À vouloir justifier à tout prix la faible valorisation des actions, certains évaluateurs ont recours à un usage immodéré des décotes (la dernière en date étant la « décote projet de loi de finances 2013 » !), alors qu’ils devraient plutôt s’interroger sur la validité des flux de trésorerie prévisionnels communiqués par le management et sur la pertinence du taux d’actualisation ou du multiple retenu. Il faut rappeler que les primes et décotes devraient se limiter aux seuls décalages observés entre la valeur fondamentale d’une société, telle qu’elle ressort des méthodes usuelles d’évaluation (intrinsèques et analogiques pour l’essentiel) et le prix d’échange constaté a posteriori sur les titres correspondants.

Ces décalages peuvent être conjoncturels ou structurels. Conjoncturels, ils sont liés à l’offre et à la demande de titres à un moment donné. Ainsi les décotes d’illiquidité, qui avaient quasiment disparu en 2006 (cf. par exemple les Covered Bonds cotés et notés triple A), sont aujourd’hui très importantes. Structurels, ces décalages sont liés soit aux caractéristiques des titres échangés (titres individuels dans une société fermée, bloc minoritaire, bloc de contrôle), soit au contexte de la transaction (existence de synergies ou de clauses statutaires, évaluation dans un cadre fiscal).

Selon la Société française des évaluateurs (SFEV), l’utilisation de primes et décotes par l’évaluateur constitue un aveu implicite d’imperfection des méthodes d’évaluation mises en œuvre, en particulier lorsqu’il n’existe pas de sources ou de référentiels (primes de risque, comparables boursiers, multiples de transaction) pour appréhender les caractéristiques de l’entreprise évaluée, ou lorsque le contexte de la transaction justifie un écart entre la valeur et le prix, sans qu’il soit aisé de le quantifier. Précisément, on constate trop souvent l’application de pourcentages forfaitaires sans véritable justification. De même, l’empilement de plusieurs décotes (taille, minorité et illiquidité par exemple) ne peut se justifier que dans des contextes très particuliers.

Ainsi la décote de taille divise les praticiens. Ne disparaît-elle pas quand un acteur significatif se met à consolider un secteur ? Toutes choses égales par ailleurs (marges, croissance, bêta), le montant sensiblement plus élevé de la prime de risque des small caps procède en fait d’une problématique de liquidité et de coût de diversification. La décote de minoritaire ne fait pas davantage consensus. Elle n’a pas de sens quand le minoritaire peut attendre pour vendre et que le majoritaire a tout intérêt à acheter les minoritaires, puisque l’on voit au contraire dans ce cas des primes ! La décote de minorité ne se justifie en fait que lorsque le système de gouvernance n’empêche pas les « bénéfices privés » au profit de l’actionnaire majoritaire, ou lorsqu’il s’agit d’actions à droit réduit. La décote d’illiquidité est la plus couramment admise. Le risque d’illiquidité est d’autant plus important que les titres de la société ne sont pas cotés ou sont cotés sur un marché peu liquide. Elle est également liée à la géographie du capital et au flottant, sauf lorsqu’il existe un pacte d’actionnaires prévoyant des options de sortie pour les minoritaires. La moindre liquidité se traduit alors par un coût correspondant au prix d’acquisition d’une option évaluée sur la base de l’horizon d’une sortie probable par transaction majoritaire ou introduction en Bourse.

En tout état de cause, l’utilisation de décotes insuffisamment rationalisées est sujette à contestation. L’absence de référentiel sur le sujet ne permet pas une application mécanique, même dans le domaine fiscal, et les rares études statistiques ou académiques existantes montrent une forte volatilité des décotes dans le temps et dans l’espace. Pour autant, leur utilisation est reconnue par la doctrine. Encore faut-il procéder à une analyse approfondie des spécificités de la société et de la situation de façon à appréhender les risques mesurables dans les prévisions de trésorerie ou dans la prime de risque spécifique ajoutée au coût du capital. Les décotes, comme les primes, sont acceptables lorsqu’elles corrigent les effets qui n’ont pu être pris en compte par les méthodes d’évaluation usuelles. Leur utilisation permet également de justifier les écarts apparaissant au terme d’une approche multicritères.

 

Contribution originale de la DFCG pour Option Finance.