Les frais d’acquisition sont des frais, à la fin !
Les prestations de service qu’achètent les entreprises quand elles acquièrent des actifs sont bien curieusement mesurées en comptabilité. Si j’achète un immeuble 50 M€ en direct, ce sont 50 M€ que j’inscris à mon bilan ; si je l’achète via les services d’un agent au coût de 2 M€, l’actif rentre au bilan pour 52 M€. Cela pour suivre le principe du plan comptable français, selon lequel les actifs acquis par l’entreprise sont mesurés à leur coût d’acquisition, qui prend en compte le sacrifice consenti pour les acquérir. Seule différence pourtant, le service d’intermédiation est rendu pour compte propre dans le premier cas, acheté à un agent externe dans le second. En quoi l’immeuble a-t-il une valeur différente ? Pourquoi les coûts disparaissent-ils dans le second cas ?
Les prestations de service qu’achètent les entreprises quand elles acquièrent des actifs sont bien curieusement mesurées en comptabilité. Si j’achète un immeuble 50 M€ en direct, ce sont 50 M€ que j’inscris à mon bilan ; si je l’achète via les services d’un agent au coût de 2 M€, l’actif rentre au bilan pour 52 M€. Cela pour suivre le principe du plan comptable français, selon lequel les actifs acquis par l’entreprise sont mesurés à leur coût d’acquisition, qui prend en compte le sacrifice consenti pour les acquérir. Seule différence pourtant, le service d’intermédiation est rendu pour compte propre dans le premier cas, acheté à un agent externe dans le second. En quoi l’immeuble a-t-il une valeur différente ? Pourquoi les coûts disparaissent-ils dans le second cas ?
Il en va de même si j’achète une entreprise, si j’émets des actions nouvelles ou si j’introduis mon entreprise en bourse. Les services des banquiers sont la plupart du temps facturés en pourcentage du montant de la transaction, ce qui les rend assez indolores : 1% pour une émission d’actions, 1 à 2% pour une opération de fusion-acquisition, de 3% à 7% pour une levée de fonds dans le cadre d’une mise en bourse… Une commission de 1% pour le rachat d’une entreprise d’une valeur de 500 M€ représente 5 M€ de charges, c’est-à-dire 28 ans de salaire d’un cadre d’entreprise payé 15.000€ brut par mois. Cette commission n’apparaît jamais directement dans le compte de résultat de l’acheteur. (Pour la petite histoire, le conseiller saura dire à son client que la commission de 1% est bien moindre que l’économie que son service a permis. On veut bien le croire. Mais le conseiller du vendeur fera valoir le même argument à rebours chez son client, qui paie lui aussi 1%. Pourtant, à part le réel service rendu à apparier un acheteur et un vendeur, la négociation ne diffère guère d’un jeu à somme nulle, valant sans doute moins que 10 M€).
Troisième exemple, moi PME souhaite à présent acheter 10 M€ de dollars pour une opération de couverture en trésorerie. La banque me facture 10,05 M€, pour des dollars qu’elle achète 10 M€. Il y a 0,5% de frottement qui représente la valeur ajoutée du service d’intermédiation. (J’acquitterais 0,05% si j’étais un grand groupe !) Pourtant, ces 50 K€ de commission échappent à jamais à mes coûts et donc, très probablement, à ma surveillance.
Une économie de marché doit aider à révéler les coûts
Par ce traitement comptable, le coût de ces services est oublié du compte d’exploitation. Immobilisé au bilan, il ne réapparaît (dans le meilleur des cas) que de façon très lissée via l’amortissement. Qui ne verrait que ce principe contribue à l’opacité tarifaire, qu’il est inflationniste et qu’il aide au gonflement des rémunérations dans les professions de conseil aux entreprises : juristes, banquiers d’affaires, agents, courtiers…
De plus, il est incohérent d’un point de vue comptable. Si jamais, par une louable précision scientifique des évaluateurs, un calcul de valeur recouvrable devait indiquer l’année suivante que l’entreprise rachetée ne vaut plus 505 M€ mais seulement 501 M€, il faudrait déprécier les comptes de 4 M€. Sans aucune raison pourtant, l’entreprise valant toujours plus que son prix à l’achat, 500 M€.
Deuxième incohérence, celle-ci financière : la banque-conseil aura bien mis ses commissions de 5 M€ dans son compte d’exploitation et non directement en fonds propres. Au nom de quelle logique le revenu d’un fournisseur n’apparaît-il pas en consommation intermédiaire de l’acheteur ?
Les normes IFRS ont entamé une révision de ce principe, en arguant justement que le coût à mettre au bilan doit être le prix de l’actif librement négocié sur le marché (la juste valeur). Les coûts d’acquisition sont donc des coûts. Mais elles s’arrêtent trop vite en chemin en limitant ce principe aux seules transactions sur sociétés (norme IFRS 3R). Toute autre commission reste noyée dans le bilan. Il semblerait qu’IFRS souffre parfois d’un manque de juste valeur plutôt que d’un excès !
Quelques directeurs financiers ont renâclé devant l’obligation comptable d’extérioriser le coût d’une commission de M&A dans leurs comptes consolidés. Rien de mieux pourtant que de « sentir la douloureuse » pour faire pression sur les prix, plutôt que de la cacher dans les replis d’un bilan. C’est bien ce qui explique l’adhésion croissante des directions financières. Le propre d’une économie de marché, c’est que le prix soit révélé, de façon à ce que la concurrence joue son rôle prophylactique. Un coût est un coût, à la fin !
_________________________________________________________________________________________
Contribution originale de la DFCG pour Option Finance.
Vos réactions
Absolument, il y a en effet un sous-entendu managérial. Quel chef d’entreprise n’a jamais eu la tentation d’amortir un projet important sur 15 ans plutôt que sur 10 ans s’il en a les moyens. La comptabilité est là pour rendre compte, ce qui signifie exprimer le mieux qu’elle peut la valeur des flux de l’entreprise. Quand elle a la logique économique pour elle, elle doit éviter les tentations.
Report comment
Sur le première dite incohérence, il semble difficile, quel que soit le système comptable utilisé, qu’il n’y ait pas dépréciation dans le cas où l’actif a perdu de la valeur.
Sur la seconde, comment ne pas distinguer la production de biens d’équipement ou de biens capitaux, tel un avion ou un immeuble, et la production de biens ou de service de consommation immédiate. Consommation immédiate chez l’un (par exemple, le service d’un conseil financier), production immédiate chez l’autre.
Report comment
Techniquement, il me semble logique que la comptabilité constate la consommation de la prestation sur la durée d’usage de la dette ou de l’actif acquis, donc activée et amortie.
Ce sont les sous-entendus managériaux qui m’inquiètent un peu… Une prestation tarifée en pourcentage de la transaction serait « indolore » ? Un charge passée à l’actif plutôt que directement en compte de résultat échapperait à la surveillance ? On est peut-être en face d’un problème de contrôle interne, alors.
Il semble en définitive que soit plus le coût de ces services qui soit mis en cause ici. Il s’agit plus d’une affaire de négociation que de comptabilité…
Report comment
Sur la première incohérence: l’article la démontre en utilisant l’obligation de coller à la « valeur recouvrable ». L’argument serait fort si l’on démontrait d’abord que cette réévaluation permanente des actifs est inattaquable.
Sur la seconde: « au nom de quelle logique le revenu d’un fournisseur n’apparaît pas dans la consommation intermédiaire de l’acheteur »? Peut-être au nom de la même que lorsqu’on fait construire un bâtiment par un entrepreneur: sa production est immobilisée chez l’acheteur.
Report comment