Les responsables comptables et financiers au cœur d’une gouvernance plus vertueuse
Peut-on parler d’éthique des affaires quand les affaires, qui font les unes de la presse, s’avèrent parfois bien peu éthiques ? Bien sûr, et c’est précisément pour cela qu’on peut et qu’on doit en parler. On cite volontiers sur ce sujet les multinationales fortement structurées et hiérarchisées où l’intérêt supérieur du groupe laisserait peu de place à l’éthique individuelle. Mais que dire des TPE et des PME où l’intérêt du propriétaire et les questions fiscales peuvent primer, ou des entreprises publiques sujettes à la « raison d’Etat », ou encore de l’Administration elle-même qui est encore moins à l’abri en raison du poids des impératifs politiques ?
Derrière cette éthique ou cette absence d’éthique, on trouve des individus qui interagissent les uns vis-à-vis des autres et de leur environnement. Les professionnels comptables et financiers, qu’ils soient salariés ou libéraux, font partie d’une chaîne fiduciaire de sécurité de l’information financière indispensable au bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques. La solidité d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible. La chaîne de l’information financière comprend les entreprises et leurs conseils, les contrôleurs et les régulateurs. C’est incontestablement l’entreprise qui en est le maillon le plus faible, même si toute entreprise ou tout salarié sont supposés être respectueux des lois, règlements et normes en matière comptable, fiscale et financière.
L’entreprise est, en effet, soumise à des pressions exercées par ses actionnaires, ses banquiers, ses clients, son environnement, y compris le marché financier si elle y fait appel. Ces pressions et ces contraintes peuvent pousser les dirigeants à la faute, par exemple en produisant une information comptable et financière trompeuse et en s’appuyant sur le lien hiérarchique pour imposer silence aux salariés impliqués dans le processus de production de cette information.
Le professionnel comptable d’entreprise, pour ne parler que de lui, se trouve bien seul lorsque le dirigeant ou son supérieur hiérarchique lui demande, directement ou indirectement, de laisser passer des enregistrements comptables ou des publications dont il estime le contenu critiquable au regard de la réglementation applicable.
Comme tout salarié, ce professionnel d’entreprise est tenu, envers son employeur, par loyauté, obéissance et obligation de confidentialité. Pour autant, il peut être mis en cause, même pénalement, pour une simple complicité ou recel, éventuellement passifs. Comment peut-il, dans ces conditions, exercer ses responsabilités professionnelles au sein de l’entreprise et répondre aux attentes du public sans risquer de se mettre en danger personnel ?
Probablement pas en s’érigeant en gardien du temple ou en devenant un salarié plus ou moins protégé par une clause de conscience. Pour éviter le risque de « mouton noir », tout en protégeant sa responsabilité, il est préférable de s’insérer harmonieusement dans les processus et dans le système de valeurs de l’entreprise. Il ne s’agit pas de mettre le professionnel en opposition avec son employeur, mais plutôt en harmonie avec les valeurs affichées par l’entreprise (respect des législations, loyauté avec les partenaires, respect des collaborateurs…). D’une situation implicite, les codes de valeurs et les chartes éthiques deviennent de plus en plus formels et codifiés, notamment avec le développement de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Certaines, notamment les plus grandes, mettent en place des guides de bon comportement comptable et financier incluant un processus d’affirmation (à chaque niveau hiérarchique, le titulaire donne son appréciation, énumère les options qu’il a prises et s’engage sur les comptes), ainsi qu’un processus d’ « appel » au sein de l’entreprise : en cas de désaccord sur une option comptable ou sur une information pertinente omise, il est prévu « une escalade » au supérieur hiérarchique et une possibilité d’appel en cascade jusqu’au conseil d’administration.
Outre l’existence d’une fonction d’audit interne rattachée au plus haut niveau et d’un comité d’audit indépendant, le déploiement d’un système de contrôle interne efficace et connu de tous est la meilleure garantie de transparence de l’information financière produite. Des dispositifs, comme le double rattachement (rattachement hiérarchique au responsable opérationnel et rattachement fonctionnel à une direction centrale participant à la sélection, à l’évaluation, au plan de carrière et à la fixation de la rémunération du salarié), permettent de placer les professionnels comptables salariés dans des conditions normales d’exercice.
La coexistence d’un lien de subordination dans le fonctionnement de l’entreprise et d’une indépendance en matière technique ne nécessite pas l’émergence d’un statut de parasubordination comme il en existe en Italie. L’extraterritorialité de certains salariés, rapportant par exemple directement au comité d’audit, ou la clause de « whistle blowing » observée aux États-Unis, sont également des évolutions mettant en cause l’unicité de management.
Le professionnel salarié, doté d’une force de caractère et d’un bon sens de la communication peut faire une belle carrière dans l’entreprise en respectant l’éthique à condition :
– de choisir judicieusement son entreprise, notamment en étant attentif aux règles de gouvernance ;
– de travailler en équipe et de faire preuve d’écoute, pour partager et confronter son point de vue ;
– d’être compétent et responsable, pour savoir jusqu’où il peut aller ;
– d’être souple et pédagogue, pour proposer une alternative acceptable en cas de difficulté ;
– d’exercer son libre arbitre, au risque de devoir démissionner, lorsqu’il juge que son employeur franchit la ligne jaune.
Vos réactions
Merci pour cet article, mais j’ai une contradiction à apporter : vous affirmez que « C’est incontestablement l’entreprise qui en est le maillon le plus faible », je pense que vous faîtes preuve d’une généralisation hâtive, inopportune et injustifiée. Il y a chez les conseils et les régulateurs des désastres éthiques petits ou grands, publics ou occultes. Pensons à AA lors de l’affaire Enron : « Nous n’avions pas compris, mais nous ne voulions pas passer pour des imbéciles en levant le doigt, alors nous avons signé » ou encore au rôle de la SEC dans l’affaire Madoff. Plus proche de nous respirons l’odeur nauséabonde de l’entourage immédiat d’une riche héritière française. Ni l’éthique, ni l’indépendance ne se décrète, c’est exclusivement une affaire d’homme ou de femme. L’entreprise ne doit pas être désigné comme bouc émissaire.
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