La semaine dernière, j’ai croisé deux (très bons) économistes qui m’ont affirmé que les banques françaises gagnaient beaucoup d’argent, voulant dire par là « trop » d’argent. Et, pris au dépourvu, je leur ai répliqué que cette rentabilité était modeste par rapport aux grands concurrents américains. Ai-je menti ? Avaient-ils raison ou tort ? Derrière ces interrogations, une autre question se profile : si les banques retrouvent le niveau de profit d’avant-crise (c’est le cas pour BNP Paribas en 2016, avec 7,7 Mds de résultat, proche du « record » de 7,8 Mds de 2007), est-ce à dire que les effets de la crise et de ses conséquences (notamment la réglementation) sont digérés (en dépit de leur affirmation contraire) ?

Pour répondre à ces questions, cette note propose une comparaison de deux systèmes bancaires, celui de la France et celui des Etats-Unis. Mais comme les modèles bancaires sont encore assez hétérogènes, il apparaîtra préférable de se concentrer sur quelques très grandes banques, dont les modèles sont plus voisins, et se sont même sensiblement rapprochés à la suite des réorganisations et de la concentration intervenue aux Etats-Unis suite à la crise financière. En se restreignant ainsi, on peut disposer de décompositions plus fines des activités et proposer une analyse plus pertinente pour la comparaison. L’autre hypothèse faite ici est que l’année 2016 est représentative d’une évolution moyenne (sur le cycle). C’est une année assez calme, de sortie de crise des deux côtés de l’Atlantique. Les plans à trois ans sortis par JP Morgan et par BNP Paribas, dont l’année de base est précisément 2016, présentés au cours des journées d’investisseurs[1] fournissent un ancrage stable, tel que perçu par les acteurs eux-mêmes. Enfin, un élément majeur de cette comparaison est que nous disposons enfin d’une évaluation des bilans dans le même système comptable, qui permet de faire des comparaisons pertinentes, débarrassées du soupçon que chacun des protagonistes essaie de raconter ce qui l’arrange en profitant de ce qu’il est impossible de savoir précisément ce que l’on compare.

Trois résultats ressortent de l’analyse : (i) la banque américaine est beaucoup plus rentable que les grandes banques françaises, et cela provient entièrement des marges et des commissions sur leur activité, non des coûts ni des risques, (ii) le modèle de banque universelle américaine (en tous cas chez JPM) est beaucoup plus risqué néanmoins, et c’est au moins une partie de l’explication des forts écarts de rentabilité, mais (iii) la conséquence paradoxale de ce modèle plus risqué est une exigence en fonds propres plus élevée qui, à taille de bilan égale (ce qui est le cas dans la comparaison faite), renforce le leverage ratio et rend plus facile la satisfaction des exigences de Bâle 3.

 

Première approche : la déroute

En 2016, les 6 plus grandes banques françaises ont réalisé 142,2 Mds d’euros de produit net bancaire[2] (PNB) et un résultat net de 23,5 Mds. Par comparaison, JP Morgan tout seul a réalisé la même année, un PNB de 99 Mds de dollars et un résultat net de 27,8 Mds : un bien meilleur résultat, donc, malgré un revenu de près de 40% inférieur. Comme la somme des fonds propres des six à fin 2016 était de 355 Mds (en euros), contre 250 (en dollars[3]) pour JP Morgan, le rendement des fonds propres, le ROE (return on equity) s’élevait à 6,6% en France, pour 11,1% pour JP Morgan[4].

Quant à la taille du bilan, elle était trois fois supérieure: 7106 Mds (chiffre agrégé, donc qui néglige les effets de crédits croisés entre les 6 grandes banques françaises, mais cela ne change pas les ordres de grandeur) contre 2500 Mds (de dollars cette fois, soit 2376 Mds d’euros) pour JP Morgan.

Tout est là : la banque américaine gagne plus que les six plus grandes banques françaises bien que celles-ci aient un bilan agrégé près de trois fois plus gros, mais des fonds propres 50% plus élevés seulement, et, avec ce bilan, un revenu supérieur d’à peine 50%. Par quelque bout qu’on le prenne, la comparaison n’est guère flatteuse pour l’industrie bancaire française.

 

Comparer des comparables

La comparaison du système bancaire français (les six représentent plus de 80% de l’ensemble) mêlant des banques de détail « pures » à des banques universelles à une banque (universelle) bien spécifique américaine, pour spectaculaire qu’elle soit, n’est pas très instructive. Peut-être est-il plus raisonnable de comparer ce qui est plus comparable, BNP Paribas plus Société Générale (BNPPSG) avec JP Morgan. Voilà ce que cela donne, pour quelques grands agrégats ou ratios à la fin 2016:

BNP P+ SG (Euros) JP Morgan (USD)
Taille de bilan 3459[5] 2550
Fonds propres 170 (fin 2016) 250 (fin 2016)
PNB 68,6 99
Résultat net 11,6 27,8
Crédit/Dépôts 100% (à vérifier) 65%

On sait que les normes comptables européennes (dites IFRS) conduisent à gonfler les bilans, mais on ne mesure pas l’ampleur de cet effet. Un travail récent du FDIC a converti aux normes IFRS les données, évaluées selon les normes américaines GAAP, des principales banques américaines : à mi 2016[6], le bilan ainsi corrigé de JP Morgan représentait alors 3651 Mds de dollars, tandis que ceux de BNP Paribas et de Société Générale valaient au même moment 4032 Mds de dollars. Par ce seul effet, l’écart passe de 63,5% à 10% ! On sait en outre que le système de refinancement des crédits hypothécaires permet aux banques américaines de vendre une large fraction de leurs crédits immobiliers, ce qui dégonfle leur bilan et améliore la rentabilité des fonds propres outre-Atlantique. Enfin, la bancassurance est très importante en France, quasi absente chez JP Morgan : c’est environ 320 Mds d’euros dans les bilans consolidés des deux banques françaises. Au total, les tailles de bilan, en dépit de l’écart facial considérable qu’elles présentent, sont voisines en réalité. Faisons cette hypothèse.

 

Analyse des résultats

Pouvoir se caler sur des tailles de bilan comparables est essentiel dans ce qui suit. A taille comparable, les différences de rentabilité et de fonds propres sont plus faciles à analyser.

  1. Le résultat net rapporté au PNB est de 15% pour BNPSG, de 30% pour JPM. C’est un écart considérable. Or, ce résultat net résulte de trois éléments : la marge d’intermédiation (intérêts et commissions), les frais de gestion et le coût du risque. Il nous faut donc d’abord examiner où se situent de tels écarts, entre ces trois postes.
  2. Les marges des banques américaines sont, à première vue, sans commune mesure avec celles des banques françaises. Si on calcule le rendement des actifs, le ROA (Return on Assets) facial apparent (PNB/Total Actif), on trouve 99/2500= 4% pour JPM, contre 68,7/3459=2% pour BNPPSG. Mais si on les rapporte aux données de bilan corrigées, la situation change, non par le sens, mais par l’ampleur : pour JP Morgan, 99/3651=2,7%, contre 2% pour BNPPSG. Si enfin on rapporte le PNB aux actifs moyens pondérés (AMP ou RWA, Risk Weighed Assets) on a respectivement 99/1500= 6,7% et 68,6/994=6,7%, c’est à dire une stricte égalité des « marges corrigées du risque ».
  3. Le rapport RWA/Total bilan (dans les normes comptables respectives) est de 1500/2500= 60% aux USA contre 994/3459=29% pour les deux banques françaises. A normes comptables constantes, le ratio corrigé pour JP Morgan devient 1500/3651= 41%. Un tiers de l’écart est comblé, mais l’écart reste important. Le rapport des RWA (ramenés en euros) est de 1426/994=1,434. A taille de bilan comparable, JP Morgan porte, selon la mesure proposée par les régulateurs de la BRI, 43% de risque en plus. Les banques américaines contestent cette conclusion et y voient plutôt une facilité que les banques européennes (et ici, françaises) se donnent en ayant recours à des modèles internes trop favorables pour évaluer les actifs moyens pondérés. Il est possible qu’il y ait des biais dans les évaluations et les situations. Mais ce n’est sans doute pas à sens unique. Ainsi, la prédominance, jusque récemment, du ratio de levier et des normes de Bâle 1 aux Etats-Unis, a poussé les banques à favoriser des crédits plus risqués et mieux rémunérés, et il n’est pas sûr que les banquiers américains aient achevé la transition vers les nouvelles règles, dites de Bâle 3[7]. La conclusion de cette comparaison est simple : une rentabilité sensiblement plus élevée chez JP Morgan, mais un risque (tel que mesuré par le RWA) plus élevé, si bien que, corrigées du risque, les marges sont équivalentes.
  1. L’écart des résultats est imputable aux revenus, non aux coûts. Les coûts de fonctionnement totaux sont de 46,2 Mds (en euro) pour BNPPSG et 55 Mds (en USD) pour JPM. Qu’on le rapporte au total de bilan (à norme comptable équivalente) ou aux crédits à la clientèle ou aux dépôts de la clientèle, le coût unitaire est sensiblement plus faible pour les banques françaises :

 

Coût unitaire (2016)

BNPPSG JP Morgan
Dépôts 3,08% 4,30%
Crédits clientèle 4,06% 6,16%
Bilan (IFRS) 1,33% 1,51%
RWA 4,64% 3,67%

Ce n’est plus vrai quand on prend comme référence les actifs moyens pondérés. Au total, l’impression qui se dégage est que ce n’est pas sur les coûts que la différence se fait.

  1. Les « coûts du risque » de l’année 2016 correspondants ont été de 4,7 Mds USD et 5.353 M euro respectivement. Rapportés aux encours de crédit à la clientèle, au bilan (sur des bases comptables comparables) et aux actifs moyens pondérés, ils représentent respectivement :

 

Coût du risque (2016)

BNPPSG JP Morgan
Crédits clientèle 47  pb 53   pb
Bilan (IFRS) 15  pb 13   pb
RWA 54  pb 31    pb

Les différences sont modestes, et ne pointent pas les écarts de risque comme déterminants en cette période de croissance voisine dans les deux pays principaux pour les trois banques. Il est vraisemblable que les Etats-Unis sont dans une période particulièrement favorable dans le cycle économique. Les 23 points de base d’écart avec BNPPSG représentent 3450 MUSD environ (avant impôts, soit environ 2750 MUSD après impôts), soit 1,1% des fonds propres. Les 11,1% de ROE seraient ramenés à 10% environ, ce qui ne modifierait que peu l’ensemble des comparaisons précédentes.

 

Le paradoxe du risque

L’une des grosses différences qui ressort de ce qui précède est celle du profil de risque des deux banques. Deux éléments ont été mis en exergue : un « coût du risque » voisin, mais un profil règlementaire sensiblement plus risqué pour la banque américaine que pour le groupement français.

Peut-on conforter cette appréciation règlementaire par des différences dans le modèle économique et le mix d’activités ?

Sur le tableau ci-dessous, on a tenté de reconstituer la structure du portefeuille d’activités des deux banques françaises qui coïncide avec celle de JP Morgan, à partir de leurs documents de référence. Une incertitude subsiste sur la frontière exacte entre banque de détail et services financiers qui ne recouvre pas strictement la distinction américaine entre « commercial banking » et « consumer and community banking », mais cela n’empêche pas de dégager quelques idées simples, à partir de trois informations : la fraction du capital alloué à l’activité, le rendement des fonds propres (RONE, ou Return on Notional Equity)[8] constaté en 2016 (premier chiffre) et souhaité à l’horizon 2020 (second chiffre) :

Banque de détail Services financiers Wealth/Asset management Banque de Financement et d’investissement
JP Morgan Capital alloué : 34%

RONE : 18%/20%

Capital alloué : 13%

RONE : 16%/15%

Capital alloué : 6%

RONE : 24%/25%

Capital alloué : 47%

RONE : 16%/14%

BNPPSG Capital alloué : 45%

RONE : 13%/14%

Capital alloué : 19%

RONE: 15%/20%

Capital alloué : 9%

RONE : 25%/25%

Capital alloué : 27%

RONE : 14%/14%

Trois conclusions peuvent être tirées :

  1. la banque de détail, qui représente une partie majoritaire des banques françaises, est moins rentable que celle de JP Morgan, et les banques françaises n’envisagent pas un retournement fort d’ici 3 ans.
  2. la banque de financement et d’investissement est beaucoup plus importante chez la banque américaine, et elle y est plus rentable, du moins en 2016.
  3. Le profil de risque confirme l’idée que JP Morgan a des activités plus risquées que BNPPSG, surtout à cause de la place qu’y occupe la banque de financement et d’investissement et les activités de marché.

Le paradoxe du risque est alors celui des marchés : alors que tout indique que JP Morgan est plus risquée que BNPPSG, ceci ne se reflète pas dans la volatilité du titre : le « béta » de l’action est de 1,2 cotre 1,5 pour les banques françaises[9].

 

Le rendement des fonds propres

La normalisation des bilans met d’autant mieux en valeur la différence des montants absolus des fonds propres des banques comparées ici : pour un total de bilan voisin (3651 vs 4032 Mds) et de 10% inférieur, des fonds propres supérieurs de 40%, 250 Mds de dollars dans un cas, 170 Mds d’euros (179 Mds USD) dans l’autre.

Ratios de fonds propres

BNPPSG JP Morgan
Bilan (GAAP ou IFRS) 4,9% 10,0%
Bilan normalisé (IFRS) 4,9% 6,8%
RWA 17,1% 16,7%

Le tableau ci-dessus rapporte les fonds propres de nos deux groupes à trois mesures de bilan différentes : le bilan comptable exprimé dans la comptabilité en vigueur dans chacun des pays (GAAP aux USA, IFRS en France), le bilan harmonisé et évalué selon les mêmes normes comptables (IFRS), et le bilan pondéré par les risques que constituent les RWA.

Cette différence spectaculaire a plusieurs conséquences.

  1. La rentabilité des fonds propres est, in fine, de 7% pour BNPPSG, contre 11% pour JP Morgan. Avec un résultat net près de trois fois plus faible, le rendement des fonds propres est de 1,5 fois plus modeste seulement. Cela reste considérable.
  2. Le payout ratio (p), c’est à dire la part des résultats nets distribuée aux actionnaires, est de 65% chez JP Morgan en 2016, contre 45% pour les BNPPSG ; 15 Mds de dollars rendus aux actionnaires chez JP Morgan, contre 5 chez les deux banques françaises. Or, si g est la croissance des fonds propres, on doit avoir : (1-p) ROE=g,

La traduction de cette égalité pour nos deux ensembles fournit comme estimation de cette croissance 35% de 11%=3,85% pour JP Morgan alors que 55% de 7%=3,85% pour BNPPSG, c’est à dire le même chiffre: les banques françaises réussissent à atteindre la même croissance potentielle pour une rentabilité des fonds propres sensiblement inférieure.

  1. Le leverage ratio est sensiblement plus faible en France qu’aux Etats-Unis (4%+ contre 6,5%). Cela apparaît bien sur le tableau ci-dessus, qui n’incorpore pas les éléments du « hors bilan » inclus dans le dénominateur du ratio et surestime par conséquent légèrement les chiffres de ce ratio.
  2. Etrangement, le coût du capital est peu différent : le béta des banques US est plus faible (1,2 environ pour JP Morgan contre 1,5 pour les grandes banques françaises), mais le taux sans risque y est légèrement plus haut (de moins de 1% toutefois, s’agissant de banques internationales) et le rendement du marché plus élevé (de l’ordre de 9% aux USA contre 6 en Europe). Au total 1%+1,5(7-1)= 10 tandis que 2,5+1,2(9-2,5)=9,3. Ces calculs sont très grossiers et sensibles aux moyennes retenues, si bien que l’on peut faire l’hypothèse que, du fait du paradoxe du risque, le coût du capital des banques est peu différent des deux côtés de l’océan : les marchés voient plus de risque en Europe, contrairement à ce que pointe l’activité des banques examinées. Du coup, le ROE est supérieur au COE pour JP Morgan, pas pour BNPPSG.
  3. Comment se compare la rentabilité des banques à celle des autres secteurs de l’économie? Une analyse récente[10] répond à cette question, pour la zone euro et pour la France. Elle compare le ROE des entreprises du secteur financier, des banques et du secteur non financier. Il apparaît que, dans la zone euro, le ROE est désormais sensiblement plus élevé hors du secteur financier, et que les banques sont, au sein du secteur financier, à la traîne. En France, où les banques ont une rentabilité des fonds propres supérieure à leurs concurrentes de la zone, les ROE sont de 6,5, 8 et 9% respectivement pour les banques, le secteur financier dans son ensemble et les entreprises non financières.

 

Le théorème de l’arroseur (régulateur) arrosé

Une conséquence de l’analyse qui précède est ce que l’on pourrait appeler le théorème de l’arroseur (ou du régulateur) arrosé : dans un monde où coexistent les ratios de solvabilité et de levier, entre deux banques de taille identique, celle qui a le plus de risques sera la mieux armée pour satisfaire au mieux ces deux contraintes. Ses RWA étant plus forts, elle aura besoin de plus de fonds propres, et comme son bilan est équivalent, son ratio de levier sera plus élevé (et même d’autant plus élevé que le risque qu’elle prend est élevé). Ce n’est pas l’argument usuel contre le ratio de levier : il pousse à prendre plus de risque. C’est vrai, mais il faut pousser un cran plus loin le raisonnement : si la banque prend plus de risque, ses RWA augmentent, et ses fonds propres aussi par conséquent, ce qui permet de satisfaire encore mieux le ratio de levier.

Une conséquence de ce théorème est que, à taille équivalente, une banque a intérêt à retenir la « stratégie JP Morgan ». Si le marché juge le risque d’une banque par quatre grandeurs : RWA, taille du bilan, fonds propres, ratio de levier, et si le couple (RWA, fonds propres) mesure le risque de crédit, on voit que, par construction, les banques de taille équivalente ont le même risque de crédit (un RWA plus élevé étant strictement compensé par des fonds propres plus élevés). Quant au risque systémique, il est mesuré par le triptyque (taille de bilan, fonds propres, ratio de levier), et, à ce triptyque la stratégie « risquée » (celle dite JP Morgan) est sans équivoque meilleure. Du coup, la banque sera jugée moins risquée et plus profitable[11], donc supérieure à celle de BNPPSG, et cela sera entériné par le marché sous forme d’un rapport Price/Book supérieur.

Telle est la justification du paradoxe du risque énoncé plus haut.

 

Synthèse

Au début de ce texte, je me posais la question de la rentabilité des banques françaises : ont-elles effacé les stigmates des crises financières, celle des subprimes et celle de l’euro, et digéré les nouvelles règlementations mises en place par la suite ? La réponse est évidemment négative : tant que les valeurs du Price to Book seront autour de 0,5 à 0,7, ce sera le signe d’un déséquilibre, surtout dans une situation où la valeur comptable des fonds propres (le Book) est jugée encore insuffisante. Mais en même temps, les causes de cette rentabilité insuffisante ne sont pas dues exclusivement (loin de là) à la réglementation. Elles tiennent davantage à la situation particulière créée en France par un contexte des taux bas, dans un environnement où la renégociation des prêts immobiliers est pénalisante pour la banque de détail et où elles doivent porter les encours à taux bas pendant toute la durée du crédit. Deux contraintes qui n’existent pas outre-Atlantique.

L’image qui se dégage est claire : une rentabilité bien plus forte de la banque américaine (du fait d’une difficulté particulière dans les banques de détail en Europe, et d’une structure plus oligopolistique aux USA, surtout dans la banque de marchés), un modèle sensiblement plus risqué (tel qu’en témoigne le RWA et le mix des métiers), une taille de bilan comparable (une fois les normes comptables harmonisées), et des fonds propres bien plus élevés. Le couple rendement-risque du compte d’exploitation est cohérent, mais il est contrebattu par une injection de fonds propres bien supérieure. Ajouté à une méfiance vis à vis de l’Europe, ceci conduit au paradoxe du risque, tel que les marchés l’expriment actuellement.

Quelles conséquences de tout cela ? En apparence, l’écart de rentabilité (7% contre 11%) serait largement compensé par la différence de taux de distribution et n’induirait pas nécessairement un écart de croissance entre les banques françaises et américaines, mais est-ce la fin de l’histoire ? La plus faible distribution devrait entraîner une baisse relative des cours de bourse, et une vulnérabilité des banques européennes par rapport à des acteurs américains. Le béta serait augmenté et le coût du capital enchéri.

Comment sortir de là ? Il y a soit un sujet de fonds propres, soit un sujet de RWA.

Si l’on considère que la norme de marché en matière de fonds propres est fixée par les américains, à travers le ratio de levier, et doit s’imposer à nous, il faut d’une part combler l’écart de rentabilité dans le secteur de la banque de détail, d’autre part se garder de monter le taux de distribution trop vite. Mais cette dernière mesure entre en contradiction avec un autre constat de l’analyse : puisque le coût du capital est supérieur au ROE, il faudrait distribuer plus, pas moins, de profits aux actionnaires.

Si l’on considère plutôt que le RWA tel que fixé par Bâle 3 est trop défavorable aux banques américaines, alors des banques comme JP Morgan ont trop de fonds propres et elles doivent les rendre aux actionnaires. Ce n’est pas un hasard si, dans son plan à 3 ans, la banque américaine a prévu de relever à 80% son payout ratio. Mais dans ce cas, si, comme on peut le penser, les nouvelles normes d’évaluation de RWA sont un compromis entre ce que souhaitent les américains et ce que défendent les banques françaises, ces dernières se trouveraient à nouveau dans l’obligation d’accumuler plus de fonds propres ou de procéder à un nouveau deleveraging, coûteux pour elles et pour la croissance.

 

[1] En attendant ceux de la Société Générale, prévus en mai2017.

[2] Le PNB (revenus nets d’intérêt plus commissions) est, pour les banques, une notion qui se rapproche (sans être totalement identique) de celle de valeur ajoutée dans l’industrie

[3] Au 31 décembre 2016, la parité était de 1 dollar= 0,95043 euros.

[4] Les calculs sont grossiers puisque j’ai calculé le rendement des fonds propres en rapportant le résultat net de 2016 aux fonds propres de la fin de 2016, et non à ceux de la fin de 2015. Mais cela ne change rien à la conclusion que l’on en déduit.

[5] soit 3639 Mds USD

[6] dernière date où ce travail a été réalisé

[7] Laurent Quignon, « Des écarts de pondération des actifs bancaires par les risques de part et d’autre de l’Atlantique », revue Banque, n°802, 2016.

[8] Il s’agit du rendement des fonds propres alloués à chaque activité par la banque, dans sa comptabilité analytique.

[9] On retrouve ici l’influence des analyses de risque initiées par les économistes de la Stern School de NYU, qui publient des indicateurs de risque systémique, le fameux SRISK, qui indique un risque systémique plus faible pour JP Morgan que pour BNPPSG, à partir d’une analyse qui fait jouer un rôle à trois indicateurs, le béta, le ratio de levier, et le levier calculé avec la valeur de marché des fonds propres. A cette aune, le SRISK de JPM est de 55Mds USD, contre 85 pour BNPP et 70 pour SG. Cette analyse est critiquable (i) par le caractère arbitraire du choix du ratio de levier et (ii) surtout, parce qu’elle est « auto-réalisatrice » : plus le béta est faible, plus le risque systémique l’est ; plus le cours de bourse est élevé, moins le risque systémique est important. Bref, le marché boursier sait mieux que quiconque prédire l’avenir. Mesuré à cette aune, le risque des banques françaises, avec des bétas élevés et des Price/Book faibles sont particulièrement vulnérables.

[10] étude basée sur des données Datastream et Worldscope.

[11] Après correction du « coût du risque » pour tenir compte de ce que, au stade actuel du cycle américain, JP Morgan a des provisions pour créances douteuses particulièrement faibles.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 8 juin 2017.