Les cotations du marché boursier français ont augmenté de 34 % entre janvier 2016 et janvier 2020, malgré les incertitudes suscitées par le Brexit et les tensions commerciales internationales. Les investisseurs et les dirigeants des sociétés cotées ont donc été d’autant plus surpris par les annonces officielles de la pandémie le 21 février 2021 puis du premier confinement le 17 mars 2021. Ils ont été encore plus désorientés par l’annonce suivante du Ministre de l’économie datée du 27 mars : « Toutes les entreprises qui auraient bénéficié de reports de charges sociales ou fiscales et qui auraient versé des dividendes se verront obligées de rembourser cette avance de trésorerie sur les charges sociales et fiscales avec une pénalité d’intérêt »… « Par ailleurs, en ce qui concerne les entreprises qui ont recours au chômage partiel, le gouvernement demande la plus grande modération quant au versement des dividendes ». Ce message a été relayé par plusieurs institutions comme la Banque Centrale européenne et le Medef.

Pour la première fois dans l’histoire boursière française, les conseils d’administration des sociétés cotées ont été invités par le gouvernement à choisir entre l’économie de marché et l’économie solidaire. Ils ont été confrontés à un dilemme : maintenir le dividende prévu avant l’annonce de la crise, réduire son montant ou l’annuler. Dans le premier cas, ils rémunèrent les actionnaires mais ils renoncent aux aides publiques et risquent de ternir leurs images d’entreprises citoyennes. Dans le troisième cas, ils risquent d’entraîner une dévalorisation de de l’entreprise dans la mesure où le capital n’est plus rémunéré. L’option intermédiaire semble être un bon compromis entre trois objectifs : continuer à servir l’actionnaire, ne pas renoncer aux aides publiques et préserver la trésorerie de l’entreprise. Dans les trois cas, les gouvernances des entreprises françaises n’ont pu adresser de signal clair au marché. Selon la théorie du signalling conçue par Akerlof et Ross, le sens et l’amplitude de la variation du montant du dividende d’un exercice à l’autre constituent en effet une promesse ou une alerte sur les perspectives de rentabilité de l’entreprise. L’injonction du 27 mars a donc brouillé le contenu informationnel du dividende. Son maintien assorti d’un abandon des aides publiques sont interprétables comme étant un signe de la bonne santé de l’entreprise ou une marque d’imprudence de la part de sa direction. La réduction ou l’annulation du dividende peut être perçue comme une mesure de prudence face à des perspectives incertaines ou comme la simple conformité à une mesure régalienne. Cette dernière a été jugée plutôt équitable par l’opinion publique dans la mesure où elle a contribué à faire peser le coût de la pandémie à la fois sur les salariés et les actionnaires, mais elle a été le plus souvent interprétée par les milieux industriels et financiers comme étant un excès d’interventionnisme de l’État sans équivalent dans les autres pays.

L’indice du SBF 120, qui regroupe les sociétés du CAC 40 et 80 sociétés des compartiments A et B d’Euronext, a chuté de 28 % entre le 21 février (date de la première annonce officielle de la pandémie) et le 27 mars 2020 (date de l’annonce du Ministre de l’économie) pour reprendre 16 % entre le 27 mars et le 4 juin. Ces variations montrent que la baisse consécutive à l’annonce de la pandémie a pu être partiellement compensée par l’effet de celle du 27 mars, et que l’intervention de l’État a été plutôt bien accueillie par le marché. Sur les 120 sociétés cotées du SBF 120, la plupart (54) ont annulé leurs dividendes, 18 les ont maintenus, 34 les ont abaissés et 14 les ont reportés ou ont retiré leurs titres de la cote. Dans les semaines qui ont suivi l’annonce du 27 mars, les annulations de dividendes ont entraîné, dans la plupart des cas, des variations de cours (à la baisse ou à la hausse) plus défavorables que les maintiens ou les réductions de dividendes. En revanche, ces derniers n’ont pas ou peu pesé sur les cours boursiers. Il apparaît donc que la recommandation de l’État en faveur d’une gouvernance plus partenariale des entreprises ait dans l’ensemble porté ses fruits. Elle n’en a pas moins constitué un précédent inquiétant dans la mesure où elle a introduit une forme de néo-keynésianisme dans la finance de marché et où elle a remis en cause un de ses paradigmes fondateurs.