de financement, à savoir l’endettement, n’est plus une option aussi ouverte qu’autrefois. Mais on en a une forte présomption, sachant que les 4 économies de l’échantillon de contrôle sont très proches de l’économie française, fortement imbriquées avec elles, que les taux de TVA n’y sont pas si dissemblables et que trois d’entre elles vivent comme la France sous le régime de la monnaie unique qui contraint fortement la marge de manœuvre économique, pour le meilleur et pour le pire (plutôt pour le meilleur de mon point de vue).
Deux remarques sur les impôts sur le rendement du capital, ceux qui pèsent (facialement à nouveau) sur les investisseurs et détenteurs de capital, essentiellement des ménages. Ces impôts recouvrent les impôts sur le foncier et l’immobilier, ou bien sur le capital financier (droits de propriété et créances sur les entreprises et sur l’État). Ces impôts sont assis sur les revenus de l’épargne et de la propriété, ou bien sur les transactions sur les actifs financiers ou immobiliers, ou enfin directement sur la détention ou la succession des patrimoines. Pour le ménage investisseur final, le rendement net après impôt de sa détention de capital est donc réduit de la part qu’acquittent les entreprises, puis de la part qu’ils acquittent directement. Il faut lire avec attention l’analyse très précieuse que fait l’ouvrage sur le sujet.
Vox-Fi s’est déjà fait largement l’écho, voir ici, de l’erreur de politique économique commise par l’« administration » Hollande, pour parler comme les Américains, consistant à aligner fiscalité de l’épargne et des revenus du travail. Taxer les revenus de l’épargne affecte considérablement le taux d’intérêt net pour l’investisseur et donc modifie l’arbitrage entre consommation et épargne. L’argument conduit à ne pas taxer l’épargne. En même temps, des considérations d’équité, ainsi que le constat que les revenus du capital sont notoirement sous-déclarés, militent pour une taxation non nulle. Les auteurs, à la suite par exemple de Philippe Aghion, conseiller économique de François Hollande lors de la campagne présidentielle, militent pour la solution scandinave : un taux fixe, disons à 30%, pour les revenus de l’épargne (tous les revenus de l’épargne, dont l’assurance vie ? Ils ne le disent pas !). On sait que le candidat Hollande a repoussé cette suggestion simple, à un moment où, le temps d’un meeting, la finance était son véritable adversaire, sans nom et sans visage.
Mais il existe aussi la solution américaine, plus acceptable socialement : un taux marginal croissant, mais par exemple fixé, via une décote, à la moitié du barème de l’impôt sur les personnes physiques, solution qu’avaient un temps retenue les États-Unis. Même chose pour l’impôt sur les plus-values, trop taxées dès lors qu’établies sur un prix historique ne prenant pas en compte l’inflation. Il aurait été utile que les auteurs mènent un pas plus loin la discussion.
Deuxième remarque, les auteurs se trompent clairement sur l’impôt sur le capital. Ils répètent à satiété (pp. 9, 17, 21, 69…) que les impôts assis sur le capital sont équivalents à des impôts sur le revenu du capital, parce qu’in fine, c’est toujours à partir du revenu du capital qu’on paie ces impôts. C’est une incompréhension du mécanisme de ces impôts. L’impôt sur le capital prélève un pourcentage fixe du stock de capital (même si souvent ce taux est croissant). L’impôt sur le revenu du capital prélève un pourcentage fixe (ou croissant) du revenu du capital. Pour prendre un exemple, soit un patrimoine de 100 M€ qui rapporte en brut du 3% une année, du 6% l’autre, soit donc du 4,5% en moyenne. Et soit un impôt de 33% de ce revenu, qui rapporte tantôt 1 M€, tantôt 2 M€. Cet impôt est équivalent en rendement fiscal à une taxe de 1,5% du stock de capital. Mais les effets sont complètement différents. Dans le premier cas, plus le revenu est élevé, plus l’État y gagne. Dans le second, le montant prélevé par l’État est constant. Du point de vue de l’État qui perçoit les revenus, le premier impôt est assimilable à une position d’actionnaire : l’État touche un tiers des profits, comme s’il était actionnaire à 33%. Dans le second, l’État a une position de créancier, qui touche un taux d’intérêt fixe, de 1,5% du capital financé. L’effet incitatif est complétement différent. Supposons en effet que le rendement de 3% soit celui d’un capitaliste négligent ou incompétent ; celui de 6% d’un capitaliste travailleur ou compétent. L’impôt sur le revenu pénalise le compétent qui va acquitter plus d’impôt ; il favorise l’incompétent qui à la limite pourra laisser en jachère son capital et ainsi payer zéro impôt. Par exemple, s’il est l’heureux héritier d’une maison sur l’île de Ré où il passe ses vacances, il sera poussé à louer temporairement son bien si prisé quand il est aiguillonné par un impôt sur le capital ; à le laisser inoccupé si c’est un impôt sur les loyers. Il y a moins de création de valeur dans le second cas. En même temps, un unique impôt sur le capital en remplacement d’un impôt sur le revenu n’est pas une solution : le revenu du capital est très variable, son niveau ne dépend pas uniquement de la compétence et du travail, et un taux fixe à acquitter deviendrait très pénalisant pour les agents économiques en période de basse conjoncture : c’est la simple application du principe de l’effet de levier existant entre la dette et les fonds propres. On le voit aujourd’hui que les taux d’intérêt obligataires sont à des niveaux très bas.
Piketty – bien qu’il commette l’erreur à mon sens de l’alignement fiscal des deux types de revenus, travail et capital – voit bien la question. Il suggère en effet l’instauration (si elle est possible dans l’environnement de compétition fiscale que nous connaissons, un énorme si) d’un impôt général et léger sur le capital. Mais il défend le panachage avec un impôt sur le revenu du capital. Le couplage des deux (j’ajoute à un niveau moindre que sur les revenus du travail) a certaines bonnes vertus de stabilisation et d’incitation.
Les auteurs jettent trop rapidement l’anathème sur ce type d’impôt. Avec au demeurant une dose de contradiction : si en effet l’impôt sur le capital n’est selon eux qu’un impôt sur le revenu, il est indifférent qu’on retienne l’un ou l’autre de ces deux impôts.
Cela écrit, la lecture et la relecture de l’ouvrage restent fortement recommandées.
Auteur : Michel Didier, Jean-François Ouvrard, Pascale Scapecch
Éditions : Economica
broché, 112 pages
Prix : 14 €
ISBN : 978-2-7178-6702-2