Les plans de retraite entreprise à prestations définies (assurant par exemple une pension égale à x pour cent des derniers salaires de l’employé) sont en voie de régression aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne sous les coups de boutoir de la « valeur actionnariale ». Ford et General Motors donnent l’exemple de ce mouvement de retrait. En effet, le risque actuariel (celui de la valeur future – inconnue – de la prestation à verser) est à la charge de l’actionnaire, alors qu’un système à cotisations définies assure que le salarié ne touchera que ce qu’il a cotisé, transférant ce risque de valorisation du capital retraite de l’entreprise vers le salarié. Ces plans restent en vigueur en France sous la forme des fonds pour indemnités de fins de carrière, qui représentent souvent des montants très importants, allant jusqu’à un quart et plus de la masse salariale annuelle.

Ils font depuis 2006 l’objet d’un meilleur traitement comptable avec les normes IFRS. Désormais, si ces engagements sont adossés sur des actifs financiers en représentation, et si la couverture est « efficace », ils peuvent passer sous le régime de la comptabilité de couverture ou hedge accounting, ce qui veut dire que les variations éventuelles de la valeur du solde ne passent pas en compte d’exploitation. C’est un point en évolution puisque IFRS a proposé un exposé-sondage dans lequel les écarts actuariels résiduels passeraient en compte d’exploitation (en autres éléments du résultat global) rejoignant ainsi le traitement proposé par les US Gaap.

C’est une incitation pour les entreprises à faire la couverture. Avec quel type d’actifs la faire ? Sachant que ces engagements ont la nature d’une dette vis-à-vis des salariés dont la durée est calquée sur le rythme des départs en retraite, la meilleure protection à l’actif consiste à couvrir les engagements sous forme de produits de taux. Ainsi la couverture, plus ou moins parfaite, est éligible à la comptabilité de couverture.

Economiquement, c’est l’usage optimum du bilan du point de vue du risque, comme quoi un traitement comptable judicieux incite l’entreprise à adopter le bon comportement financier (et à l’inverse un mauvais a des conséquences financières perverses). Il y a en effet un raisonnement erroné par lequel il serait bon soit de ne pas faire du tout la couverture d’investir ; soit au contraire d’adosser les engagements sur des actifs à risque, type actions ou dérivés, y compris, horreur !, actions de l’entreprise elle-même, sur l’idée que cela améliore leur rendement à long terme. Mais c’est oublier que les engagements et les actifs mis en face appartiennent à l’entreprise, et donc que les gains et les risques résiduels d’un tel portefeuille pèsent sur les fonds propres de l’entreprise (sauf au point extrême où l’entreprise devient insolvable et où c’est alors le salarié ou les caisses d’assurance sur lesquels se reporte le risque).

Du coup, ne pas couvrir revient à couvrir par des actifs industriels de l’entreprise, dont ce n’est pas le rôle. Chercher du rendement supplémentaire par des actifs financiers à risque revient à prendre du risque financier (et à utiliser des fonds propres pour cela) plutôt que de placer ses fonds dans l’activité industrielle, ce qui est la mission de l’entreprise. Un fonds investi partiellement en actions au sein d’un bilan d’entreprise s’analyse synthétiquement comme la somme d’un fonds parfaitement couvert, et d’un investissement sec en actions financé par de la dette, ce qui n’est pas la mission de l’entreprise.

Dans les deux cas, non couverture ou sur couverture, on utilise des fonds propres de l’entreprise à une mission pour laquelle ils ne sont pas adaptés. Dans une approche moderne du bilan, centrée sur les risques – c’est-à-dire celle du directeur financier d’aujourd’hui –, les fonds propres doivent être vus comme une assurance tout risque, dont on sait que c’est la plus coûteuse. Pourquoi alors utiliser une telle assurance s’il est possible d’appliquer des assurances spécifiques, forcément moins coûteuses ? Il ne vient aujourd’hui à l’idée d’aucun directeur financier de ne pas assurer ses installations industrielles contre l’incendie et de préférer l’auto-assurance, c’est-à-dire de s’assurer avec ses fonds propres. Pareillement, les indemnités de fin de carrière doivent être couvertes par des instruments financiers de type obligataire, ou encore faire l’objet d’assurances spécifiques sur le marché de l’assurance (ce qui peut présenter un avantage fiscal en raison de la déductibilité de la prime d’assurance).

Maintenant qu’on a vu, à l’occasion de la dernière crise, à quel point les obligations privées sont corrélées aux actions, il est même préférable de retenir des papiers obligataires d’État, sachant qu’avec les déficits budgétaires actuels, cette denrée ne va pas manquer dans les années à venir.

On peut dire les choses avec un vocabulaire plus financier. Pensez à une entreprise qui a un actif économique de bêta égal à 1, sans dette. Le bêta des fonds propres (ou bêta equity) est donc aussi égal à 1. Rajoutez maintenant dans l’entreprise un fonds de pension à prestations définies pour un montant équivalent à l’actif, intégralement placé en actions dont le bêta est également de 1, et dont les engagements sont de la pure dette, disons avec un bêta de 0,2. Le nouveau bilan de l’entreprise se présente ainsi : au passif, la dette est égale aux fonds propres. Il y a un levier d’endettement de 0,5X. Les actifs, financiers et industriels, conserve un bêta-actif de 1. En raison de l’effet de levier, le risque des fonds propres s’accroît. En effet, le nouveau bêta-equity devient 1,8 ! Le coût du capital s’accroît sacrément .

De la même façon que le débat sur les stock-options a été clarifié par les nouvelles normes comptables, le débat plus important encore sur les engagements des entreprises vis-à-vis de leurs salariés au titre de leur retraite est enfin sur de bons rails.

Cet article a été publié une première fois sur Vox-Fi le 24 février 2014.