Trois ouvrages parus en 2022 qui ont retenu l’attention des lecteurs du Prix Turgot et du groupe Vox-Fi :

 

Alain Trannoy, Étienne Wasmer, Le grand retour de la terre dans les patrimoines, Ed. Odile Jacob.

Cet ouvrage analyse un élément de la richesse parfois occulté par la mesure par le PIB et aussi relativement déconsidéré car « dormante », la terre. Elle représente pourtant de l’ordre de 7 000 milliards d’Euros en France.

Les auteurs analysent en détail les composantes de cette richesse foncière qui représente 33 % de la richesse totale (hors finance et bâti) et leur évolution depuis 1975 en France et dans d’autres pays européens. Ils analysent aussi la répartition de cette richesse et constatent, contrairement aux idées reçues que les grands patrimoines, comptent aussi une grande part de foncier et que cette répartition n’est pas très éloignée de celle des revenus des autres patrimoines. À long terme la valeur des terres et du logement augmente en fonction de la baisse séculaire des taux d’intérêts ce qui entraîne une baisse des rendements locatifs. La France a cependant connu une croissance de la valeur du foncier supérieure aux autres pays de la zone Euro en partie liée aux réglementations sur le foncier et la construction, et à la volonté politique (écologiste) de limiter l’artificialisation des terres ce qui entraîne une forte inflation dans les zones bâties.

Partant de ces analyses et constatations, la question se pose de tirer parti de cette richesse au niveau national en la taxant. Il s’ensuit une analyse des types de richesses et de leurs caractéristiques : stabilité, mobilité, variabilité, capacité d’investissement… et des taxations de chacune. Ils en concluent que taxer la richesse foncière hors bâti permettrait par un impôt à large assiette et faible taux de réduire la taxation pesant sur le capital investi et les salaires permettrait à la France de rattraper son retard productif. S’en suivent des propositions détaillées et chiffrées d’une vaste réforme fiscale à cet effet.

Cet ouvrage a le mérite de poser une question intéressante sur comment restaurer la compétitivité industrielle de la France par une fiscalisation du foncier (qui existe dans bien d’autres pays) appuyée sur des analyses précises et en apportant les solutions applicables. Mais est-il seulement possible d’ouvrir un tel débat ?

Alain Trannoy est directeur d’études à l’EHESS, professeur à l’école d’économie d’Aix-Marseille et conseiller scientifique à France Stratégie. Etienne Wasmer est Professeur à Sciences-Po Paris, et à New-York University Abu Dhabi. Les deux auteurs ont été membres du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre de 2012 à 2016.

 

Thomas Boccon-Gibod, Alban Mathieu (dir), Monnaie, souveraineté et démocratie, Ed. Le Bord de l’Eau, 2022, 284 pages.

L’ouvrage, rédigé par un collectif d’enseignants-chercheurs en économie, sociologie et philosophie, vise à analyser les liens entre les pouvoirs de la monnaie et de l’État. Ce questionnement est d’autant plus opportun que les rapports entre les politiques monétaire et financière des États font actuellement débat.

La 1ere partie qualifie d’autoritaire la souveraineté de l’État en matière économique et monétaire. Elle s’appuie sur la théorie, soutenue par Michel Foucault, selon laquelle la monnaie est « politisée » depuis la naissance de la société. Elle soutient, après Deleuze et Guattari, que le couple État-monnaie est un « appareil de capture » au service du « capitalisme mondial intégré ». Elle montre comment l’endettement public conduit les marchés financiers à « monétiser la souveraineté de l’État ».

La 2e partie analyse comment « réarticuler le fait monétaire et la décision politique ». Elle qualifie « d’équivoques les fondements monétaires et juridico-politiques de la souveraineté et montre comment une meilleure régulation des échanges mondiaux pourrait les renforcer. Elle critique la Modern Monetary Theory (MMT), qui succède à l’approche néo-keynésienne de la monnaie, comme favorable à l’endettement public et privé. Elle étudie les effets de la dollarisation de l’économie mondiale, au travers du cas de l’Équateur.

La 3e partie élargit le champ de la réflexion en présentant des relectures de certains textes fondateurs de l’économie monétaire, comme Simmel, Napoleoni, et Straffa. Elle explore les effets du développement des crypto-monnaies et des plates formes numériques, qui conduit à l’avènement d’une « souveraineté numérique » et d’une « post-modernité 2.0 ».

La lecture exigeante de l’ouvrage permet de mieux répondre à certaines questions sur le bien-fondé du quantitative easing engagé depuis 2008 et sur la création de monnaies numériques banque centrale.

 

Jean-François Serval et Jean-Pascal Tranié, Innovations financières et Réforme monétaire, Ed. Gualino, juillet 2022, 288 pages.

L’ouvrage est préfacé par Raphael Douady, ex directeur académique du Labex Régulation financière, et l’avant-propos est signé par Jacques de Larosière, ex-gouverneur de la Banque de France et directeur général du FMI, qui adhère aux solutions innovantes et pragmatiques avancées par les deux auteurs, dont il salue « l’immense expérience de la comptabilité, de la surveillance et de la gestion des grandes institutions et entités gouvernementales ».

Les auteurs formulent dans un opuscule à la fois pédagogique et pratique, un ensemble de propositions visant à échanger progressivement les dettes publiques accumulées depuis la crise de 2008 et reprises par la BCE dans le cadre de sa politique d’assouplissement quantitatif, par des participations dans des projets collectifs rentables d’infrastructures, de mobilité, de systèmes de santé, de recherche scientifique… Après d’utiles rappels des principes de la création monétaire et du financement des investissements publics et privés, les auteurs analysent les facteurs qui ont conduit les banques centrales à monétiser massivement « les dettes sans contreparties » engendrées par l’accumulation de déficits publics. Ils soulignent que cette « montagne de dettes doit être remboursée par nos petits enfants et que son renflouement sera inévitablement supporté par le contribuable ». Ils montrent que « la dérive des dettes souveraines s’est étendue aux entreprises, aux banques, aux ménages, aux étudiants… » Ils excluent d’appliquer des mesures radicales comme l’annulation ou le rééchelonnement des dettes publiques, qui entraînerait l’effondrement du système financier international. Ils proposent une véritable réforme de ce système qui exige toutefois certains préalables : un retour des États à l’orthodoxie budgétaire, une restauration de la neutralité de la monnaie et du statut de préteur en dernier ressort exercé par la banque centrale, l’adoption d’une monnaie digitale universelle et un élargissement de l’espace monétaire par l’adjonction des agrégats M5 (comptabilisant les échanges marchands) et M6 (y ajoutant les fonds propres privés). Ils s’inspirent des systèmes de financement mis en place par la Chine (les Routes de la soie), l’Union européenne (le « plan Juncker » et le plan Next generation) et les États-Unis (L’America Jobs Plan), pour proposer le lancement, dans chaque zone monétaire, de grands projets d’investissements publics et privés, rentables à long terme, dont les apports en capital seraient cantonnés dans un fonds de défaisance (ou de transformation) financé par une banque centrale. Les parts garanties de ces fonds se substitueraient progressivement aux titres de dette (actuellement non rémunérés) détenus par la banque centrale.

Ce programme complexe et ambitieux reprend certaines idées avancées dans le « rapport de la Rosière ». Il constitue une réponse crédible et innovante aux inquiétudes actuelles suscitées par l’accumulation incontrôlée de dettes publiques et privées.