Les systèmes de retraite par répartition accumulent des droits à retraite sur la durée d’activité du salarié. Ces retraites sont assises sur la masse salariale de l’économie dans les 10, 20 ou 40 ans à venir. Il s’agit donc d’une forme d’épargne longue.

En cette période d’intenses débats politiques à travers l’Europe sur le financement à long terme des retraites, regardons-la de plus près. L’actif sous-jacent, ce sont les salaires, c’est-à-dire l’état de l’économie à cet horizon. Si nous acceptons le fait empirique, étonnamment valide sur une très longue période, que les parts des salaires et des profits dans le PIB sont constantes, au-delà de fluctuations de moyenne période, l’actif sous-jacent peut tout aussi bien être défini comme les profits à cet horizon (à un facteur d’échelle près). Si nous admettons enfin – nous sommes dans la longue période, mais c’est le sujet qui le veut ! – que le multiple de capitalisation est globalement constant, l’actif sous-jacent évolue donc comme la « capitalisation » boursière globale de l’économie.

Une capitalisation certes particulière : elle prend en compte uniquement l’économie française (alors que celle de L’Oréal, par exemple, capitalise autant des profits français que des profits non français). Mais elle prend en compte toute l’économie française : les entreprises individuelles en font partie ! D’un point de vue patrimonial, les salariés français ont donc une part massive de leur épargne retraite investie dans ces « actions » françaises.

L’approximation est grossière, mais elle permet de faire deux ou trois remarques de bon sens. D’abord, le régime de répartition est loin d’être le système inefficace que certains dénoncent. Sa base de calcul a certaines bonnes propriétés, de stabilité, de mutualisation et de performance. Sous le strict angle financier, c’est un des seuls moyens d’investir dans du non coté, par exemple. Son coût de fonctionnement est faible : les employés de la CNAV n’ont pas les rémunérations des gérants de fonds, gavés au bonus tant à Paris qu’à Londres.

Ensuite, il n’est pas étonnant que les épargnants français aient une préférence accrue pour les placements monétaires ou immobiliers. Normal ! Ils sont surchargés de risque action et la prudence impose une diversification vers les autres actifs. À vrai dire, s’ils veulent du risque action, ils feraient bien d’acheter des actions étrangères. Un régime de répartition pour être efficace doit avoir la base la plus large possible, comme le savent bien a contrario les retraités de la SNCF, entreprise à la démographie déclinante, dont le régime spécial doit être épaulé par le régime général ou par les caisses de l’État. L’« entreprise France » est certes large, mais un peu de diversification internationale ne pourrait qu’aider.

Enfin, il ne faut pas s’étonner que ce soient les épargnants étrangers – les fameux fonds de pension – qui investissent dans le capital des entreprises françaises : comme on vient de le voir, les investisseurs nationaux les désertent, très rationnellement. Ce qui met le doigt sur un dernier aspect de notre régime de retraite : les salariés français achètent des « actions » mais sans les droits de vote qui normalement vont avec. Le résultat se lit dans la structure de capital des entreprises du CAC 40 : les intérêts étrangers en ont désormais le contrôle ou presque. Un adossement du système de répartition à un autre, favorisant l’épargne en vraies actions, laisserait le contrôle du capital en France, créant l’empathie de proximité bien utile dans certaines situations de crise. Tout cela donne une leçon simple : en matière de retraite, comme en matière d’assurance, il faut di-ver-si-fier. Il n’est pas bon que le système français repose pour l’essentiel sur la répartition ; de même qu’il n’est pas bon que le système britannique ne repose que sur la capitalisation, comme la chute des marchés financiers en 2008 ou encore la chute récente de l’action BP l’ont mis en évidence. Le débat politique aujourd’hui en France se limite sagement à la seule question de l’âge de départ en retraite, problème d’une ampleur identique que le financement des retraites repose sur la répartition ou sur la capitalisation. Payer les retraites, c’est le nerf de la guerre. Mais il ne faut pas oublier la fonction de réduction du risque vieillesse que remplit tout système de retraite pour chaque individu. C’est un élément à ne pas laisser de côté.