Le principe « pas d’impôt sans représentation » va dans les deux sens. Si les contribuables ont un droit de regard sur la décision, ils doivent en accepter les conséquences. En Europe, cette relation entre contribuables et système financier ne fonctionne pas.

Dans les années d’avant-crise, plusieurs pays, dont l’Irlande et le Royaume-Uni, ont pris des mesures visant à assurer un environnement complaisant à leur système financier. Cela comprenait une fiscalité favorable des banques et le choix d’une autorégulation peu rigoureuse plutôt que de lourdes inspections et comptes-rendus. En conséquence, leurs banques ont grossi et sont devenues plus profitables, tout en accroissant leurs dettes et leurs prêts aux secteurs à risque comme l’immobilier. Les contribuables en ont tiré profit : les bénéfices des banques ont rempli les caisses de l’État à la mesure de la hausse des impôts, permettant des dépenses publiques plus élevées et une moindre pression fiscale.

Quand la crise est arrivée, ce secteur est devenu un fardeau. Les contribuables irlandais se retrouvent d’un seul coup face à la chute des recettes fiscales et face aux pertes bancaires. En principe, le coût de la restructuration de ces banques devrait reposer d’abord sur les actionnaires et les managers, puis sur les créanciers obligataires. Ce n’est que lors d’une crise systémique qu’on doit appeler les contribuables. La question devient : comment juger si une crise est réellement systémique, et donc si oui ou non les contribuables doivent légitimement assumer une part des coûts de sortie de cette situation ?

Là est le problème. Dans une économie fermée, les contribuables investissent leur épargne dans des instruments financiers domestiques. Il y a donc chez eux une forte incitation à voter pour un cadre réglementaire capable de prévenir des prises de risque excessives des banques, incitation qui coïncide d’ailleurs avec les intérêts des investisseurs, qui auront à supporter le coût en cas de crise bancaire. Dans ce cas, un régulateur politiquement responsable devant les contribuables est le mieux placé pour juger si une crise est systémique.

Dans un espace intégré financièrement comme l’est l’Europe, le sujet est plus complexe. Ici, ce qui est fait au niveau national révèle une certaine latitude dans l’application de la réglementation européenne commune et dans l’exercice de la supervision prudentielle. La motivation des contribuables à voter en faveur d’une approche plus active et plus rigoureuse se réduit quand les dettes bancaires ont été contractées à l’étranger et que le poids de l’ajustement peut être renvoyé sur des non-résidents.

Si la décision sur le caractère systémique ou non de la crise reste entre les mains des autorités du pays où résident les banques en difficulté, elles auront tendance à sous-estimer la dimension systémique de la crise et donc basculeront la charge à d’autres contribuables européens. En retour, ces autres pays considéreront, à raison, que tant que la supervision reste nationale et redevable uniquement aux contribuables du pays des banques en difficulté, ce sont à ces contribuables d’assumer en premier lieu la responsabilité d’une faillite bancaire

Dans un marché unique, de tels conflits d’intérêt compliquent considérablement la résolution des crises. Ils accroissent aussi la corrélation entre le risque bancaire et le risque souverain, minant à la base la stabilité financière, spécialement pour la zone euro. Une façon de réduire la charge pesant sur les contribuables à cause de ces incitations perverses est donc de réduire la latitude dont jouissent les régulateurs nationaux.

En fin de compte, cela signifierait une intégration au niveau européen, ou à tout le moins de la zone euro, de la supervision prudentielle, pour équilibrer la répartition des coûts lorsqu’une crise systémique se déclenche. Un tel choix n’est pas très séduisant politiquement, dès lors que chaque contribuable de la zone euro peut craindre de devoir payer pour renflouer les banques d’autres pays. Mais ces contribuables auront au moins l’assurance que les banques de chaque pays seront soumises à une supervision uniforme et indépendante, et qu’il n’y aura pas d’incitation à tolérer des prises de risque excessives dans tel ou tel pays.

Les événements récents ont montré que tant que la supervision reste une affaire strictement nationale et qu’on laisse beaucoup de latitudes dans la mise en œuvre de la réglementation et de la supervision financière, il existe un grand risque que ce soit le contribuable qui ramasse l’addition. Qu’il ne vienne pas se plaindre pas alors quand cela arrive.

 

Traduit par le Blog de la DFCG avec l’autorisation de la BCE. La version anglaise de cette tribune est parue dans le Financial Times du 12 avril 2011.

 

Lorenzo Bini-Smaghi est membre du directoire de la Banque centrale européenne, ndlr.