Tout gouvernement a bien envie de faire deux choix simultanés et très populaires : maintenir les impôts bas et augmenter les dépenses. Bien sûr, le résultat est une dette plus élevée. Ainsi, plusieurs pays ont tenté d’établir des règles pour empêcher les gouvernements de céder à cette tentation. Un défi immédiat pour de telles règles est qu’elles doivent faire preuve d’une certaine flexibilité : après tout, lier les mains du gouvernement pendant une pandémie ou une récession profonde ne semble pas très sensé. Un second défi est que le gouvernement d’aujourd’hui aimerait bien ne pas suivre la règle adoptée par le gouvernement d’hier.

Un groupe d’économistes du FMI décrit ces enjeux après avoir étudié une base de données de règles budgétaires dans plus de 120 pays dans « Garde-fous fiscaux contre la dette élevée » (Note de discussion du personnel du FMI, septembre 2025).

Le graphique qui suit montre l’augmentation du nombre de pays ayant une telle règle budgétaire depuis 1990. La tendance à la hausse a commencé dans les économies avancées, mais s’est depuis répandue.

 

Les auteurs décrivent comment ces règles budgétaires fonctionnent :

« Si les règles budgétaires antérieures étaient souvent trop rigides, les efforts pour y introduire une plus grande flexibilité ne se sont pas traduits par une meilleure application. […] Moins des deux tiers des pays respectent leurs règles de déficit en moyenne, avec une part plus faible pour les pays émergents et en développement. […] Dans la plupart des pays, la dette publique a dépassé les plafonds de la règle de dette d’une moyenne de 25 points de pourcentage du PIB. De tels écarts sont dus à la fois à des chocs sévères et aux dysfonctionnements dans la conception des règles budgétaires. Pendant les chocs sévères, l’ampleur des dépassements et le nombre de pays qui ne respectent pas ont augmenté. Mais même en temps normal, certains pays ont des déficits et des dettes dépassant régulièrement leurs limites, en partie à cause d’une surveillance fiscale limitée ou d’un manque d’ajustements fiscaux pour réduire la dette et les déficits. Ces dernières années, les ajustements fiscaux ont été limités, compliquant le retour aux limites des règles budgétaires. »

Choisir une règle budgétaire est la partie facile. Par exemple, un gouvernement peut spécifier qu’il équilibrera son budget annuellement, ou que la dette publique totale ne dépassera pas un certain ratio dette/PIB. La règle peut aussi offrir une certaine flexibilité en cas de pandémies et de récessions. La partie difficile est de savoir quoi faire quand la règle est en passe d’être violée ou qu’elle l’est déjà.

Pour aborder la partie la plus difficile, les auteurs mentionnent deux éléments utiles.

Premièrement, tout accord sur une règle fiscale doit aussi être un accord sur l’action corrective à entreprendre si la règle est contournée ou violée. Par exemple :

« L’Équateur et l’Espagne imposent des actions correctives quand les résultats fiscaux sont proches des limites des règles fiscales. Certains pays implémentent des déclencheurs progressifs avec des mesures correspondantes plus strictes. La République tchèque fixe des seuils sur les ratios dette/PIB, chacun impliquant des ajustements fiscaux plus importants s’ils sont déclenchés. […] En cas de déviations, de nombreuses règles fiscales exigent que des actions correctives soient implémentées dans un délai d’un an ou deux (Finlande, Espagne) après la violation, et parfois dans les trois ans (Grenade). Des mécanismes de correction plus stricts peuvent exiger qu’une action corrective soit incluse dans le prochain budget. […]

Certaines règles fiscales […] demandent de corriger entièrement les déviations cumulatives passées dans le mécanisme correctif. Par exemple, le mécanisme de la Suisse accumule toute déviation des dépenses budgétées dans un compte notionnel, exigeant du gouvernement qu’il prenne des mesures suffisantes pour ramener les dépenses dans la limite dans les trois prochains budgets annuels si le solde négatif du compte dépasse 6 % des dépenses. Les mécanismes en Allemagne, à Grenade et en Jamaïque exigent des actions correctives pour les déviations cumulatives. […]

La règle fiscale en Slovaquie impose un gel des salaires du secteur public si la dette dépasse 53 % du PIB, avec des coupes de dépenses supplémentaires si la dette dépasse 55 % du PIB. »

En bref, si votre règle fiscale proposée ne spécifie pas les conséquences d’une violation et le calendrier de ces conséquences, ce n’est pas une règle. Une autre façon de forcer au respect de la règle est de mettre en place des institutions qui peuvent créer une pression extérieure au gouvernement.

Par exemple, de nombreux pays publient un « Cadre budgétaire à moyen terme » qui cherche à obtenir un large accord sur les décisions budgétaires avant d’entrer dans les détails. Les économistes du FMI écrivent :

Le Cadre budgétaire fixe des limites descendantes sur les dépenses de l’État et sur l’équilibre budgétaire, guidant le processus budgétaire annuel. Ce rapport doit présenter la stratégie budgétaire, les projections macro-fiscales à moyen terme, les mesures pour atteindre les objectifs budgétaires et l’évaluation des risques. Le Cadre budgétaire doit être préparé et publié avant le budget, incorporant des plafonds pluriannuels pour les agrégats, qui peuvent aussi être désagrégés en cadres sectoriels ou programmatiques (par exemple, France, Rwanda, Afrique du Sud, Suède) pour faciliter la traduction des objectifs en budgets annuels et priorités de dépenses. »

J’avoue que, dans le contexte du budget fédéral états-unien, qui semble être géré par une combinaison de résolutions continues ponctuées par un projet de loi omnibus occasionnel et attrape-tout, l’idée d’un accord sur un Cadre budgétaire semble très difficile. Mais plusieurs pays y arrivent. Une autre forme de pression extérieure consiste à avoir un « conseil fiscal » avec un degré d’indépendance opérationnelle, qui a le pouvoir de signaler si les règles fiscales sont menacées.

« La surveillance budgétaire peut prendre différentes formes institutionnelles, allant des comités budgétaires parlementaires et bureaux d’audit aux conseils fiscaux indépendants. Les conseils fiscaux peuvent fournir des évaluations techniques de la conformité aux règles fiscales et peuvent alerter sur les déviations en cours d’année. Leur expertise est critique pour évaluer les risques pesant sur les finances publiques et le réalisme des prévisions macro-fiscales. Les conseils fiscaux devraient avoir une communication directe avec les médias. Pour sécuriser leur indépendance opérationnelle, ils devraient avoir un mandat bien défini aligné avec leurs ressources, des garanties budgétaires et un accès opportun à l’information. »

Dans un contexte états-unien, l’idée d’un conseil fiscal ne semble pas non plus très réaliste. Le gouvernement a décidé dans les années 1930 que la Réserve fédérale aurait ses objectifs fixés par des lois dûment adoptées par le Congrès et signées par le président, mais resterait opérationnellement indépendante de la politique. Cet arrangement est maintenant sous défi politique, et un conseil fiscal indépendant responsable de la stratégie et des objectifs fiscaux semble encore moins plausible politiquement.

Encore une fois, on instaure facilement une règle budgétaire, mais plus difficilement les actions à mener si elle n’est pas observée, ainsi que les institutions crédibles qui plaideront pour des actions correctives s’il le faut.