Dans son fameux discours du Bourget du 22 janvier 2012, le candidat Hollande avait promis de réformer le système financier n’hésitant pas à affirmer : Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire quel est mon adversaire, c’est le monde de la finance ». Cette bataille n’a jamais été vraiment menée, le monde financier à argué de son rôle dans le financement de l’économie pour faire adopter une législation bancaire de pacotille. La loi du 26 juillet 2013 dite de « séparation et de régulation des activités bancaires » a été une occasion manquée, voire un leurre.

 

Ce livre clair et engagé, co-rédigé par Mathias Thépot, journaliste à La Tribune, Adrien de Tricornot, journaliste au Monde  et Frank Dedieu, rédacteur en chef adjoint de l’Expansion, écrit l’histoire d’un renoncement et d’un reniement. Il montre comment l’appareil d’Etat s’est converti à la défense des intérêts des banques. On entre vite dans le vif du sujet avec cet ouvrage documenté de 250 pages, qui s’ouvre par une introduction à la baïonnette de l’économiste Gaël Giraud, directeur de recherche au CNRS, qui parle de « simulacre de régulation ».

 

Comment a-t-on pu passer du discours ferme de la campagne présidentielle de 2012 à une loi de séparation des activités bancaires vidée de son sens ? Nos politiques avaient pourtant affiché une volonté de moraliser le capitalisme et de faire revenir à la raison la « finance casino ». L’Etat apportant sa garantie implicite à l’ensemble des activités des banques universelles, afin de ne pas provoquer de pertes pour les déposants, il était légitime qu’il se protège en isolant l’activité qui l’intéresse, celle des dépôts garantissant les prêts à l’économie. C’était déjà l’esprit du fameux Glas Stegall Act qui avait imposé cette distinction aux États Unis entre 1932 et 1993. C’est aussi, en plus modéré, l’esprit du rapport rendu en 2012 par le Gouverneur de la Banque de Finlande, Erik Likannen, et du projet présenté récemment par Michel Barnier.

 

C’est cette garantie publique qui a permis le développement explosif des dérivés de crédit, au point d’atteindre des proportions n’ayant plus rien à voir avec l’économie réelle. Il était donc urgent de séparer, et donc de réduire, ces activités spéculatives de marché, véritable épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Rien de tel dans la loi votée le 26 juillet 2013, dont il faudrait retirer le terme de séparation : « C’est une question de transparence du législateur vis-à-vis du citoyen ».

 

Comment en est-on arrivé là ? Face à un lobby bancaire remarquablement organisé et bénéficiant d’un allié puissant en la personne de Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France intervenant à contre-emploi, le gouvernement à laissé une place énorme aux banques dans la dynamique de l’élaboration de la loi. Le président de la république lui-même à rapidement battu en retraite, ne cherchant qu’à ménager les apparences. Le combat, qui s’annonçait rude, n’a pas été livré. Les pressions de l’exécutif, en particulier du ministre de l’économie et des finances et du trésor, sur le parlement a condamné ce dernier à n’être qu’une chambre d’enregistrement des décisions du prince.

 

Les auditions publiques de la commission des finances de l’assemblée nationale montrent des parlementaires dépassés par la technicité des débats sur les activités de tenue de marché effectuées par les banques pour leurs clients et pour leur propre compte,  impossibles à cantonner selon la profession bancaire, sauf à prendre le risque de casser le financement de l’économie. In fine, les banques ne seront contraintes de filialiser qu’une partie infime de leurs activités, au point que seules deux de nos banques systémiques mettront en place une filiale cantonnée. Les 750 milliards d’euros de produits dérivés de BNP Paribas qui alimentent les interconnexions entre les banques, facteurs de fragilisation du système financier, resteront du côté non filialisé.

 

Les banques sont arrivées à leurs fins, allant jusqu’à menacer de ne plus pouvoir placer la dette souveraine française en cas de réforme audacieuse, faisant valoir que ce placement faisait partie des activités de tenue de marchés dont la filialisation était envisagée à l’origine. Un message téléphonique à Karine Berger, rapporteur du projet de loi, la somme de ne pas déposer d’amendement sur la dernière mouture du texte. A la question qu’elle pose avec hardiesse, le président de la fédération bancaire française reconnaît que les activités à cantonner, selon le texte soumis aux parlementaires, représentent 3 à 5% des activités BFI de la Société Générale, lesquelles ne représentent elles -mêmes que 15% des revenus de la Banque.

 

Autant dire que plus de 99% des activités bancaires ne sont pas concernées par la filialisation obligatoire. La messe est dite, la montagne a accouché d’une souris. Comment donner tort à nos auteurs qui parlent d' »opportunité historique gaspillée », sauf à considérer qu’un texte européen finira bien par nous contraindre d’aller plus loin dans la séparation des activités bancaires.

 

Auteur : Adrien de Tricornot, Mathias Thépot, Franck Dedieu
Éditions : Bayard Culture
broché, 195 pages
Prix : 17 €
ISBN : 978-2227487048