L’ancrage (anchoring) de l’inflation. Le terme, apparu au milieu des années 2000, désigne une chose simple : la stabilité des anticipations que les agents économiques se forment sur l’inflation future. Plus cette stabilité est forte, plus la marge de manœuvre de la banque centrale est large. Elle pourra par exemple modifier sa politique monétaire en baissant son taux d’intérêt (pour répondre à un choc dépressif sur l’économie) sans trop craindre que l’expansion provoquée se disperse en une hausse générale des prix.

C’est pour cette raison que la forte hausse des prix dans l’ensemble des pays depuis une année inquiète les banquiers centraux : ne risque-t-on pas un « désancrage » de ces anticipations, alors que les deux décennies passées avaient été remarquablement « sages » ? Cela pourrait rendre « structurelle » la hausse des prix, cette dernière générant un mécanisme d’auto-alimentation, ce qui s’appelle en vérité l’inflation, les gens agissant comme si les prix allaient continuer à monter. Le débat est devenu extrêmement agité aux États-Unis, où, suite aux alertes lancées par certains économistes, dont Larry Summers, un conseiller économique du président Obama, les attaques fusent contre la banque centrale américaine, la FED, présumée coupable de s’être réveillée trop tard et de garder une posture dangereusement laxiste, ceci alors qu’elle vient de monter ses taux, certes d’un timide 0,5%.

Un papier écrit par deux économistes de la BRI, Banque des règlements internationaux, donne un point de vue plus mesuré. S’appuyant pays par pays sur les anticipations d’inflation (en général enquêtes auprès des analystes professionnels), il note davantage que la situation diffère assez fortement selon les pays. D’une manière générale, les anticipations à un an se sont fortement élevées, mais celles à plus long terme (entre 6 et 10 ans) sont pour l’instant restées remarquablement stables, proches de la cible d’inflation de la plupart des banques centrales, soit le classique 2% par an.

Ce graphique le montre sur le Royaume-Uni et les États-Unis.

L’inflation est représentée par la ligne noire. Les anticipations à court terme par la rouge, celles à long terme par la bleue. On note que les anticipations à court terme sont désormais proches de 4,5% l’an dans les deux pays, alors que l’inflation a touché 7,9% en février 2022 aux États-Unis. Mais jusqu’à présent, les analystes semblent confiants que sur la durée l’inflation reviendra à sa norme : l’inflation de long terme reste à sa norme de 2%. Les critiques feront la remarque que le long terme est loin et que l’inflation peut être forte entre temps. De sorte que la prévision est d’une qualité assez faible et, à une échéance si éloignée, elle peut fort bien être l’indication que les prévisionnistes font encore confiance aux banques centrales de rester en mesure, sur cette longue plage de temps, de juguler l’inflation si celle-ci venait à surgir.

Mais, s’agissant du futur, le destin de l’homme n’est de pouvoir s’accrocher que sur ce qu’il a à portée des mains et des yeux, c’est-à-dire, à ce jour, un signal plutôt rassurant.