En matière d’embarras, il est difficile de choisir entre l’attaque populiste faite l’année dernière par la SEC, l’agence américaine de surveillance des marchés financiers, contre la banque d’investissement Goldman Sachs et la réponse emberlificotée qu’en a fait Goldman la semaine dernière.
En avril dernier, quand la SEC s’est portée en justice contre Goldman, la banque aurait pu contre-attaquer. La plainte portait sur le fait qu’elle avait vendu des titres financiers fantaisistes sans dévoiler qu’un manager de hedge fund, John Paulson, pariait que ces mêmes titres allaient exploser. [Voir sur cette opération conduite par Goldman le Blog du 17 mai 2010 : Abacus ou parier sur le malheur des autres : pour ou contre les CDS « secs » ?, note de la rédaction.] Ce à quoi Goldman aurait pu répondre : et alors ? A chaque fois qu’une banque d’investissement vend un quelconque dérivé, il devrait être évident pour l’acheteur qu’il y a quelqu’un en face qui prend le pari inverse. L’affirmation que Goldman a induit en erreur les acheteurs sur la nature de l’implication de Paulson était potentiellement plus dangereuse, sauf que la SEC n’a jamais produit la moindre preuve à son appui.
Ce n’était certainement pas au-delà des talents des communicants de Goldman de faire valoir ces simples arguments. Les banques ne peuvent être tenues responsables des profits ou des pertes de leurs clients, puisque les intermédiaires ont nécessairement des clients qui perdent quand d’autres gagnent. Mais après une vaine tentative pour expliquer ce qu’est une tenue de marché lors d’une audition assez bagarreuse devant le Sénat, le patron de Goldman, Lloyd Blankfein, a laissé tomber. Il a transacté avec la SEC, même si la plupart des juristes pensaient qu’il aurait eu gain de cause. Puis il a ordonné un rituel de purification sophistiqué pour restaurer le nom de Goldman Sachs.
Quelques mois après, les fruits de ces salutations au soleil sont là. Un manifeste de 67 pages, plein de mortification, proclame que « les intérêts de nos clients viennent en premier » et que « si nous servons bien nos clients, le succès suivra ». Mais ces vœux pieux ratent tout autant que la plainte de la SEC ce qu’est une banque d’investissement.
La première des loyautés d’une banque, ce sont ses profits, pas ceux de ses clients – c’est « nous contre eux », pas « Hare Krishna ». Malgré leurs dénégations, les banques prennent souvent leurs clients pour des gogos, gardant pour elles les meilleurs investissements et le reste pour eux. Elles utilisent les informations tirées de leurs livres d’ordre pour se faire de l’argent dans le trading pour compte propre. Elles conseillent à leurs clients de fusionner, d’acquérir des rivaux et d’émettre copieusement des titres de capital et de dette, autant d’activités qui génèrent des commissions sympathiques mais qui sur la durée ne bénéficient pas toujours aux entreprises.
Prenez par exemple la transaction récente de Goldman avec Facebook. Au tout début, le fonds de private equity de Goldman pensait apporter lui-même le capital nécessaire à Facebook, mais il n’a pas aimé la valorisation vertigineuse retenue et a passé son tour. Dans l’espoir d’être mandaté pour la possible mise en bourse de Facebook, Goldman a injecté 450 M$ de son propre argent pour solidifier sa relation commerciale. Il a ensuite invité ses clients à mettre les 1,5 Md$ supplémentaires, mais avec des termes considérablement moins favorables que ceux-là mêmes que son fonds avait rejetés. Bien sûr, si le réseau social de Facebook prospère, ces clients en seront ravis. Mais on peut difficilement dire que Goldman a mis leurs intérêts avant les siens.
Goldman avait l’habitude de dire que son trading pour compte propre ne représentait pas plus qu’un dixième de ses profits, ce qui rendait négligeables les conflits possibles. Qui peut croire cela ? Si le trading de Goldman est là pour générer des commissions de trading, il sert aussi à collecter sur les positions des principaux acteurs des informations qu’elle utilise pour placer ses propres paris.
Au crédit de Goldman, l’exercice de purification dévoilé cette semaine aura candidement montré à quel point ces paris sont lucratifs. Pendant les neuf premiers mois de 2010, l’investissement pour compte propre a représenté un cinquième du résultat avant impôt de la banque ; et en un seul trimestre un montant remarquable de 59%. Puisque chaque investissement représente une opportunité que les clients de Goldman auraient pu vouloir, pourquoi alors prétendre que les clients de la banque viennent en premier.
La vérité, c’est que les banques d’investissement sont pleines de conflits d’intérêt – en premier lieu entre leur trading et celui de leurs clients ; ensuite entre différentes classes de clients, que la banque intervienne en tant que conseiller, teneur de marché, souscripteur ou garant. Il n’y a pas de psalmodie védique qui puisse remettre de l’harmonie entre ces personnages partagés. La solution est de séparer les banques en différentes unités, de telle sorte que les experts en fusion-acquisitions, les teneurs de marché et les traders pour compte propre ne cohabitent plus. Un Wall Street reconfiguré en boutiques de spécialistes serait plus sain pour les clients. Et puisque les boutiques sont plus petites que les méga-banques d’aujourd’hui, elles seraient « small enough to fail » [assez petites pour être mises en défaut].
Tout ceci sautait aux yeux de ceux qui se donnaient la peine de regarder. Quantité de boutiques spécialistes en conseil ou en investissement, dont les hedge funds – attaqués stupidement comme étant de la banque parallèle ou du shadow banking parce qu’elles manquaient de publicistes et d’amis à Washington – sont nées sur le principe que des structures en partenariat sont préférables à des grosses structures pataudes empêtrées dans les conflits. Mais pendant des années les responsables politiques ont eu peur de défier les grandes banques d’investissement, se disant pour se consoler que les clients pouvaient toujours voter avec leur portefeuille s’ils étaient mécontents. Or, les clients n’étaient que choqués ou ignorants. Peut-être que les mortifications de Goldman les aideront à se réveiller.
L’auteur est senior fellow au Council on Foreign Relations, et l’auteur de « More Money Than God: Hedge Funds and the Making of a New Elite ».