L’International Valuation Standard Council a lancé une consultation publique sur le « Proposed new international valuation standards », consultation qui s’achèvera le 3 septembre 2010.

Il s’agit d’un texte important pour les membres de la DFCG intéressés par les questions d’évaluation. A deux titres:

Pour l’avenir de l’IVSC dont la structure a été totalement rénovée il y a deux ans afin d’en faire un organisme de référence en matière d’évaluation. L’IVSC est présidé par Michel Prada dont la mission est de rendre cette institution incontournable auprès des régulateurs internationaux. Sous son impulsion, des progrès considérables ont été réalisés. L’IVSC est à présent un acteur reconnu par les normalisateurs comptables, les organisations de régulateurs et les responsables des principales institutions financières internationales. Une dynamique a été créée : l’IASB et le FASB devraient se reposer davantage sur l’IVSC pour l’émission de tous les standards d’évaluation dans le cadre de l’application des normes comptables. Le projet de normes qui est rendu public est donc une étape essentielle dans l’institutionnalisation de l’IVSC.

Pour l’avenir des marchés financiers : ces standards visent à « rendre claire et cohérente l’application internationale des normes de valorisation » pour reprendre l’appel lancé par le G20 lors du Sommet de Londres d’avril 2009 dans sa Déclaration sur le Renforcement du Système Financier.

Ces standards se présentent en trois parties :

1. General Standards : cette partie présente les grands principes applicables à toutes les évaluations (concepts principaux, principes, approches, fondements de la valeur, diligences, présentation des conclusions)

2. Application Standards : ils décrivent les différentes situations dans lesquelles des évaluations sont requises et précisent les spécificités des travaux à entreprendre dans chaque application (évaluation dans le cadre des IFRS, tests de dépréciation d’actifs, …)

3. Assets Standards : ils précisent quels sont les ajustements qui viennent en complément des standards d’application pour répondre aux spécificités des actifs à évaluer (Société, intangibles, immobilier, instruments financiers …)

Au fil de la lecture de ce texte, un certain nombre d’idées ou de positions peuvent être relevées :

• A la différence du prix, la valeur n’est pas un fait, mais l’estimation d’un prix auquel pourrait se conclure une transaction sur l’actif à évaluer (page 10, §3). La valeur est un prix hypothétique. Cette idée est évidente, mais encore faut-il le rappeler et en mesurer toutes les conséquences. L’évaluateur doit avoir une certaine humilité car reproduire les effets d’une négociation sur un marché n’est pas facile ! Il doit développer sa position en ayant conscience de toute la subjectivité (page 14, §21) qui s’attache à l’exercice, et l’honnêteté intellectuelle exige qu’il explique de manière détaillée son raisonnement, les hypothèses qu’il retient et les limites de ses conclusions.

• Les marchés ne sont pas parfaits et les intervenants du marché réagissent à ses imperfections. Malgré cette forte réserve (page 11, §9), le texte proposé repose très largement sur l’hypothèse d’efficience des marchés. Dans le même paragraphe, on lit en effet : « a valuation that has the objective of estimating a price in the market has to reflect the conditions in the relevant market on the valuation date, not an adjusted or smoothed price based on a supposed restoration of equilibrium ». Cette position contredit celle que les autorités avaient prise, notamment en France, à l’occasion de la clôture des comptes de l’exercice 2008. Le paradigme de l’efficience des marchés se retrouve lorsque l’on privilégie les approches de marché comme méthode d’évaluation (cf la hiérarchie des approches, page 16, §6). Cette vision des marchés pourrait faire l’objet de discussion (voir mon post sur « un nouveau paradigme financier pour mieux comprendre le fonctionnement des marché »).

• Les différents niveaux d’activité d’un marché sont une réponse aux mouvements de prix plutôt que la cause de ces mouvements de prix. Il s’agit là d’une idée très importante : les prix sur le marché financier ne se forment pas en fonction de la loi de l’offre et de la demande. Ils dépendent des flux de trésorerie futurs de l’entreprise (ajustés par le risque) tels qu’ils sont attendus par les investisseurs actuels ou potentiels (voir le livre « Expectations investing » de Rappaport et Mauboussin).

• A la différence des normes IFRS qui établissent une hiérarchie des données utilisées pour une évaluation, les IVS utilisent une hiérarchie des approches (page 16, §6) en privilégiant les observations directes sur un marché, puis une approche par les multiples, par les flux de trésorerie ou par les coûts. On a relevé plus haut le caractère discutable de cette approche qui privilégie la vision d’un marché supposé fiable. Il faut rappeler que dans une approche française (cf le rapport Naulot et la réglementation en matière d’expertise indépendante), le cours de bourse n’est pas une méthode d’évaluation, mais une référence.

• En cas d’utilisation de plusieurs approches, il convient de les pondérer et les « réconcilier » pour aboutir à une valeur finale (page 17, §8). Cette position assez traditionnelle dans le cadre d’évaluations immobilières n’est pas à l’abri des critiques des évaluateurs financiers. Si l’on obtient des valeurs différentes dans deux approches philosophiquement identiques (comme un multiple et un DCF) cela veut dire que l’on a utilisé des hypothèses différentes. L’évaluateur doit chercher à comprendre d’où vient l’incohérence plutôt que de conclure en pondérant les résultats obtenus d’une manière qui sera de toute façon totalement arbitraire. Par ailleurs, il est fréquent que l’évaluateur conclue sur une fourchette de valeur et non sur un seul chiffre.

• Les standards de valeur (« basis of value ») sont un concept familier dans le monde Anglo-saxons, mais ils sont moins répandus en France (ce qui entraîne souvent beaucoup de confusion dans les rapports d’évaluation). Définir le standard de valeur consiste à déterminer l’angle d’analyse fondamental que l’on choisit pour évaluer l’actif (nature de la transaction hypothétique, relations entre (et motivations des) parties, degré d’exposition de l’actif au marché …). Les IVS proposent 3 standards différents :
a) Market value : c’est celle qui découle d’un échange hypothétique sur un marché. C’est l’équivalent de la juste valeur des IFRS.
b) Investment value et Special value : on cherche ici à estimer les bénéfices que l’entité retire de la possession de l’actif. La valeur est spécifique à l’entité. Un bon exemple sera la valeur d’usage qui est l’une des valeurs utilisées pour le calcul de la valeur recouvrable dans les tests de dépréciation. Ce concept est étendu à un acheteur spécial (c’est le concept de « special value ») qui pourrait mettre en œuvre des synergies qui lui sont propres.
c) Fair Value ou juste valeur : c’est le prix qui serait raisonnablement accepté par deux parties dans l’échange. L’actif n’est pas forcément mis sur le marché (c’est-à-dire proposé à plusieurs acheteurs potentiels dans le cadre d’un processus de vente structuré) et le prix peut refléter les rapports de force dans la négociation. Cette approche était l’ancienne « investment value ». Le texte ne mentionne pas l’un des paramètres essentiels à prendre en compte : les synergies de l’acheteur.

• Dans un standard consacré au « valuation reporting », les IVS précisent quels sont les éléments que l’utilisateur de l’évaluation doit retrouver dans le rapport final. Un grand nombre de ces éléments sont habituels et les évaluateurs ne seront pas surpris de les retrouver ici. En revanche, il manque quelques informations qui sont essentielles : les études de sensibilité et les limites de l’exercice.

En ce qui concerne les deux autres parties du document (Application standards et Assets standards), leur contenu n’est pas révolutionnaire puisque les IVS se contentent de rappeler quelques règles spécifiques à d’autres standards ou normes et ne précisent la façon dont ils doivent être ajustés, le cas échéant.

Les IVS ont l’ambition d’être suivis par la majorité des évaluateurs dans le monde. Nul doute qu’en publiant des standards dans un fascicule de 125 pages téléchargeable sur Internet (au lieu du livre très épais et dense dans lequel étaient présentés les anciens standards), l’IVSC se donne les moyens de cette ambition.

Mais ces principes sont particulièrement « high level » et ne peuvent pas aider les praticiens dans leurs tâches quotidiennes. Ce sera au Board Professionnel de l’IVSC de préparer des « guidances notes » plus détaillées et pratiques. Plusieurs sont en cours d’élaboration (cash flow actualisés, approche par les coûts) ou ont déjà été publiées (évaluation des actifs intangibles).


Note: l’auteur de ces lignes est membre de l’International Professionnal Board, organe de l’IVSC qui n’a pas participé à l’élaboration des standards, élaboration qui est de la compétence exclusive du Standards Board, organe indépendant.