Shadow banking ou banque parallèle ou banque de l’ombre (on retiendra ici le terme anglais) sont des termes lâches pour désigner le secteur financier qui existe en dehors du périmètre de la réglementation, mais qui reproduit certaines des structures et fonctions de la banque. Vox-Fi présente ici un résumé, écrit par son auteur et paru dans Vox-EU le 16 janvier 2014, d’une remarquable étude : « The Roots of Shadow Banking », Policy Insight n°69, par Enrico Perotti.

D’une manière générale, le shadow banking désigne les activités financières qui font croître et décroître le crédit en dehors du périmètre réglementé. Il a un rôle essentiel dans l’explosion des crédits avant la crise et leur réduction. Bien que beaucoup réduit depuis 2008, sa taille dépassait encore en 2011 les actifs des banques aux États-Unis (voir graphique 1).

 

 

 

 

 

 

 

Qu’avons-nous appris depuis la crise sur ce secteur bancaire de l’ombre ?

Les banques acquièrent des actifs risqués illiquides, en les finançant à bon marché par de la dette exigible à la demande.

  • La plupart des investisseurs préfèrent des actifs sûrs, liquides et à court terme, de sorte que les banques peuvent lever des fonds à faible coût en promettant de la liquidité à la demande.
  • Cette promesse est rendue crédible par l’assurance-dépôts et l’accès au refinancement de la banque centrale.

La confiance mise en la liquidité immédiate permet que la dette exigible à court terme soit régulièrement refinancée, soutenant ainsi des prêts à long terme et avec fort levier. Comme le volume de crédit bancaire est limité par les ratios de capital et de dépôts, les marchés financiers ont pensé à de nouvelles façons de financer des actifs risqués avec du financement bon marché et à court terme. Le shadow banking exige ainsi qu’on puisse créer une variante de dette exigible à la demande, adossée de façon crédible à une garantie de liquidité.

La façon principale d’obtenir une telle garantie est d’émettre des titres financiers collatéralisés, c’est-à-dire adossés sur d’autres actifs financiers. Les prises en pension ou les dérivés de crédit sont de tels titres. Ainsi nait la source de financement très peu cher et à très court terme du shadow banking.

Comment ces engagements peuvent-ils offrir aux investisseurs une liquidité à la demande ?

La réponse est : en coupant la file d’attente des autres créanciers, c’est-à-dire en acquérant des droits supérieurs en cas de faillite. Gager des titres financiers (dans un crédit avec nantissement ou collatéralisé) donne accès à un financement d’autant plus facile et peu cher que l’Union européenne et les États-Unis ont récemment considérablement élargi le champ des actifs pouvant faire l’objet recours direct en cas de faillite. Ce qu’on appelle le « safe harbour », ou encore le « recours direct » sur les actifs. [Il était autrefois réservé aux titres d’État, NDLR.]

De façon décisive, les prêteurs dans une transaction de crédit ainsi sécurisé peuvent immédiatement reprendre possession et revendre les actifs nantis. Ils échappent ainsi à la plupart des restrictions de faillite telles que le défaut croisé, la compensation et les règles de préférences à la veille d’un défaut.

  • Ces privilèges assurent la liquidité immédiate à leurs détenteurs.
  • Malheureusement, ils le font en sapant la possibilité d’une liquidation ordonnée, qui est le fondement de toute loi sur les faillites.

Les conséquences sont devenues visibles lors du défaut de Lehman, quand son stock gigantesque de pension et de dérivés a été saisi et revendu en quelques heures. D’où l’onde de choc des multiples ventes à la casse de tous les actifs mis en gage dans les opérations de financement sécurisé, de la part de prêteurs qui se voyaient abrités par le « safe harbour ». Bien que ces prêteurs s’en soient sortis sans perte, leurs ventes à la casse ont renvoyé les pertes sur le reste des acteurs financiers, forçant les autorités à intervenir.

L’emprunt de titres pour générer du crédit sécurisé

En plus de croître grâce à la titrisation, le shadow banking peut aussi compter sur la liquidité d’actifs qu’il ne possède pas. Ceci par le mécanisme de l’emprunt de titres, en général auprès d’assureurs, de fonds de retraite et d’OPCVM. En échange, les propriétaires véritables touchent des commissions pour le prêt de ces actifs, leur permettant d’en doper le rendement. Ces titres empruntés sont ensuite mis en gage auprès de prêteurs en repo (nom donné aux fournisseurs de crédit assorti d’une garantie financière) ou bien apportés dans les appels de marge sur instruments dérivés.
Les plus expérimentés des gestionnaires d’actifs qui prêtent leurs titres de cette manière savent se protéger au moyen de swaps de collatéraux, c’est-à-dire en prenant en gage auprès de leurs emprunteurs des actifs de moindre liquidité. On parle ainsi de « chaînes de transformation du risque de liquidité », qui transforment des actifs illiquides en crédit à court terme et qui peuvent avoir des liens davantage en cascade.

La logique financière derrière cette chaîne de transformation du risque de liquidité est claire. Le nantissement de titres active la valeur de liquidité que recèlent les actifs détenus par des investisseurs à long terme qui n’en ont pas besoin. On peut voir dans ce mécanisme d’extraction de valeur de liquidité une meilleure « productivité financière ». Cela augmente en effet la liquidité des actifs et stimule la titrisation. Pourtant, ce peut être un avantage illusoire, accroissant la profondeur du marché en temps normal mais réduisant la liquidité en période de stress.

Les ruées bancaires via la hausse des décotes sur actifs

Une hausse décotes sur les actifs (ou haircuts en anglais), et éventuellement le refus de refinancer les prêts, produit la classique ruée bancaire. Comme l’emprunteur de titres ne peut plus lever suffisamment de financement sur base de ses actifs illiquides, il est forcé de se désendetter très rapidement sauf à tomber en faillite. Cela actionne les ventes à la casse.

De la même façon, les vendeurs de titres en repo, dès qu’ils ont saisi le collatéral, ont toute raison de le vendre au plus vite. Ils ne souffrent pas de moins-value tant que la chute de prix est inférieure à la décote. Et ils ne veulent pas, sachant parfaitement que d’autres acteurs sont en train de reprendre possession de leurs titres, être les derniers à vendre.

Tout ceci accélère de façon spectaculaire les ventes d’actifs qui à l’origine étaient pourtant destinés à être détenus à long terme. Et comme les banques centrales ne sont pas en charge des shadow banks, elles n’interviennent pas pour forcer ces établissements à cesser immédiatement leurs ventes à la casse et pour créer de la liquidité externe. Ceci complète l’analogie avec les ruées bancaires.


Le débat sur la clause de  recours direct sur actifs

Il est maintenant évident que les shadow banks ont besoin du privilège du recours direct pour être capable de répliquer l’activité bancaire. Il n’y a pas d’innovation financière qui puisse être aussi efficace que les droits privilégiés d’accès aux actifs nantis que donne la clause de recours direct. Les prêteurs non sécurisés s’en sont bien-sûr aperçus et demandent désormais eux aussi des nantissements, ce qui limite la capacité des banques à prêter et leur ôte de la flexibilité.

Beaucoup d’observateurs trouvent excessifs ces droits de super-priorité donnés aux prêteurs de titres et vendeurs de dérivés. Duffie and Skeel en font un excellent résumé dans un papier de 2012. Avec leurs mots :

« La clause de recours direct peut créer des coûts sociaux par cinq canaux : 1- elle réduit les incitations des contreparties à surveiller le risque de crédit ; 2- elle accroît les incitations des institutions à être « too big to fail » ; 3- elle encourage à ne plus recourir aux formes traditionnelles de financement ; 4- elle accroît l’impact sur le marché des ventes à la casse ; et 5- elle réduit les incitations des firmes en défaut à se déclarer en faillite en temps utile. »

On lira le papier en référence pour les solutions proposées par Perotti et d’autres pour limiter ces risques. NDLR


Cet article a été publié une première fois sur Vox-Fi le 18 février 2014.