L’effet-rebond condamne-t-il le progrès technique dans la lutte climatique ?
Une polémique restée célèbre s’est tenue au Royaume-Uni vers le milieu du 19e siècle. Certains mettaient en avant que la venue de machines à vapeur plus performantes, notamment dans leur consommation de charbon, allait réduire la demande de charbon. Le jeune Stanley Jevons, qui devait devenir l’un des plus importants économistes de l’histoire de cette discipline, s’était insurgé. Il écrivit dans un rapport officiel (Sur la Question du charbon – 1865) : « C’est une complète confusion d’idées de supposer qu’un usage économe des énergies fossiles est équivalent à une réduction de leur consommation. C’est le contraire qui est vrai. D’une manière générale, des usages plus économes conduisent à un accroissement de la consommation, selon un principe observé dans de nombreux cas similaires. »
Ce phénomène est appelé depuis paradoxe de Jevons ou effet rebond. L’invention du LED est un bon exemple. Il a permis un gain énergétique fantastique, mais en même temps une réduction très forte du coût par unité de lumière. Du coup, on éclaire davantage encore, de sorte que la consommation d’énergie dévolue à l’éclairage a des chances de s’accroitre encore (point empirique à vérifier). Si le LED permet une réduction de 50% de l’énergie par lumen, mais qu’au total la consommation d’énergie ne baisse que de 40%, l’effet-rebond est de 20% (10/50). Si la consommation d’énergie augmente de 10%, l’effet-rebond est de 120% (60/50).
C’est un argument qu’on entend souvent agité par certains milieux écologistes. Le progrès technique ne serait en aucune sorte une solution à la crise climatique, à cause d’un effet rebond qui non seulement serait positif, mais le plus souvent supérieur à 100%. On voudrait nous faire sortir du piège de la surconsommation énergétique par la technique, mais pour nous y plonger la tête un peu plus.
Pour la petite histoire, il y a deux types d’effets rebond. L’effet direct est celui de l’exemple des LED ou d’un chauffage domestique plus efficace. Le ménage en profite pour mieux se chauffer l’hiver. L’effet indirect apparait lorsqu’un progrès technique permet de dégager un certain pouvoir d’achat, par exemple par une moindre consommation d’énergie, mais que ce pouvoir d’achat est utilisé à acheter des biens plus lourds en carbone, tel un écran-plat venu de l’autre bout de la planète.
Voici une position extrême. Elle me semble avoir le tort de ne pas être posée dynamiquement. En fait, toute véritable innovation est par définition à effet rebond positif. Si on invente le lave-linge, on va laver plus souvent nos vêtements et c’est un peu pour ça qu’on l’invente. Si on invente l’avion, on va utiliser plus souvent l’avion.
Si on fait le calcul global, au niveau de l’ensemble de la consommation, on s’aperçoit que celle-ci ne croît guère plus de 1 à 2 % par tête de façon tendancielle, ce qui correspond in fine au gain de productivité de l’économie. Si donc il y a des effets rebond partout, il doit bien y avoir en même temps des effets de substitution, ce qu’on peut appeler des « effets étouffement » partout également. On supprime les ampoules thermiques mais la consommation de tungstène avec. On diminue ou on subventionne le prix de la bicyclette électrique (effet rebond sur la consommation électrique) mais au détriment d’autres modes de mobilité plus chargés en carbone.
Que disent les études empiriques ?
Un article un peu ancien (2012), mais simple à lire, de l’ACEEE ou American Council for an Energy-Efficient Economy fait une méta-analyse sur la base de plus d’une centaine de recherches sur le sujet. En gros, sur les différents sujets (économie de carburant pour les voitures, d’énergie pour le chauffage ou pour la climatisation, d’énergie pour les appareils domestiques et la lumière, etc.), on observe un effet-rebond bien inférieur à 1, de l’ordre de 10% pour l’effet direct et de 11% pour l’effet indirect, il est vrai beaucoup plus dur à calculer.
Une étude de Goldstein, Martinez et Roy (2011) indique même que cet effet tend à diminuer avec le temps. Au niveau global de l’économie, ces effets sont trivialement petits, ce que suggérait déjà la remarque faite plus haut comparant la consommation et la productivité.
Tout progrès technique n’est pas bon, à vrai dire beaucoup de progrès techniques sont en fait des regrès techniques du point de vue énergétique ou environnemental. Mais l’effet rebond ne peut sans cesse être invoqué comme argument premier pour évincer l’innovation dans le débat sur la limitation nécessaire de la consommation planétaire d’énergie fossile.
Cet article a été publié sur Vox-Fi le 29 juillet 2022.
Vos réactions
Merci pour cet article très intéressant
Je vous propose un complément : l’effet rebond est une illustration des mauvais outils de gestion économique issus de l’antiquité (monnaie) et du Moyen Age (Comptabilité).
J’ai compris que la monnaie est un mauvais outil qui ne répond pas à une demande citoyenne en travaillant dans les INTERSEL qui réunissaient plus de 80 Systèmes d’échanges locaux. Pourquoi les petits SEL refusaient la monnaie ? parce que les gens cherchent des aides pour s’organiser et développer la confiance entre eux. Jusqu’à une dizaine de personne, ce sujet se traite par le dialogue (limite trouvée pour le TPE), après il faut des « moyens » d’auto-organisation. Aujourd’hui, on sait répondre à ce besoin avec l’informatique, sauf qu’on a pris de très mauvaises habitudes qui amplifient les défauts des réseaux neuronaux : ils engendrent naturellement des « attracteurs étranges », qu’on peut appeler « croyance, idée fixe, fixette, ego centrisme, etc, etc ». La Nature a compensé en montant en parallèle des circuits séparés et des circuits de synthèse des 5 sens (et peut être plus si on passe en mode relaxé). Par contre, la monnaie « focalise », la compta « focalise » sur la bottom line. Des expériences menées en Ecole d’Insertion ont montré que des notes linéaires (1 à 20) cultivent des compétitions stériles, tandis que le passage aux 2D (forme et fond) exprimés avec des segments (pas des notes moyennes) engendrent de la discussion et de la recherche de synergie.
AU niveau au dessus, au niveau économique, il est aberrant d’ajouter des choux et des carottes pour piloter. Le B.A BA est de toujours tout séparer. Quand je mets le clignotant, je ne veux pas que ca lance les essuie glace. Quand je freine, je ne veux pas que ca me fasse tourner à droite ou a gauche. Quand on gagne avec des LED, on ne veut pas que ca déclenche des consommations sauvages… Donc, il faut passer en INTENTIONNEL…. et bien entendu gérer en « communs » les intentions; Il ne faut surtout pas privatiser le co-construction de l’avenir…. En tirant cet écheveau, on construit des solutions « normales » au sens respectant normalement les règles de pilotage et cet effet Jevons est juste une conséquence d’erreur fondamentale, comme les crises résultent … des 15 bugs fondamentaux de l’Economie… Mais personne n’en parle. Les universitaires n’en parlent pas, d’abord parce qu’ils sont rares à avoir étudié les règles de pilotage, ensuite, parce que « si on appliquait ce que tu proposes, on couperait les finances de mon laboratoire »…
Nous avons tout ce qu’il faut pour repartir sainement… plus l’obligation de violer des règles élémentaires…
Ceci est conforme à « l’ordre étrange des choses » d’Antonio Damasio – spécialiste du cerveau – … dont on comprend maintenant l’explication physiologique.. si on fait le pont entre différentes sciences… notion qui a été interdite en 1986 par l’Europe qui a interdit les financements de recherches fondamentales !
moderated