Ainsi commence le chapitre sur le paiement de l’indemnité de guerre rédigé par Léon Say, dans un livre déterré de chez un bouquiniste : « Les finances de la France sous la IIIe République », Paris, Calmann-Lévy, 1898. Léon Say était petit-fils de l’économiste Jean-Baptiste Say, lui-même excellent économiste et journaliste, spécialiste des matières financières. Il fut ministre des finances entre 1872 et 1873, et à ce titre le principal opérateur dans l’organisation de cette gigantesque opération financière. Il est crédité d’avoir opéré la chose avec un brio remarquable.

En effet, tout s’est effectué sans anicroche et la France a payé rubis sur l’ongle son vainqueur.

 

Les montants en cause

Le total exigé par l’Allemagne était de 5 MdF, avec l’échéance suivant : 1 MdF en 1871, 500 M€ en 1872 et le tout soldé en mars 1874, ceci avec un taux d’intérêt de 5 %, ce qui portait la dette à 5,3 MdF. Il s’y ajoutait les dépenses d’entretien des troupes allemandes, lourdement présentes pour s’assurer du bon paiement, et les dégâts subis par le pays, soit un coût total pour le budget de l’ordre de 10 MdF.

Le montant est énorme. Par référence, le revenu national de l’époque était de 18,8 MdF (source : ici) et le budget de l’État (en 1872) de 2,3 MdF. Le poids de l’indemnité était donc de l’ordre de 30% du revenu national et de 230 % du budget public.

 

Comment cela a-t-il été payé ?

Les accords de paix indiquaient que les sommes étaient payables sous forme métallique en florins d’Allemagne ou en thaler (deux monnaies en cours dans les États allemands d’avant la création du Reich en 1873, création qui allait voir naître le Reichsmark. Une partie pouvait être payée en billets de la Banque d’Angleterre.

Dans la réalité, la France a pu payer une partie en billets de la Banque de France et par cession, prévue dans les accords pour 375 MF, des chemins de fer d’Alsace et de Lorraine. Le Trésor français, dans son malheur, a su profiter d’une aubaine : lors de la création du Reichsmark, c’est l’étalon-or qui a été choisi par le nouvel empire. Or beaucoup des monnaies locales étaient basées sur l’argent. Il y a donc eu un reflux considérable d’argent qui a permis à la France (qui vivait sous le régime du bi-métallisme, d’en récupérer pour pas cher, et selon les conventions, de s’en servir pour payer sa dette. Par ailleurs, les monnaies allemandes circulaient en France, ceci en raison des dépenses de l’armée allemande sur le territoire, et ces liquidités ont pu servir également, pour des montants modestes, à payer la dette.

Le gros de la dette a été éteinte par le lancement de trois gros emprunts : le premier auprès de la Banque de France pour 1,530 MdF, suivi de deux rentes de respectivement 2,225 MdF et 3,5 MdF.

Ce n’est pas le tout d’emprunter, il faut qu’il y ait des prêteurs. En fait, la France était riche et avait pu accumuler de considérables réserves d’or, de l’ordre de 6 MdF lors du Second empire. Son commerce extérieur avait dégagé des excédents, qui se sont accrus au début des années 1870. Elle disposait donc de créances importantes sur le reste du monde qui l’ont aidée à lever les emprunts nécessaires ou de les monétiser pour le paiement à l’Allemagne.

 

Comparaison avec 1919

Le montant était gigantesque mais rien à voir avec ce qui a été demandé à l’Allemagne suite à sa défaite de 1918. Par les accords de Versailles de 1919 et suite aux travaux de la commission des réparations qui en précise les termes en 1921, l’Allemagne était censée acquitter 132 milliards de mark-or, soit 250 % de son revenu national de 1913, avant la guerre, et 350 % de celui de 1919, dans un pays ruiné entre temps. Et le taux d’intérêt était à peine plus gentil que celui subi par la France en 1971 : 4 %.

C’était clairement déraisonnable. Les dirigeants de l’immédiat après-guerre, dont Millerand et Aristide Briand, étaient bien conscients de la bourde commise. Mais il était impossible à l’époque de revenir en arrière : il faut lire « Député de Paris », le livre-mémoire de Léon Daudet, fils d’Alphonse Daudet, lui aussi écrivain, mais également monarchiste et membre d’Action Française, rentré à la Chambre dite « bleu horizon », pour mesurer le sentiment et la crainte antiallemandes qui prévalaient à l’époque.

Mais une différence majeure entre les deux épisodes a été la fermeture de fait du commerce extérieur avec l’Allemagne. La France a pu, après 1971, exporter massivement et donc importer de l’or ou accumuler des créances mobilisables pour le paiement de la dette, soit directement auprès de l’Allemagne, soit en collatéral ou remboursement des emprunts levés. On peut presque dire que l’obligation de rembourser la dette forçait la machine économique du pays à produire pour l’exportation.

L’Allemagne de 1921 n’a pas eu cette latitude, ce qui a provoqué l’énorme crise de 1923 et une crise politique dont la République de Weimar ne s’est jamais remise, malgré la restructuration de dette dont elle a bénéficié en 1932 et qui a finalement profité au régime hitlérien.

 

Et comparaison avec 1940

Vox-Fi en traite dans un billet : Financer l’effort de guerre allemand sous l’Occupation. Il n’y a pas eu d’indemnités de guerre à proprement parler exigées par l’Allemagne, simplement des frais d’occupation. Mais qui étaient exorbitants : le déficit public (contrepartie des versements à l’Allemagne) a atteint près de 60 % du revenu national, et probablement plus dans les premiers mois de 1944. Là encore, c’est par l’exportation que l’économie pouvait assumer ce coût, mais une exportation curieuse puisque le partenaire commercial unique était l’industrie militaire allemande qui sous-payait son partenaire.

Il faudrait qu’un historien fasse le bilan de ces trois guerres, pour voir si le solde au titre des réparations est en faveur de l’Allemagne ou de la France. (Je n’ai pas trouvé, sur la somme imposée à l’Allemagne en 1921, le montant qui a finalement été payé à la France. Si un des lecteurs de Vox-Fi a la réponse, bienvenue !)

 

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 09 juillet 2021.