Cet article est une reproduction d’un billet publié dans La Lettre Vernimmen de Juillet 2011, avec l’aimable autorisation de l’auteur.

 

1. Les investissements des sociétés sont financés sur fonds propres et par recours à l’endettement.

Cet « arbitrage » entre fonds propres et endettement s’avère en réalité davantage du ressort des associés – et non des sociétés qui investissent – sous réserve des contraintes juridiques en matière de capitaux propres bien sûr.

Or, c’est bien au niveau de ces sociétés – et non de leurs associés – qu’il s’agit dans un premier temps de déterminer la base imposable. D’où, parfois, un « débat de sourds » entre l’Administration fiscale et les sociétés accusées d’être « sous-capitalisés »… alors même que la décision d’augmenter leurs fonds propres ne leur appartient pas !

Ce débat a tourné court dans de très nombreux États1 par l’adoption de règles visant à lutter contre la « sous-capitalisation » et, pour ainsi dire, à définir une « orthodoxie fiscale » en matière de financement des « entreprises emprunteuses » lorsque l’actionnaire est, directement ou indirectement, également le « prêteur ».

Tel est l’objet de la réglementation fiscale française, qui vise à limiter non seulement le taux d’intérêt admissible fiscalement, mais encore le montant de l’endettement maximum entre sociétés d’un même groupe.

L’objet de cette courte synthèse est de rappeler de manière schématique les principales règles fiscales qui, en France, régissent la déduction des frais financiers2.

 

2. Il nous faut au préalable rappeler les enjeux fiscaux : quel avantage fiscal existe-t-il à arbitrer entre fonds propres et endettement ?

Car il faut bien admettre que, si l’arbitrage entre fonds propres et endettement peut obéir à des logiques purement financières (« augmenter la rentabilité des capitaux propres investis sans modifier, par définition, la rentabilité économique »3), en pratique les préoccupations fiscales sont rarement éloignées.

En effet, à la différence des dividendes, les intérêts sont généralement déductibles des résultats imposables. Au sein d’un groupe, il peut dès lors être opportun de rechercher une économie d’impôt procurée par la déduction des intérêts lorsque celle-ci est supérieure à l’impôt dû sur ces mêmes intérêts.

Tel est le cas, pour simplifier, lorsque le taux effectif d’imposition du prêteur est inférieur à celui de l’emprunteur, compte tenu de la législation fiscale à laquelle l’un et l’autre sont soumis.

Bien entendu, cette question trouve toute sa pertinence dans l’ordre international, les groupes ayant intérêt à « localiser » la dette dans les États où ils obtiendront un allègement maximal de leur charge fiscale, compte tenu de la fiscalité applicable localement et, corrélativement, à localiser leurs créances dans des États où les intérêts seront faiblement fiscalisés4.

Cette stratégie fiscale est d’autant plus aisée à mettre en place qu’elle ne touche pas, en principe, aux « opérations ». En pratique, sa mise en œuvre aboutit à endetter (ou « leverager ») des sociétés rentables, mais lourdement fiscalisées pour acquérir des actifs dont les rendements ne sont pas ou peu fiscalisés (par exemple, des titres de filiales dont les dividendes sont exonérés à hauteur de 95 % de leur montant).

 

3. C’est dans ce contexte que la loi fiscale française vient « encadrer » la déduction des intérêts servis aux associés ou aux entreprises liées, dont la portée varie selon la qualité des prêteurs.

S’agissant en premier lieu des prêts consentis par les associés5 de la société emprunteuse, sauf exceptions, la loi fiscale6 soumet leur déduction à deux séries de conditions :

  • en premier lieu, le capital social doit avoir été intégralement libéré. En pratique, toutefois, l’Administration fiscale n’applique pas cette règle en cas d’augmentation de capital si l’acte constatant l’opération prévoit expressément sa libération intégrale dans un délai maximal de trois ans (D. adm. 4 C 552 n° 4, à jour au 30 octobre 1997) ;
  • en second lieu, le taux d’intérêt ne doit pas excéder une limite représentée par le taux effectif moyen pratiqué par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans (TMP à taux variable, égal à 3,82 % pour 2010).

Toutefois, ce taux « plafond » autorisé peut être dépassé lorsque les intérêts rémunèrent des avances résultant d’opérations commerciales dans lesquelles les associés interviennent à titre de clients ou de fournisseurs ordinaires, ou bien  si la société emprunteuse apporte la preuve que le taux qui lui est appliqué par son associé prêteur, s’il s’agit d’une entreprise qui la contrôle, n’est pas plus élevé que le taux de marché (il s’agit en pratique du taux que l’entreprise liée emprunteuse aurait pu obtenir auprès d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues).

En cas de dépassement du « taux fiscal », la fraction excédentaire des intérêts versés est réintégrée dans les résultats imposables de l’entreprise emprunteuse, et considérée comme un « revenu réputé distribué » (ce qui, dans un cadre international, peut entraîner des frottements liés à des retenues à la source).

Enfin, l’article 212-I du CGI, issu de la Loi de finances pour 2006, a étendu l’application de ce taux plafond aux intérêts servis à toutes les « entreprises liées », ce qui suppose l’existence d’un contrôle, mais pas nécessairement dans le cadre de relations d’associés.

 

4. Les choses deviennent plus complexes lorsqu’on aborde la question non plus du « taux » mais du montant de l’endettement maximum autorisé au plan fiscal.

À cet égard, le dispositif instauré par la Loi de finances pour 2006 et codifié à l’article 212 du code général des impôts (« CGI ») est, selon les points de vue, un « petit bijou de complexité fiscale » ou bien un « monstre à trois têtes ».

Si l’objectif du législateur fiscal est compréhensible – clairement, il s’agit là encore de « protéger » la base imposable en France en limitant la déductibilité des frais financiers (« base érosion ») – sa mise en œuvre soulève des questions parfois complexes.

Schématiquement, le dispositif consiste à sanctionner les sociétés insuffisamment capitalisées, en réintégrant dans les résultats imposables une fraction des intérêts dus à des sociétés liées (et non plus auprès des seuls associés).

Ce dispositif, largement inspiré de législations étrangères, a connu un certain nombre d’évolutions depuis 2006, visant à renforcer l’efficacité des règles applicables.

La modification récente la plus remarquée a consisté à étendre le dispositif aux prêts contractés auprès d’un établissement de crédit dès lors qu’ils sont garantis par une société du groupe (cf. § 5. ci-dessous). On soulignera que cette mesure nouvelle s’est en outre appliquée pour la détermination des résultats des exercices clos dès le 31 décembre 2010, entraînant ainsi par sa rétroactivité de nombreux financements dans le champ du dispositif alors qu’ils étaient déjà bouclés.

4.1 Depuis le 1er janvier 2007, s’agissant de la fraction des intérêts compris dans la « limite en taux » visée ci-dessus, le texte rend non déductible la fraction des intérêts servis à des entreprises liées7 excédant la plus élevée de trois autres limites, sauf si cette fraction est inférieure à 150 000 €.

Sous réserve de certaines exceptions sectorielles (centrales de trésorerie, crédit bailleurs et banques) pour lesquelles le nouveau texte ne s’applique pas, ces limites, lorsqu’elles sont cumulativement franchies, qualifient une situation de « sous capitalisation » :

  • la première limite vise « l’endettement global », à savoir 150% des capitaux propres appréciés au choix de l’entreprise à la clôture ou à l’ouverture de l’exercice. Toutefois, l’entreprise peut substituer à cette limite celle de l’endettement global du groupe auquel elle appartient s’il est supérieur à son propre ratio d’endettement (situation assez rare en France d’après notre expérience). En pratique, il s’agit du « ratio » le plus simple à gérer dans la durée ;
  • la seconde limite dite de « couverture des intérêts par le résultat », correspond à 25 % du résultat courant avant impôt préalablement majoré de certains éléments dont les intérêts versés à des sociétés liées et les amortissements. Signalons que les amortissements dérogatoires et les provisions ne viennent pas majorer le résultat courant à prendre en compte ;
  • la dernière limite correspond aux intérêts reçus de sociétés liées. Elle vise le cas des entreprises intermédiaires qui empruntent pour prêter les mêmes sommes à d’autres sociétés du groupe : le dispositif ne s’applique qu’à raison de l’excédent des intérêts servis sur les intérêts reçus d’entreprises liées.

Les intérêts excédant la plus élevée de ces trois limites doivent être réintégrés fiscalement.

La perte de déduction fiscale n’est toutefois pas définitive : la fraction des intérêts non déductibles immédiatement (en « n ») peut en effet être « reportée » et déduite au titre de l’exercice suivant (« n+1 ») dans la limite du seuil de 25 % du résultat courant avant impôt corrigé, diminué du montant des intérêts admis en déduction au titre de cet exercice (« n+1 »). Le « stock d’intérêts différés » subit ensuite une décote annuelle de 5 % à compter de la 2ème année (en « n+2 »).

4.2. Sans qu’il soit ici question de rentrer dans les détails, soulignons que :

  • ces intérêts non déductibles ne sont pas considérés comme des « revenus réputés distribués», ce qui permet de simplifier les problématiques de retenues à la source mais s’oppose à l’application du régime des sociétés mères au niveau du bénéficiaire ;
  • un dispositif spécifique est prévu pour les sociétés fiscalement intégrées, qui sont soumises aux mêmes obligations de réintégrations dans leurs résultats individuels. Très schématiquement, le dispositif conduit en principe à neutraliser l’impact des versements d’intérêts entre sociétés membres du même groupe fiscal intégré « comme si » le groupe fiscal ne formait qu’une seule entité8, et c’est au niveau de la détermination du résultat d’ensemble que, sous certaines conditions, les réintégrations sont neutralisées en tout ou partie.

 

5. Afin essentiellement de lutter contre les situations de prêts « back-to-back », le périmètre du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation applicable aux prêts intra-groupe a récemment été étendu aux prêts consentis par une entreprise tierce mais garantis par une entreprise liée, à compter du 31 décembre 2010 (et non à compter du 1er janvier 2011 comme l’espéraient de nombreux commentateurs).

Sont ainsi assimilés à des intérêts servis à une entreprise liée directement ou indirectement, les intérêts qui rémunèrent des sommes mises à disposition dont le remboursement est garanti :

  • directement, par une sûreté accordée par une entreprise liée au débiteur ;
  • ou indirectement, par une entreprise dont l’engagement est lui-même garanti par une sûreté accordée par une entreprise liée au débiteur.

En l’absence de précision, toutes les sûretés personnelles comme réelles sont visées. Mais l’existence d’une telle garantie n’attrait pas systématiquement dans le champ du dispositif la totalité du prêt. Ainsi, lorsque le prêt n’est que partiellement garanti, seule la fraction du remboursement effectivement garantie entre dans le champ de la mesure.

Par ailleurs, en cas de sûreté réelle, pour toute la durée de la convention instituant la sûreté, la fraction du prêt réputée garantie sera égale au rapport entre la valeur du bien à la date où la sureté est constituée et le montant initial des sommes mises à disposition. Cette fraction garantie sera ainsi fixée une fois pour toutes au moment de la constitution de la sûreté, tant que les termes de la convention ne sont pas modifiés et quelles que soient les variations de la valeur du bien ou celle des sommes laissées à disposition.

Les intérêts correspondants au montant du prêt garanti seront pris en compte pour l’appréciation du ratio de 1,5 fois les capitaux propres (art. 212 II 1 a). En revanche, on observera qu’en sens inverse, pour la société garante, les intérêts versés par la société débitrice au titre du prêt garanti ne pourront pas être assimilés à des intérêts servis par une entreprise liée pour l’appréciation du critère relatif aux intérêts reçus de sociétés liées (art. 212 II 1 c).

Par exception, cette extension du dispositif ne s’applique pas aux sommes laissées ou mises à disposition :

  • à raison d’obligations émises dans le cadre d’une offre au public (Code mon et fin., article L 411-1), ou d’une réglementation étrangère équivalente ;
  • pour leur fraction dont le remboursement est exclusivement garanti par le nantissement des titres du débiteur, ou de créances sur ce débiteur ;
  • à la suite du remboursement d’une dette préalable, rendu obligatoire par la prise de contrôle du débiteur, dans la limite du capital remboursé et des intérêts échus à cette occasion.

Mais, on relèvera tout particulièrement que les prêts garantis par des titres d’une société détenant directement ou indirectement le débiteur échapperont également à la mesure sous réserve que le détenteur des titres et le débiteur soient membres du même groupe fiscal. En outre, on notera que cette nouvelle mesure anti-abus ne s’appliquera pas aux emprunts contractés antérieurement au 1er janvier 2011 à l’occasion d’une opération d’acquisition de titres ou de son refinancement.

En revanche, on ne peut que déplorer une application générale de la loi nouvelle, hors les exceptions expresses qu’elle prévoit, aux exercices clos à compter du 31 décembre 2010 et non plus du 1er janvier 2011 comme le législateur l’avait un temps envisagé (rendant le dispositif nouveau applicable aux financements autres que ceux liés à une acquisition de titres).

Pour la notion même d’entreprises liées, il est dans tous les cas fait référence aux dispositions de l’article 39-12 du CGI, qui vise les entreprises unies entre elles par un lien de dépendance9.

[tabs slidertype= »top tabs »][tabcontainer] [tabtext]1.[/tabtext] [tabtext]2.[/tabtext] [tabtext]3.[/tabtext] [tabtext]4.[/tabtext] [tabtext]5.[/tabtext] [tabtext]6.[/tabtext] [tabtext]7.[/tabtext] [tabtext]8.[/tabtext] [tabtext]9.[/tabtext] [/tabcontainer] [tabcontent] [tab]1.  Cf. notamment le paragraphe 168 du rapport OCDE de 1998 intitulé « concurrence fiscale dommageable, un problème mondial ».[/tab] [tab]2. Nous n’étudierons pas ici les règles spécifiques applicables lorsque la société emprunteuse est membre d’un groupe fiscal intégré, et nous nous contenterons du cas des sociétés non intégrées fiscalement.[/tab] [tab]3. Pour plus de détails, voir le chapitre 39 du Vernimmen 2011.[/tab] [tab]4. Tel est le cas, par exemple, de la Belgique où les sociétés peuvent prétendre à une « déduction notionnelle » calculée sur leur capital, ce qui atténue la charge fiscale sur les intérêts des prêts ou avances consenties.[/tab] [tab]5. Sont visés ici tous les associés quelle que soit leur qualité : personne physique ou morale, minoritaire ou non.[/tab] [tab]6. Article 39-1-3° du code général des impôts.[/tab] [tab]7. Les entreprises liées s’entendent de celles unies entre elles par un lien de dépendance au  sens de l’article 39-12 du CGI.[/tab] [tab]8. Pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2010 toutefois les prêts bancaires garantis par une société membre du groupe fiscal intégré posent problème, le mécanisme de neutralisation ne joue pas, ce qui limite l’intérêt de l’intégration fiscale.[/tab] [tab]9. Des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprise : (a) lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; (b) lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies au (a), sous le contrôle d’une même entreprise tierce.[/tab] [/tabcontent] [/tabs]