Les baisses d’impôts, de Trump et d’autres, se financent-elles par plus de croissance ?
« Pinocchios ! Larbins de Trump ! », disent les Démocrates du Congrès quand ils entendent Gary Cohn, patron du Conseil économique de la Maison Blanche, et Steve Mnuchin, Secrétaire au budget, « vendre » le plan fiscal proposé par l’administration Trump en disant que les baisses d’impôts se financent par elles-mêmes, parce qu’elles poussent la croissance et donc les recettes fiscales. Écoutons Cohn en effet :
« [Les baisses d’impôt] font un trillion de dollars [sur les dix ans à venir, ce qui est la méthode habituelle du Congrès américain pour juger de l’impact de toute mesure fiscale]. Nous pensons qu’il y aura 2 Tr$ de recettes liées à la croissance. Donc nous pensons que ce projet fiscal va réduire le déficit de 1 Tr$ ». (Interview sur ABC du 28/10/17).
Cela nous ramène plus de 35 ans en arrière, quand Reagan lançait ses baisses d’impôt et que ses communicants ont habilement su brandir ce qui allait être popularisé comme la « courbe de Laffer ». Il s’agit de cette fameuse courbe dont on raconte qu’elle été griffonnée par Arthur Laffer lors d’un déjeuner avec Dick Cheney et Ronald Rumfeld en 1974 (deux personnes promises à célébrité quelque 20 ans après). Elle montrait sous une forme graphique simple le célèbre « trop d’impôts tue l’impôt ». La logique est implacable : si le taux d’impôt est nul, la recette fiscale est nulle ; s’il est de 100%, il n’y a plus de production et la recette fiscale est à nouveau nulle. Il est donc évident, sous condition de continuité de la courbe liant les recettes fiscales aux taux d’imposition, qu’au-delà d’un certain point, une baisse du taux d’impôt augmente et non diminue la recette fiscale.
Ce qui est étonnant dans l’histoire de cette courbe, si on oublie le fait que l’argument ne vaut que dans la partie descendante de la courbe, c’est qu’on lui a toujours donné un contenu « économie de l’offre ». L’argument va ainsi : baisser les taux (marginaux) d’impôt met de l’argent dans les poches des gens et donc les incite à plus travailler et à plus entreprendre. La croissance qui en résulte est source de recettes fiscales nouvelles. (Curieusement, quand c’est aux bas-revenus que du revenu est distribué, on entend souvent les mêmes gens dire : ce revenu supplémentaire va les rendre paresseux.)
Mais la courbe dit tout autant : baisser les impôts met de l’argent dans les poches des gens, ce qui les pousse à davantage dépenser et consommer, avec le même effet sur la croissance. Ce qui assimilerait largement Laffer à Keynes. (La gauche use aussi assez souvent de sa courbe de Laffer à elle : accroître les dépenses publiques s’autofinance, par la croissance qu’elles engendrent.)
Dans un article éloquent dans le New York Times, Greg Mankiw, qui fut patron du conseil d’analyse économique de George W. Bush (qui allait lui aussi lancer de vastes réductions d’impôt) détruit l’argument de Cohn. Son estimation, comme celle d’autres économistes, y compris de ceux qui ont fait partie de l’équipe de Reagan à l’époque, est qu’une baisse d’impôt ne se finance au mieux que pour un tiers par relance de l’activité.
Il rappelle que lorsque Reagan a mis en œuvre ses baisses d’impôts, le taux de chômage aux États-Unis atteignait 10,8% (en fin 82), et, dans cette conjoncture très déprimée, les baisses ont conduit à une reprise économique assez forte trois ans plus tard. Par la suite, une fois l’économie à nouveau en bonne santé, il a remonté les impôts pour réduire le déficit. À la veille de son départ en 1988, il a à nouveau baissé les taux d’impôt, mais en les finançant par la suppression de niches fiscales.
De même, lorsque Bush Junior a fait pareil : sa baisse d’impôts arrivait en plein éclatement de la bulle internet alors que le taux de chômage, qui était au niveau bas de 3,9%, était rapidement monté à 6,1%.
De la sorte, dit Mankiw, la relance dans les deux cas a résulté d’un mélange d’économie de l’offre et d’économie keynésienne. Et en tous les cas, avec un effet sur les recettes fiscales limité à un tiers.
Il n’en va pas du tout ainsi aujourd’hui, dans le cas de la réduction Trump. On est loin d’une récession, le taux de chômage a baissé de 5% à son arrivée à 4,3%, la bourse a bondi de 20% et la crainte est certainement davantage du côté de l’inflation que de la baisse d’activité. Le retour fiscal sera moindre qu’un tiers et il n’est pas le moment de distribuer du pouvoir d’achat.
Il est vrai que ce pouvoir d’achat ira surtout dans les poches des hauts-revenus, qui en épargneront la majorité, ce qui limitera les dangers associés à cette baisse d’impôts.
Cela étant, rien n’est fait. Les Démocrates mettent comme condition préalable que Trump rende publique enfin sa feuille d’impôts, et les incartades tweetesques de Trump incommodent toujours davantage certains élus républicains.