Le spectre de la restructuration de la dette publique grecque qui plane depuis plusieurs semaines fait à nouveau douter de la capacité du système bancaire grec à se refinancer et à assumer les pertes qui en découleraient.

Nous regardons la structure du bilan des banques helléniques et leur exposition au risque souverain domestique afin de mesurer l’impact que pourrait avoir une restructuration.

Nous montrons que les principales conséquences seraient :

  • Une forte détérioration du capital des banques et donc un besoin de recapitalisation pour éviter la faillite du système ;
  • une crise de liquidité en raison de la fermeture des marchés aux banques helléniques et de l’exclusion des titres grecs restructurés au guichet de la BCE ;
  • une forte dépréciation de l’ensemble des titres grecs (publics et privés) par effet de contagion ;
  • un risque de bank run qui accentuerait la crise de liquidité ;
  • un risque de contagion aux autres pays de la zone euro en difficulté (Portugal, Irlande, Espagne).

 

Depuis la mise en place du plan conjoint de l’Union européenne et du FMI d’assistance financière en mai 2010, le bilan des banques grecques s’est contracté. [tooltip text= »Nous avons ajusté les montants publiés par la Banque centrale de Grèce pour tenir compte du changement méthodologique intervenu en juin 2010. Depuis cette date les actifs collatéralisés sont réintégrés au bilan comptable des banques ayant adopté les normes comptables internationales. Le bilan comptable a donc augmenté à cette date de 38 mds d’euros. Pour assurer la comparabilité des données, nous avons procéder à des ajustements de l’actif et du passif. »]Il a ainsi diminué de 2,1 % en GA entre décembre 2009 et décembre 2010 pour atteindre 482 mds € fin 2010[/tooltip], avec une baisse particulièrement prononcée depuis mai 2010.

 

Au-delà de la baisse en valeur, nous regardons le changement de la composition du bilan des banques entre les différentes classes d’actifs et de passifs.

 

Relativement stable entre 2008 et 2009, la composition du passif des banques commerciales grecques a connu une forte mutation au cours de l’année 2010, caractérisée par :

  • Une baisse de 27 % en valeur des ressources provenant des autres institutions financières (-25 mds d’euros). La part de cette catégorie dans le total du passif est passée de 19 % en 2009 à 14 % en 2010. Cette évolution reflète les difficultés d’accès au marché interbancaire des banques grecques et leur difficulté à se refinancer ;
  • une baisse conséquente des dépôts des agents non financiers (principalement des dépôts du secteur privé : ménages et entreprises) de 32 mds €, via à une baisse de 10 % des dépôts du secteur privé domestique (qui représente à lui seul près de 45 % des ressources totales des banques grecques) et une baisse d’environ 30 % des dépôts des agents non résidents ;
  • la multiplication par deux des dépôts de la Banque centrale de Grèce, de 49 à 97 mds, principalement en raison des opérations de refinancement auprès de la Banque centrale européenne (BCE) ;
  • une hausse des provisions pour créances douteuses (+ 78 %, + 6 mds) conforme à la détérioration de l’économie.

 

L’étude du passif des banques grecques montre le changement « obligé » de stratégie en termes de refinancement. La baisse des dépôts (reflétant la défiance des agents privés vis-à-vis du système bancaire domestique) et la fermeture des marchés interbancaires ont été compensées par les opérations de refinancement auprès du guichet de la BCE (cf. Le système de prêt collatéralisé de la BCE) avec l’apport d’actifs collatéraux (principalement des titres de dette souveraine grecque).

 

[learn_more caption= »Le système de prêt collatéralisé de la BCE »]La Banque centrale européenne offre (BCE) aux banques la possibilité de se refinancer en échange d’apport d’actifs financiers en garantie. Afin de limiter les risques encourus par la perte de valeur de ces actifs, la BCE applique les principes suivants :

 

  • Principe de décote : Selon le rating des actifs financiers, leur liquidité et leur type de coupon (zéro coupon ou coupon fixe), la BCE applique une décote sur les actifs collatéralisés. Par exemple, pour un actif à coupon fixe, de maturité 4 ans et de rating BBB+, la décote appliquée par la BCE est de 7,5 % ; c’est-à-dire que le prêt accordé par la BCE sera égal à 92,5 % de la valeur actuelle de l’actif collatéralisé.
  • Principe d’appel de marge : La BCE impose que la valeur décote-ajustée des actifs collatéralisés soit maintenue au fil du temps. Si la valeur des actifs donnés en garantie baisse, la contrepartie du prêt (les banques), doit apporter du cash ou des actifs supplémentaires afin de compenser cette baisse.

[/learn_more]

 

Du côté de l’actif (baisse totale de l’actif de 10 mds € sur l’année), les changements se traduisent principalement par :

 

  • Une hausse de 14 mds € des prêts aux agents non financiers, principalement via la hausse 6 mds € de prêts au gouvernement grec (+50 %) et d’un montant équivalent des prêts accordés au secteur privé domestique (+3,4 %) ;
  • un encours d’obligations stable, mais avec une forte variation de la composition du portefeuille obligataire : +11,2 mds € (+33%) en obligations du trésor grec, -8,2 mds € (-27 %) d’obligations du secteur privé hors zone euro ;
  • une forte baisse des prêts aux autres institutions financières (-25 mds €, soit une variation de 22 %), que ce soit au niveau domestique ou extérieur. Cette baisse est équivalente à celle enregistrée au passif en raison des difficultés d’accès au marché interbancaire.

 

En outre, la part d’actifs étrangers (créances, prêts, obligations et actions non domestiques) dans le total des actifs est passée de 34 % en décembre 2009 à 26,9 % en décembre 2010 (baisse de 38 mds en valeur).

 

Nous avons vu que les banques grecques sont :

  • Fortement dépendantes des prêts collatéralisés de la BCE (environ 100 mds d’euro, soit 20 % du total du passif) ;
  • fortement exposées au gouvernement central grec dont l’encours de prêt a fortement augmenté, pour atteindre un peu plus de 60 mds d’euros en décembre 2010 (45 mds de titres souverains grecs, 15 mds de prêts).

 

 

Quels seraient alors les effets d’une restructuration sur les banques commerciales ?

 

Important détenteur des titres du trésor grecs, les banques commerciales auraient à essuyer de très lourdes pertes dans le cas d’une restructuration de la dette souveraine. Une décote de 30 % entraînerait une perte directe d’environ 15 mds (uniquement via la perte de valeur des obligations grecques, sans considérer les probables effets de contagion). Cette perte consommerait 34,1 % des capitaux propres et réserves du système bancaire, qui s’élevaient à 44 mds d’euros fin 2010.

 

A cette perte directe, s’ajouteraient les problèmes suivants :

  • crise de liquidité : difficulté voir impossibilité de se refinancer sur les marchés financiers durant de nombreuses années ;
  • appel de marge de la BCE sur les actifs collatéralisés qui obligerait les banques commerciales à apporter davantage d’actifs ou de cash à la BCE pour compenser les pertes sur les actifs collatéralisés ;
  • augmentation du haircut de la BCE, via la baisse du rating des obligations souveraines, voir même plus probable, impossibilité totale de se refinancer auprès de la BCE (la BCE pourrait ne plus accepter les obligations publiques grecques en collatéral).

 

A ces conséquences directes et instantanées, on peut ajouter avec une probabilité plus ou moins forte, les effets suivants :

  • baisse des dépôts domestiques, avec probable mouvement de panique (bank run) ;
  • baisse de la valeur des autres actifs financiers, via le phénomène de contagion aux autres pays européens (Portugal, Irlande, Espagne) ;
  • augmentation des créances douteuses.

 

Les effets d’une restructuration de la dette seraient donc destructeurs pour les banques commerciales grecques et risqueraient fortement d’entraîner la faillite de certaines banques, voire de créer un effet domino sur les pays européens en grande difficulté (Portugal, Irlande, Espagne).