Il n’existe pas aujourd’hui de théorie unifiée de la structure financière. Depuis l’article de F. Modigliani et M. Miller en 1958 (1), trois familles de pensée concurrentes tentent d’expliquer le choix d’une structure financière :

 

  • La théorie du trade-off, selon laquelle les deux critères décisifs sont le niveau de l’impôt sur les bénéfices, et les coûts d’un endettement excessif. L’impôt favorise la dette sur les capitaux propres puisque les intérêts sont déductibles du bénéfice imposable, contrairement aux dividendes. En contrepartie, un niveau de dette trop élevé peut entraîner des difficultés pour l’entreprise (par exemple, l’impossibilité de financer de nouveaux projets profitables). On parle de « coûts du stress financier » ou de « coût de la faillite », terme moins approprié car ils apparaissent avant que la faillite ne survienne.

 

  • La théorie du pecking-order, selon laquelle les asymétries d’information déterminent la structure financière. Pour minimiser le coût de ces asymétries d’information, l’autofinancement est la ressource privilégiée pour un nouveau projet, puis l’endettement, et le financement par capitaux propres est le dernier recours.

 

  • La théorie du market-timing, selon lequel l’entreprise procède à des augmentations de capital dans les conjonctures de marché favorables (cours de bourse élevé), et se finance par endettement dans les conjonctures défavorables.

 

Chacune de ces théories a reçu le support d’études empiriques. Nous présentons ce mois-ci une étude transversale (2), portant sur tous les facteurs explicatifs du taux d’endettement (3) selon les différentes théories sur très longue période (1950 à 2003) aux Etats-Unis. Les résultats font apparaître six facteurs explicatifs dominants :

 

  • Le taux d’endettement augmente avec le taux moyen du secteur d’activité. Cet effet peut cacher des facteurs sectoriels spécifiques que la théorie n’a pas identifiés, ou simplement une tendance au mimétisme des directeurs financiers.

 

  • Les entreprises affichant un ratio market-to-book élevé ont un taux d’endettement plus faible. Ce ratio mesure essentiellement le potentiel de croissance. Le résultat est conforme à la théorie du trade-off, car les coûts du stress financier sont plus importants pour une entreprise en croissance.

 

  • Les entreprises dont le taux d’actifs corporels est élevé ont plus de dette. Là encore, le résultat est conforme au trade-off (moindres coûts du stress financier). En revanche, il est contradictoire avec le pecking order : plus d’actifs tangibles devrait signifier moins d’asymétries d’information, donc moins d’avantages de la dette sur les capitaux propres.

 

  • Les entreprises dont les profits sont élevés ont moins de dette. Cette fois, le résultat est contraire au trade-off, puisque les profits élevés augmentent la valeur pour l’entreprise de la déductibilité des intérêts : elles devraient donc plus s’endetter. Il est conforme au pecking order puisque les profits élevés permettent l’autofinancement, donc un moindre recours à la dette.

 

  • Les grandes entreprises ont plus de dette. Ceci est plutôt conforme au trade-off : les grandes entreprises, souvent plus anciennes, ont une meilleure réputation, ce qui limite les coûts du stress financier.

 

  • Une hausse de l’inflation anticipée incite les entreprises à s’endetter davantage. Cette idée est présente dans la théorie du market timing.

 

Selon l’étude, ces six facteurs expliquent dans les années 2000 environ 24% des différences de niveau d’endettement entre les entreprises, contre 42% dans les années 1950. Les nombreux autres facteurs testés ont un pouvoir explicatif très faible.

 

Deux conclusions peuvent donc être tirées de cette étude. Aucune des théories actuelles sur la structure financière ne rend parfaitement compte des facteurs de variation de la structure financière ; le pouvoir explicatif total de ces théories sur la structure financière est faible. Chercheurs, au travail !

 

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(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 38 du Vernimmen 2010.
(2) M.Z. FRANK et V.K. GOYAL (2009), Capital structure decisions: which factors are reliably important?, Financial Management, printemps 2009, pages 1-37.
(3) L’étude s’intéresse principalement à l’endettement mesuré en valeur de marché.