Vous connaissez Georges Orwell, l’auteur de 1984. Il y décrit un monde où un dictateur, Big Brother, a perverti les hommes et pris le contrôle de leurs pensées en manipulant le langage. Les slogans proclament : « la paix c’est la guerre », « l’amour c’est la haine »… Orwell s’était inspiré des pouvoirs nazis et soviétiques. La finance est un Small Brother bien moins effrayant que son grand frère, mais elle a un air de famille sur un point important : la manipulation du langage.

On peut multiplier les exemples où les mots de la finance disent autre chose que la réalité. Certains sont anciens : une baisse en bourse s’appelle… une consolidation. Un fonds spéculatif s’appelle un …hedge fund, alors que « hedger » c’est adosser ses risques justement pour ne PAS être en position spéculative. Un très bel exemple est aussi celui de la banque « universelle » : j’y reviendrai.

Je voudrais dans cette histoire vous demander si vous savez ce qu’est UN DÉONTOLOGUE ? Vous me répondrez : « quelqu’un qui veille au respect de la morale ».

C’est exact. Et savez-vous OÙ il y a des déontologues ? Vous direz peut-être : «Dans l’enseignement ? Pour les cours de philo à nos chères têtes blonde ?».

Vous n’y êtes pas du tout : en ce début du vingt-et-unième siècle, les déontologues ne sont pas dans les écoles de philosophie, ils sont dans les grandes banques ; et plus elles spéculent, plus ils sont nombreux : des DIZAINES de déontologues !

Brusquement, vous avez un peu honte, non ? Comment avez-vous pu croire que les banques spéculatives manquaient de morale, alors qu’elles entretiennent des armées de déontologues !

Qu’y font-ils ? Une de leurs principales missions est de surveiller les conflits d’intérêt : quand l’intérêt de la banque pourrait aller contre celui de ses clients. Les banquiers ont une très belle image : il faut éviter de franchir les « murailles de Chine », celles qu’ils affirment édifier entre leurs activités pour compte propre et celles de leurs clients (ces « murailles de Chine » qui n’ont jamais rien arrêté sont une source de plaisanteries incessantes entre banquiers).

Si les déontologues sont aussi nombreux, c’est que les banques ont une infinité d’occasions de sacrifier l’intérêt de leurs clients au détriment de leur intérêt propre, pour une raison simple : on n’a pas encore réussi à imposer aux banques de choisir entre leurs spéculations financières, et les mandats de leurs clients. C’est complètement invraisemblable, et pourtant : quand vous demandez à la main droite de votre banque de faire pour vous une opération financière, rien n’empêche la main gauche de votre banque de monter une autre opération qui utilise cette information comme elle l’entend, dans SON intérêt et contre le vôtre ! Les banques ont convaincu les pouvoirs publics (pas trop méchants…) qu’il suffisait d’avoir dans toutes les réunions importantes des déontologues qui surveillent ce qui se dit et ce qui se fait. Le but n’est pas du tout d’éviter les conflits d’intérêt (ils sont innombrables et très rentables). Le but est d’éviter de se faire prendre la main dans le sac. Le déontologue contrôlera que rien n’est dit de choquant en sa présence, ou qu’on le dit dans la bonne forme (pour un exemple concret de cette tartufferie, relisez la Belle Histoire numéro 6 !). Mais rien n’empêche de le dire à un autre moment…

Évidemment, il serait plus simple qu’une banque ne serve qu’un seul maître : ou la banque, ou ses clients. C’est ce que viennent de décider les Américains en interdisant à leurs banques de spéculer pour leur propre compte (opérations dites « pour compte propre »). Mais rien encore en France…