Les leaders populistes et l’économie
L’étude monumentale intitulée Leaders populists and the economy, réalisée par trois chercheurs allemands [1] et publiée en 2021 sur Econstor (188 pages), suscite de nombreux commentaires dans les milieux politiques et économiques occidentaux. Les auteurs ont mesuré les conséquences économiques à long terme des politiques appliquées dans le monde par les gouvernements formés par des leaders populistes de gauche et de droite sur la période de 1900 à 2020. Ils définissent les mouvements populistes par trois caractéristiques : ils opposent le « peuple à l’élite » (fortunée et/ou diplômée) ; ils privilégient la réduction des inégalités socio-économiques (populisme de gauche) ou la protection des valeurs et des ressources nationales (populisme de droite), sur les équilibres budgétaire, commercial et financier ; enfin, ils s’efforcent de réformer les institutions (organisation des marchés, modes d’élection, rapports à la justice et à l’information).
Une méthodologie basée sur la randomisation
Les auteurs de l’étude ont classé les gouvernements de 60 pays dans les cinq continents, entre non-populistes (ou démocratiques) et populistes de gauche et de droite. Ils observent plus particulièrement 72 gouvernements partagés entre les deux tendances. Ils analysent les principales mesures prises par ces gouvernements à partir de 770 travaux de recherche, puis ils comparent leurs effets sur les indicateurs macroéconomiques (croissance, investissements, emploi, équilibre budgétaire, endettement public, balance commerciale…) des pays observés, à des horizons de respectivement 5, 10 et 15 ans. Ils comparent ces données à celles des mêmes indicateurs dans des pays comparables dirigés par des gouvernements non-populistes. Ils croisent également ces données avec des simulations de ces indicateurs dans l‘hypothèse où les pays observés auraient conservé un gouvernement non-populiste. Les auteurs se réfèrent principalement aux indicateurs officiels établis par l’OCDE et la Banque Mondiale.
Des constats sans appel
Les chercheurs allemands constatent une évolution des formes du populisme et une montée de ces mouvements dans le monde depuis les années 2000. Dans de nombreux pays, la partition traditionnelle entre partis de gauche et de droite s’efface au profit d’un clivage instable entre mouvements populistes et non populistes. Ils montrent que depuis 2018, à l’échelle mondiale, plus d’un quart des pays sont gouvernés par des leaders populistes, contre un huitième au cours des années 1930. Ils constatent que la longévité moyenne des gouvernements populistes est supérieure à celle des gouvernements non-populistes (5,5 ans contre 3,3 ans).
Les auteurs mettent surtout en lumière que depuis les années 1990, malgré l’hétérogénéité des données, 15 années après l’accès au pouvoir des leaders populistes, la croissance des PIB réels des pays concernés a perdu plus ou moins 1 % par an, d’une part, les dettes publiques rapportées au PIB se sont alourdies d’en moyenne 10 %, d’autre part, et enfin, les situations de l’emploi productif et des balances commerciales se sont dans l’ensemble détériorées. Les auteurs expliquent ces contre-performances (constatées dans tous les pays observés) par un enchainement récessif entre ralentissement de la croissance économique, recul des investissements productifs (notamment étrangers) et de la situation de l’emploi, affaiblissement de l’innovation et montée des défaillances d’entreprises, relance de la consommation mais poussée inflationniste et dégradation de la balance commerciale, renchérissement de la dette publique et dépréciation de la monnaie nationale (pouvant conduire à des banqueroutes), déstabilisation des marchés financiers.
Les auteurs nuancent ces constats en procédant à des études de cas ciblées portant sur les effets des politiques de 48 leaders populistes de gauche et de droite, dans 27 pays différents.
Cette ambitieuse étude a le mérite de montrer que les programmes politiques ne peuvent longtemps s’abstraire des fondamentaux de l’économie.
[1] Manuel Funke, Moritz Schularik et Christoph Trebesch, chercheurs dans les universités de Bonn, de Kiel et de Cologne.