Les normes comptables, un facteur d’aggravation de la crise ?
Voir un patron de Big 4 en France publier un point de vue (« Normes comptables : la Commission ouvre enfin les yeux… » par Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France, Les Échos du 30 janvier) affirmer que les normes comptables sont « l’un des facteurs d’aggravation les plus visibles de la crise » et laisser entendre que ces normes s’identifient à « une application généralisée et indifférenciée du principe de valorisation à la fair value« , invite à la réflexion.
De nombreuses études et rapports ont été consacrés à la question du rôle des normes comptables dans la crise financière1. A notre connaissance, aucune ne fait un lien direct nous paraissant pouvoir justifier l’affirmation de Monsieur Decornoy, qui constitue la conclusion de son point de vue. Nous sommes donc partant pour un échange sur ce point de vue.
L’affirmation récurrente et erronée sur la généralisation de la fair value émane en général de journalistes ou de responsables qui n’ont peut-être pas le niveau de connaissance requis des normes comptables internationales, ce qui au demeurant illustre leur complexité, parfois leur contre intuitivité. Ces normes sont fondées sur un système de mesure mixte combinant la fair value et le coût historique amorti. A titre d’illustration, nos banques et compagnies d’assurances ont moins de 25 % de leurs actifs mesurés à la fair value, et moins de 10 % pour les sociétés non financières. Les écarts d’acquisition (« goodwills résiduels »), différences entre les prix d’acquisition et la juste valeur au moment de l’acquisition des actifs et passifs identifiables acquis, ne sont pas mesurés à chaque clôture à la fair value mais au plus haut de la fair value et de la valeur d’utilité, fonction des cashflows attendus par le management.
Le seul objet de ce billet est de s’interroger sur la position prise par Monsieur Decornoy, qui en tant que responsable de cabinet d’audit dont la principale mission est de s’assurer du respect des normes comptables s’appliquant aux sociétés cotées (Règlements européens), contribuant à introduire la confusion dans un débat déjà passablement embrouillé. Cela est d’autant plus dommageable que ce sont probablement les groupes français qui appliquent le mieux les normes comptables européennes, pour le plus grand bénéfice des investisseurs et des autres parties prenantes. C’est d’ailleurs plutôt au niveau de l’application effective de ces normes que se situe actuellement le débat, sans parler de grands pays où les normes IFRS ne sont toujours pas obligatoires pour les sociétés cotées ou ne le sont qu’avec des exemptions ou ne sont appliquées que sur option de l’émetteur.
1. Fair Value accounting is the wrong scapegoat for the crisis, Nicolas Véron, Bruegel Institute, June 2008
The Fair Value Controversy : Ignoring the Real Issue, EDHEC Business school, Nov 2008
US SEC, rapport au Congrès « Congressionnally-mandated Study says : Improve, do not suspend Fair Value Accounting Standards »- Press Release 2008-07, 30 décembre 2008
Financial Crisis Advisory Group, rapport à l’IASB et au FASB, juillet 2009
Federal Reserve Board de Boston « Fair Value accounting : Villain or Innocent Victim – Exploring the links between Fair Value accounting, Bank regulatory capital and the recent financial crisis »- Working Paper, January 2010
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Sur le même sujet :
- Évolution des normes IFRS – Un point sur la normalisation, par Philippe Danjou et Christophe Marion.
- Des comptes : pour qui ? Pour quoi ? Par Gilbert Gélard.
- Pour un régulateur comptable qui reste dans son rôle. Par François Meunier
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Vos réactions
Bonjour
Certes,pour les actifs classés en « trading » ou en « disponible à la vente », les variations de JV par résultat ou par OCI impactent le niveau des fonds propres réglementaires. C’est une décison des régulateurs prudentiels, pas de l’IASB. L’application de la JV quand il n’y a pas de marché liquide pour l’instrument financier a été clarifiée par le Board le 31/10/2008 (et ensuite incorporée dans IFRS 13) de facon à permettre d’utiliser, à la place de la valeur de marché (inactif), la valeur résultant de la mise en oeuvre d’un modèle économétrique. Un communiqué de la Commission européenne (5/11/2008) a confirmé que cette clarification répondait au souci des régulateurs.
Cordialement,
Philippe Danjou
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Comment pouvez-vous employer une expression telle que « cinq années après la crise »? la crise serait-elle ,selon vous ,terminée?
Les exigences en fonds propres ne dépendent pas des règles comptables , mais des règles prudentielles,même si certains parmi les banquiers ont plaisir à entretenir la confusion.
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Je félicite Philippe pour son exposé clair.
C’est aussi un message très fort que sa mise au point paraisse sur le site de l’IASB en français. Y-a-t-il une façon pluis convaincante de montrer le caractère singulier , pour ne pas dire bizarre , de certaines critiques françaises qui ont la vie dure? Il serait tout à fait superflu de faire paraitre un tel texte en allemand italien ou espagnol .Eux ont compris.
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Bonjour,
Pour ma part je partage pleinement l’opinion de M. Decornoy. Ma propre expérience, et celles partagées d’autres collègues directeurs comptables d’établissements de crédit, mettent en avant deux éléments fortement amplificateurs des variations de valeur des actifs financiers, tant en haut de cycle, qu’en phase de crise :
– des valorisations de justes valeurs infondées et trés suramplifiées (exemple : des titrisations de crédits immobiliers initiées en France, valorisées avec les seuls spreads disponibles durant la crise, ceux des tirisations de subprimes US)
– des variations de JV par résultat ou par OCI,impliquant des impacts lourds sur les résultats ou sur les exigences de fonds propres, tandis que plus de cinq années après la crise des marchés financiers, les pertes réelles se sont avérées trés sensiblement inférieures.
Bien cordialement
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A l’appui des commentaires de Jean Louis Mullenbach, je signale aux lecteurs que j’ai redige une note de mise au point, visant a rectifier un certain nombre d’idees fausses qui sont vehiculees sur la Place de Paris et reprises sans verification par la presse financiere.
Cette note a ete mise en ligne sur le site web de la Fondation IFRS:
http://www.ifrs.org
et j’espere qu’elle suscitera des reactions de la part des lecteurs avertis.
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