Les lecteurs de Vox-Fi ont sans doute des avis divergents sur le bien-fondé d’un impôt sur la fortune. Voir les différents billets consacrés par Vox-Fi sur ce sujet, par exemple ici, ou , ou encore . Il y a par contre un accord probablement unanime pour penser qu’un tel impôt est moins efficace si on peut facilement faire passer son patrimoine d’un pays à l’autre. Le Quiévrain a vu passer vers le nord un certain nombre de gens venus de France qui à coup sûr se présentaient devant leurs enfants comme d’excellents citoyens.

 

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Si c’est possible d’un pays à l’autre, on imagine avec quelle facilité on peut le faire d’une région à l’autre. Ceci nous conduit vers l’Espagne qui a une curieuse histoire en matière d’ISF, appelé là-bas impuesto sobre el patrimonio ou IP. C’est le site espagnol Nada Gratis qui raconte cela dans un excellent post. Les leçons à en tirer pour cet espace politique en formation qu’est l’UE sont importantes.

 

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L’IP a été introduit en 1978 au retour de la démocratie. Le gouvernement socialiste de Zapatero l’a supprimé en 2008 en raison de son faible rendement fiscal, pour le rétablir en 2011 lors de la sévère crise de l’euro qui a fortement affecté l’Espagne. (Il touche en 2019 environ 200.000 contribuables pour une collecte de 1,3 Md €, assez faible au regard de l’ancien ISF français.)

Mais les temps avaient changé et les régions espagnoles avaient acquis une autonomie qu’elles n’avaient pas à l’origine. Chaque région s’est donc mise à fixer les taux de l’impôt et ceci avec des variations surprenantes. On en juge par le graphique qui suit. Ainsi Madrid a voté un abattement fiscal de 100%, alors que d’autres ont décidé d’abattements différents, voire pas d’abattements du tout. On va ainsi d’un taux marginal effectif maximal de 0,6 % (La Rioja) jusqu’à 3,75 % (Extremadura).

 

 

Que pensez-vous qu’il arriva ? Eh bien, au fil du temps, les gens ont relocalisé, par un moyen ou un autre, leur patrimoine à Madrid.

 

 

 

Cette région a ainsi vu un afflux de 10 % du nombre des assujettis à l’IP, et d’environ 5 % du montant même de l’impôt au détriment des autres régions. Comme le mouvement continue, le gouvernement espagnol semble décidé – mais le dossier est explosif –à revenir à une règle nationale unique.

L’IP n’est pas le seul en cause. La décentralisation politique croissante de l’État espagnol se manifeste dans d’autres domaines fiscaux : impôts sur les donations à titre gratuit ou onéreux, successions, transport, certains domaines de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. L’Andalousie, dont on a vu qu’elle avait un IP assez élevé, a adopté un régime particulièrement généreux s’agissant des successions.

On voit parfaitement le dilemme. La notion d’autonomie politique n’acquiert son plein sens que si elle autorise pour le moins un regard local sur la matière fiscale. Pas de taxation sans représentation, disait Hamilton. Mais les forces politiques locales sont aussi légitime à dire : pas de représentation sans décision sur la taxation.

Ce qu’illustre le cas espagnol est que ce second principe met insidieusement en place de terribles forces centrifuges qui, plus que miner l’idée d’un État central, conduisent à une course fiscale vers le bas qui affaiblit l’ensemble de la communauté politique et son économie.

L’Union européenne tente de faire le chemin inverse : partant d’une disparité fiscale très grande entre les États membres, rendre possible la mise en place d’un marché commun et d’une libre circulation des biens et services sans que cette disparité fasse éclater l’ensemble. Un regard sur l’Espagne plaide en faveur de compromis politiques sur l’harmonisation fiscale.

 

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