L’ensemble de l’Asie du Sud-Est, Chine comprise, est à présent nettement en dessous du seuil où la population se maintient à son niveau, qu’on caractérise par un taux de fécondité de 2,1 environ. Le cas de Corée du Sud est le plus emblématique : ce taux est désormais de 0,7, c’est-à-dire 0,7 enfant par femme. À ce rythme, l’âge médian de la population atteindra 60 ans en 2050 et il y aura trois fois plus de décès que de naissances.

Mais le phénomène est mondial comme l’indique ce graphique tiré d’un intéressant article de Foreign Affairs, The Age of Depopulation.

Déjà certains pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient sont en-dessous de ce seuil de reproduction, dont la Tunisie. L’Amérique latine a franchi le seuil, l’Europe y est déjà, de même que les États-Unis. Le nombre des naissances en France a rejoint celui qu’il avait en 1806, sous Napoléon et l’on prévoit pour bientôt le moment où les décès dépasseront les naissances.

Il est évident qu’on n’a pas pris encore la mesure du phénomène et de ses conséquences, d’autant qu’il n’y a pas d’explication qui fasse consensus sur ses origines. La dernière fois que l’humanité a connu un déclin démographique, c’était suite à la Grande Peste au XIVe siècle, un choc qui avait été bien sûr beaucoup plus soudain et déstabilisateur, mais dont il faut noter qu’il avait plutôt frappé les populations fragiles, à savoir les personnes âgées. Ici, les proportions s’inversent : ce sont d’abord les enfants dont la part diminue dans la population, puis la population active, alors que la part des séniors n’ira qu’en croissant, d’autant plus que l’espérance de vie est beaucoup plus élevée qu’autrefois. Hors le monde africain, le nombre des plus de 80 ans triplera entre aujourd’hui et 2050, pour atteindre environ 425 millions. Ce nombre, il y a un peu plus de vingt ans, correspondait à la population non africaine des plus de 65 ans.

Il n’y a pas que des choses malheureuses dans une population moins nombreuse : le capital devient abondant en relation à la population (dont le capital immobilier et les infrastructures éducatives – mais pas de santé), la main-d’œuvre devient plus rare relativement au capital, ce qui pousse à la hausse des salaires et à une chute du taux d’intérêt. Il y a aussi un ralentissement de la pression sur la nature et des émissions de carbone, et une congestion urbaine moindre. Le vieillissement de la population implique des sociétés plus assagies, donc moins guerrières – quelle famille voit d’un bon œil son enfant unique partir à la guerre au risque en cas de décès d’éteindre la lignée ? – et plus conservatrices, mais aussi moins preneuses de risque, donc moins innovatrices.

Le vieillissement fait peser un poids plus grand, des grands séniors sur les actifs, ceci dans un cadre familial moins nombreux et moins équipé aujourd’hui, individualisme oblige, pour prendre en charge ce risque. Le rôle de l’État devra donc s’accroître et les systèmes de retraite et de santé seront sous pression, ce qui viendra mordre la hausse prévisible des revenus salariaux. On peut même prévoir une pression des familles pour avoir plus d’enfants, pour retrouver cet élément d’assurance contre le vieil âge que les systèmes collectifs d’État seront plus en peine de rendre.

Il y aura enfin une valorisation plus grande de l’immigrant jeune (et éduqué). On retrouvera pour l’Europe de l’Ouest ce qu’a été l’immédiat après-guerre quand il fallait reconstruire et soutenir un rythme de croissance à 5 % l’an alors que le baby boom n’avait pas encore eu ses effets sur la population active.

Bref, une reconfiguration sociale et mentale qui va occuper toujours davantage le débat public.