Graphique 1 : Fréquence du mot « inégalité » dans les discours des banquiers centraux

 

C’est particulièrement vrai depuis la grande crise financière de 2008. Il y a sans aucun doute une volonté défensive derrière cela. En effet, on accuse beaucoup les banques centrales d’avoir, en réponse à ce premier choc récessif et plus encore lors de la crise Covid, violemment accru les prix des actifs financiers, actions et obligations, par leur politique de taux ultra-bas. Ceci, tout particulièrement avec les politiques de rachats d’obligations longues pour peser directement sur les taux d’intérêt à long terme. Or, ce sont les détenteurs de patrimoine qui en profitent, et non les bas revenus.

 

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D’où un long chapitre dans le rapport cité qui est un plaidoyer en défense. Plutôt bien fait.

 

Temps 1 : l’inégalité croissante (qu’on ne dénie pas) tient aux facteurs structurels que sont les gains de productivité et la mondialisation.

Temps 2 : Hormis ces facteurs, les deux causes économiques les plus marquées qui affectent les personnes en bas de l’échelle des revenus sont l’inflation et les récessions. (graphique 2). Sur la partie gauche du graphique, on note ce qu’a été l’impact de la récession liée au Covid sur les salaires étatsuniens, selon qu’il s’agisse des personnes à haut ou à bas salaires.

 

Graphique 2 : Impact d’une récession (gauche) et d’une inflation sur les salaires

 

L’effet de l’inflation est plus complexe. D’abord, l’inflation dévalorise la valeur réelle des patrimoines. Or, selon la BRI, les ménages à bas revenus ont plutôt leur épargne sous forme de comptes courants ou à terme, qui sont directement pénalisées par l’inflation. Les ménages aisés ont des formes de patrimoine mieux protégées contre l’inflation : immobilier ou actions, ou même, pour les pays moins avancés, la capacité à exporter leur épargne à l’étranger. Par ailleurs, on voit sur le graphique 2 à droite l’effet de perte de pouvoir d’achat des salaires même lorsqu’ils sont indexés sur l’inflation. Si l’indexation est annuelle, la perte est majeure, mais elle le reste aussi en cas d’indexation trimestrielle. Par exemple, en cas d’inflation à 10%, une indexation annuelle des salaires fait quand même perdre près de 5 % de pouvoir d’achat au salarié (et 1 % en cas d’indexation trimestrielle).

 

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Temps 3 : donc les banques centrales protègent le pouvoir d’achat et sont des agents de réduction d’inégalité grâce à leur action anti-récession et anti-inflation. La hausse de la valeur des patrimoines liée à une baisse de taux d’intérêt est un effet dommageable d’une politique préservant au total une meilleure égalité des revenus.

Temps 4 : mais les banques centrales ont raison pour autant de se soucier de l’inégalité, et ceci dans le cœur de leur fonction. Une société inégalitaire est une société qui recourt largement au crédit, ce qui est rend plus fragile le système financier. D’autre part, une société inégalitaire est une société où la politique monétaire contracyclique est moins efficace, car les bas revenus et les hauts revenus ont une consommation très peu sensible aux taux d’intérêt.

Temps 5 : et ne pas oublier que les banques centrales jouent un rôle important pour développer le système financier, favoriser l’inclusion financière, protéger les consommateurs de services financiers et veiller au bon fonctionnement du système des paiements.

Que dire de ce plaidoyer ? Une question, plutôt agnostique, se pose : et si au fond les banques centrales n’avaient qu’un rôle assez mineur et limité au court terme, sur le niveau des taux d’intérêt ? Le graphique qui suit le laisse penser :

 

Quelles qu’aient été les politiques conjoncturelles sur la période, laxistes ou expansives d’un point de vue monétaire, les taux n’ont fait que baisser. Des forces puissantes sont donc à l’œuvre, qu’il faut chercher ailleurs. Les banques centrales pourraient donc ajouter cet argument dans leur défense. Mais cela reviendrait, pour la Banque des règlements internationaux, qui est en quelque sorte la banque des banques centrales, à avouer qu’elles sont largement impuissantes.