Dans un récent papier, à lire absolument, Pierre-Olivier Gourinchas reprend l’observation qu’il avait pu faire il y a quelques années avec Hélène Rey, celle d’une économie américaine ressemblant diablement à un hedge fund[1]. Le graphique qui suit l’illustre formidablement.

VOX-FI 03052016

On y voit que les États-Unis ont une position fortement négative et croissante en termes de prêts bancaires et d’obligations (ils s’endettent de façon croissante vis-à-vis du reste du monde, ceci pour 45% de leur PIB), mais par contre ont une position créditrice en actions et en investissements directs (ils investissent en fonds propres dans le reste du monde). Bref, comme un hedge fund qui s’endetterait fortement pour se mettre long en actions.

C’est un jeu gagnant, en première analyse. Gourinchas estime que la rémunération obtenue par la position en fonds propres a été supérieure entre 2% et 3,8% depuis 1973 à la dette qu’ils ont en produits de taux d’intérêt. L’effet de levier joue à plein. Si le spread est à son minimum de 2%, les États-Unis peuvent déjà s’acheter un déficit courant (commerce extérieur de biens et services) de 2% tout en restant à l’équilibre en balance des paiements ! Et ceci ne prend même pas en compte les plus-values non réalisées sur les investissements directs. Les États-Unis jouent en fait de leur position de quasi-monopole en fourniture d’actifs financiers sans risque ou sûrs (« safe assets »). Un nouvel privilège exorbitant ! Mais ceci n’est qu’une moyenne : la très grande volatilité du prix des actions et sa chute brutale de 2008 créent des chocs très violents sur la position financière des États-Unis. Ils sont assez gros pour amortir le coup, mais cela n’en va pas forcément de même pour des pays plus petits qui sont également fournisseurs d’« actifs sûrs ». On pense à l’Allemagne et surtout la Suisse.

Remarquons que si le déficit commercial américain devait s’accroître ou le cours des actions au niveau mondial devait chuter, cela a tendance à faire baisser le dollar – c’est ce qui s’est passé entre la mi-2007 et la mi-2008, période où l’euro est passé de 1,30$ environ à 1,60$ –, ce qui accroît le rendement en dollars de leur position en actions et investissements directs.

L’article souligne toutefois que cette configuration risque fort de ne pas durer, et, au lieu d’être stabilisatrice, elle risque même d’entraîner des désordres sur les marchés financiers. En effet, le « reste du monde » s’accroît, en proportion de l’économie américaine, ce qui accroît la demande en actifs sûrs, et les États-Unis ne peuvent pas fournir infiniment. D’où la baisse des taux d’intérêt réels à laquelle on assiste depuis une décennie. Tout cela serait supportable si un blocage n’apparaissait pas désormais que les taux d’intérêt nominaux ne peuvent guère descendre en dessous de zéro. L’ajustement par les taux d’intérêt ne peut plus se faire, ce qui entretien un climat récessif au niveau mondial. Et un contexte de taux bas associé généralement à des marchés financiers sujets à bulle, désordres et instabilité.

[1] Pour être complet, la référence à cet article, ainsi que les commentaires du graphique, reprennent largement le post écrit par Tim Taylor dans son Blog (à recommander également).

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 11 mai 2016.