Les nouvelles normes extra-financières européennes : évolution ou révolution ?
Les nouvelles normes extra-financières publiées le 15 novembre 2022 par l’EFRAG[1] sont une avancée significative dans les pratiques des métiers du chiffre, mais marquent-elles également un tournant fondamental dans l’histoire de la comptabilité et du management des entreprises ?
L’EFRAG propose à la Commission européenne d’imposer un nouveau « reporting de durabilité » aux grandes entreprises et aux ETI. Leurs rapports comporteraient une centaine d’indicateurs répartis en quatre types de normes ESG (transversales, environnementales, sociales et de gouvernance) et 13 standards de soutenabilité (ESRS[2]). Alors que l’Union européenne s’était alignée sur les standards anglo-saxons de comptabilité financière (IFRS[3]), le référentiel extra-financier européen (CSRD[4]) se distinguerait des référentiels américain (RCRD[5]) et international (ISSB[6]). L’EFRAG préconise ainsi l’application de la double matérialité, à la fois financière et matérielle, des « impacts, risques et opportunités » résultant des activités des entreprises, alors que les référentiels anglo-saxons se limitent aux enjeux financiers. L’approche européenne comporte de multiples implications : Comment anticiper et mesurer les risques encourus par l’entreprise et son écosystème ? Comment identifier et classer les parties prenantes internes et externes incluses dans les chaînes de création de valeur des entreprises ? Comment cartographier les interactions entre l’entreprise et ses différentes parties prenantes ? Comment détecter et pondérer leurs impacts, risques et opportunités? Comment présenter avec concision leurs stratégies et leurs modèles d’affaires sans révéler certains projets ou secrets d’affaires ? Comment définir les rôles et les responsabilités des différents organes de gouvernance et de direction impliqués dans la réalisation des 17 objectifs développement durable (ODD) fixés par les accords de Paris en 2015 ? Comment assurer la traçabilité des sources et la validité des mesures des impacts globaux et spécifiques, positifs et négatifs, induits à court, moyen et long termes par les activités des entreprises et de leurs parties prenantes, dans les périmètres de leurs écosystèmes ? Quelle métrique adopter afin de rendre les indicateurs robustes et comparables ? Comment rendre le rapport compréhensible par les multiples acteurs et observateurs des activités des entreprises ? Comment rendre comparables les indicateurs entre les entreprises d’un même secteur et/ou d’un même territoire ? Comment pondérer, agréger et consolider tous les indicateurs au sein d’un même groupe ?
La rédaction des rapports de durabilité conformes aux CSRD, qui vont se substituer aux DPEF[7], soulève des problématiques dont la résolution exige de mobiliser à la fois des gestionnaires, des comptables, des financiers, des universitaires et des experts de diverses disciplines, dont la coordination relève de l’Impact, Risk and Opportunities (IRO) Management. Ce nouveau mode de pilotage stratégique et opérationnel de l’entreprise est encore dans sa phase d’apprentissage, car ses concepts et ses modèles ne sont pas tous stabilisés et sa mise en œuvre suscite des débats dans les milieux professionnels et scientifiques. Les analyses des DPEF des entreprises françaises réalisées notamment par l’Agence des Marchés Financiers et par les agences de notation extra-financières, montrent que les données des entreprises ne sont pas toujours suffisamment tracées, suivies dans le temps et comparables au sein d’un même secteur d’activité. Enfin et surtout, l’application des nouvelles normes CSRD devrait rendre publique la démarche de réflexion stratégique qui relevait jusqu’à présent des actionnaires et des dirigeants des entreprises. Cette transparence ne peut qu’entraîner la limitation du green and social washing et la révision de certains paradigmes fondateurs du management.
[1] European Financial Reporting Advisory Group
[2] European Sustainability Reporting Standards
[3] International Financial Reporting Standards
[4] Corporate Sustainability Reporting Directive
[5] Rule on Climate-Related Disclosure
[6] International Sustainability Standards Board
[7] Déclaration de Performance Extra-Financière