La loi de régulation bancaire et financière dont le projet avait été déposé le 16 décembre 2009 sur le bureau de l’Assemblée Nationale, a été votée le 11 octobre 2010 et promulguée au journal officiel du 23 octobre. Il modifie le régime des offres publiques et celui de l’action de concert avec pour finalité annoncée la protection des actionnaires et la prévention des prises de contrôle «rampantes». Nous en résumons les principales dispositions.
I – Le périmètre des titres pris en considération dans le calcul du franchissement du seuil de déclenchement de l’offre obligatoire
On se souvient que pour le calcul du seuil de déclenchement de l’offre publique obligatoire, le Code Monétaire et Financier ne visait jusque-là que les titres de capital et les droits de vote effectivement détenus et qu’il n’existait pas, pour le calcul de ce seuil, d’ « assimilations » comme le Code de Commerce le prévoit pour les déclarations de franchissement de seuils qui intègrent un périmètre plus large :
– les actions et droits de vote possédés par d’autres personnes pour le compte de cette personne ;
– les actions et droits de vote possédés par les sociétés que contrôle la personne concernée ;
– les actions et droits de vote possédés par un tiers avec qui cette personne agit de concert ;
– les actions et droits de vote déjà émis, qu’on est en droit d’acquérir à sa seule initiative, immédiatement ou à terme, en vertu d’un accord ou d’un instrument financier ;
les actions dont le détenteur a l’usufruit, mais dont il ne dispose pas des droits de vote ;
– les actions et droits de vote possédés par un tiers avec lequel le détenteur originel a conclu un accord de cession temporaire portant sur ces actions ou ces droits de vote ;
– les actions déposées auprès de la personne concernée, à condition que celle-ci puisse exercer les droits de vote qui leur sont attachés comme elle l’entend en l’absence d’instructions spécifiques des actionnaires ;
– les droits de vote que la personne concernée peut exercer librement en vertu d’une procuration en l’absence d’instruction spécifique des actionnaires.
Sont désormais visés pour le calcul du seuil de l’offre obligatoire, les mêmes éléments que ceux pris en compte pour le calcul des déclarations, sans aucune exclusion. Pour prévenir le risque de confusion et d’incertitude qui pourraient en résulter, le texte renvoie au règlement général de l’AMF le soin de fixer la liste des accords ou instruments financiers mentionnés au point 4, qui seront pris en compte pour la détermination du seuil. A cet égard, il faut noter que ne sont pris actuellement en compte, pour les déclarations, que les produit dérivés dénouables en titres et non ceux dénouables en espèces (cash settlement).

 

II – Le seuil de l’offre publique obligatoire
Le passage du seuil de l’offre publique obligatoire du tiers du capital ou des droits de vote à 30% a fait l’objet d’un vaste débat de place initié et préparé par l’AMF dans la mesure où la définition du seuil d’OPA relevait jusque-là de son règlement et non de la loi. Avec surprise, le Sénat a décidé d’introduire le nouveau seuil de 30% dans le texte même de la loi qui prévoit le cas général de la personne qui vient à franchir, seule ou de concert, directement ou indirectement, le seuil concerné : Article 433-3-I, 1er et 2e alinéa nouveaux du Code Monétaire et Financier :
« Le règlement général de l’Autorité des marchés financiers fixe les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale, actionnaire d’une société dont le siège social est établi en France, et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d’un Etat membre de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen, agissant seule ou de concert au sens de l’article L233-10 du Code de Commerce, venant à détenir, directement ou indirectement, plus des trois dixièmes du capital ou des droits de vote, ou détenant, directement ou indirectement, un nombre compris entre trois dixièmes et la moitié du capital ou des droits de vote et qui, en moins de douze mois consécutifs, augmente sa détention en capital ou en droits de vote d’au moins un cinquantième du capital ou des droits de vote de la société, est tenue d’en informer immédiatement l’Autorité des marchés financiers et de déposer un projet d’offre publique en vue d’acquérir une quantité déterminée des titres de la société. A défaut d’avoir procédé à ce dépôt, les titres détenus par cette personne au-delà des trois dixièmes ou au-delà de sa détention augmentée de la fraction d’un cinquantième susmentionné du capital ou des droits de vote sont privés de droit de vote. »
En ce qui concerne la « clause de grand père » destinée à traiter le cas des actionnaires qui détiennent actuellement entre le tiers et 30% du capital ou des droits de vote, il est prévu que l’ancien seuil du tiers continuera à s’appliquer pour les personnes détenant au 1er janvier 2010, directement ou indirectement, entre 30% et le tiers du capital ou des droits de vote d’une société cotée tant que cette participation demeure comprise entre ces deux seuils et dans les conditions fixées par le règlement général de l’AMF. Il ne reste à l’AMF qu’à fixer les conditions de « mobilité » entre ces deux seuils pour les personnes concernées.
Par souci d’harmonie, la loi a introduit un nouveau seuil déclaratif de franchissement à 30% du capital ou des droits de vote.
La loi a modifié également l’article visant le cas de la personne qui lance une offre publique sur une société détenant elle-même une participation supérieure à 30% dans une société qui constitue une part essentielle de ses actifs : l’initiateur de l’offre devra, dans ce cas là, déposer également une offre publique sur ladite société. Dans la rédaction, le critère de l’actif essentiel semble donc s’appliquer lorsque la prise de contrôle du holding s’effectue, en amont, par offre publique. La règle d’assimilation des seuils d’offre publique et des seuils déclaratifs pourrait avoir comme conséquence qu’une personne venant à prendre le contrôle, sans offre publique (par fusion …), d’un holding détenteur d’une participation de 30% dans une société française cotée, pourrait avoir à déposer une offre publique sur cette dernière société, même si ces 30% ne représentent pas une part essentielle des actifs du holding.
L’ensemble de ces dispositions entrera en vigueur trois mois après la promulgation de la loi, soit le 24 janvier 2011. Le seuil d’offre obligatoire, ainsi que la vitesse d’acquisition de 2% par an autorisée entre 30 et 50%, auront ainsi désormais force de loi.

 

III – L’action de concert
On se souvient du débat né à la suite des affaires Eiffage et Gecina (voir La Lettre Vernimmen.net n°65 de mai 2008).
Le Code de Commerce prévoyait jusque-là que sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir ou de céder des droits de vote pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société. Afin d’appréhender aussi les personnes qui agissent ensemble pour prendre – de manière rampante – le contrôle d’une société sans avoir forcément d’objectifs communs concernant la stratégie future de la société (par exemple, lorsque des « amis » aident celui qui veut prendre le contrôle par des moyens occultes en utilisant des produits dérivés), le texte de loi a complété l’article L233-10 du CC en prévoyant que sont également considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue de prendre simplement le contrôle. La notion de concert dispose ainsi de deux jambes : l’une stratégique, la volonté de mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ; l’autre purement tactique visant les moyens mis en œuvre par les personnes concernées pour conquérir le pouvoir et prendre le contrôle.
L’article L233-10 nouveau du CC se lit ainsi :
« I. Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société. »
IV – Les autres dispositions relatives aux offres publiques
Le prix de l’offre publique obligatoire :
Le prix de l’offre publique obligatoire doit désormais être au moins égal au prix le plus élevé payé par l’auteur de l’offre sur une période de 12 mois précédant le fait générateur de l’obligation de dépôt du projet d’offre publique, et non plus le seul dépôt de l’offre.
– L’offre publique de retrait en cas de fusion :
En cas de fusion d’une société contrôlée, l’offre publique de retrait s’applique désormais aux fusions entre mère et fille et aux fusions entre sociétés sœurs.
– La suppression de la garantie de cours :
La loi supprime la procédure de garantie de cours qui s’appliquait aux marchés réglementés mais aussi sur Alternext et qui imposait à l’acquéreur d’un bloc majoritaire d’offrir aux actionnaires minoritaires le même prix que celui payé au cédant du bloc. Dorénavant, l’acquéreur du bloc devra passer par la procédure d’une offre publique dont le prix est soumis à l’appréciation de l’AMF.
– L’offre publique obligatoire sur les marchés non règlementés :
Pour les marchés non règlementés, la personne qui gère ce marché, par exemple Alternext, pourra faire la demande auprès de l’AMF, d’appliquer la procédure d’offre obligatoire dont le fait générateur ici est le franchissement direct ou indirect du seuil de 50% du capital ou des droits de vote.
– L’offre publique de retrait et retrait obligatoire :
Les dispositions relatives aux offres publiques de retrait et au retrait obligatoire deviennent applicables aux instruments financiers négociés sur un marché non règlementé lorsque la personne qui gère ce marché en fait la demande auprès de l’AMF (par exemple, Alternext).