Taxe sur les robots, une mesure vertueuse ?

Une taxe sur les robots serait doublement vertueuse, en freinant la substitution des humains par des robots. Un recours majeur à ces derniers pourrait diminuer le travail. Taxés, les robots verraient leur coût relatif augmenter au regard de celui du travail, ce qui pourrait en retour préserver, voire stimuler, l’emploi des humains. Et contribuer au financement de la protection sociale réduisant ainsi les prélèvements sociaux sur les salaires.

 

La désormais ancienne lutte entre le capital et le travail

Peut-on proclamer « la fin du travail », alors que la dialectique de la substitution du travail par le capital remontant aux débuts du capitalisme moderne, n’a cessé d’alimenter ces luttes ? En 1831, les Canuts de Lyon se révoltaient contre le progrès technique auquel recourraient les soyeux, pour moins rémunérer la main-d’œuvre. S’illustre ainsi la théorie économique classique, à laquelle Marx appartient, distinguant d’une part le capital, soucieux de productivité, en accroissant la production et abaissant le coût moyen produit, et d’autre part la force de travail, luttant pour sa rémunération.

 

La tentation de rendre la substitution du capital au travail vertueuse

 

Les robots en Asie

Le document du COR définit un robot et en distingue l’usage industriel de l’usage domestique. L’augmentation annuelle d’unités de robots industriels installés n’est pas linéaire, mais cependant estimée d’environ 13% dans les prochaines années. Avec de fortes disparités entre pays mesurées par le nombre d’équipements pour 10 000 employés. L’Asie est en tête : Singapour et la Corée du Sud l’emportent avec 800 machines, contre 338 en Allemagne et moins de la moitié en France. En Chine populaire, la proportion est voisine de celle de l’hexagone, pour une quantité absolue vingt fois plus grande.

 

Substitution imparfaite : les robots sont les plus nombreux là où les humains sont les plus efficaces

   

Les robots responsables ?

Une résolution du Parlement Européen de 2016 confère aux robots une « personnalité électronique » car capables de prendre des décisions autonomes. Certains juristes la comparent à celle des personnes morales. Ce n’est plus de la science-fiction, mais un terrain fertile aux débats philosophiques et aux joutes juridiques. La personnalité juridique des personnes morales, fort ancienne, n’est cependant pas toujours actionnée aisément. Et l’application des textes relève de juges que l’on espère … humains. Ces derniers peuvent considérer, comme pour un salarié, que bien qu’autonome, en suivant les instructions fournies, il n’est pas responsable.

 

Comment les taxer ?

Pour la littérature économique, le robot est un troisième facteur de production, entre capital et travail. En substitution parfaite entre robots et travail humain, l’assiette serait le « salaire fictif », d’un humain effectuant la même tâche. Mais le robot n’étant pas (pas encore ?) un contribuable, l’entreprise serait imposée. Le capital pourrait se trouver ainsi taxé deux fois. Sauf à considérer le « salaire fictif » du robot comme une charge pour l’entreprise. La dépréciation du robot ne serait alors pas déductible du profit de l’entreprise. D’autres hypothèses sont examinées, entre « robot capital » et « robot force de travail ». Si les robots augmentent l’assiette de taxation des profits de l’entreprise, la théorie de l’équilibre général invite à ne pas les taxer spécifiquement. Plutôt que taxer l’outil (le robot), Il est plus simple – et probablement fiscalement plus judicieux – de taxer les profits additionnels qu’il procure.

 

Les robots sont un capital comme un autre : il n’est pas toujours simple de les taxer

 

Économie ouverte

En économie ouverte, les robots sont souvent mobiles, il serait vain de les taxer. Cela rappelle les « GAFAM », quasiment dématérialisés, traitant d’égal à égal avec les états souverains. (Et Facebook voulant battre monnaie avec le Libra). La taxation des GAFAM est l’un des sujets les plus considérables de notre époque. La caractéristique de la monnaie depuis son époque scripturale et désormais électronique (et déjà crypto, donc hors champ régalien) fait qu’il est n’est pas aisé de taxer le capital en économie ouverte.

 

Rattacher les profits à un territoire, afin de les taxer

Taxer les profits est plus aisé, à condition de les rattacher à un territoire. C’est l’enjeu des mesures limitant l’optimisation fiscale. Taxer les travailleurs (y compris par des cotisations sociales), impose de rendre inopérante leur circulation professionnelle dans un cadre social extraterritorial. Comme éviter la concurrence sociale à l’intérieur de l’Union Européenne, par des lois sociales (et fiscales) harmonisées.

 

Travail substitué ou augmenté ?

Le robot est rarement un substitut parfait au travailleur humain. C’est dans les pays où la productivité de l’être humain est la plus élevée qu’on rencontre le plus de robots. Loin de toujours s’opposer, leur productivité respective peut se conjuguer. Donc travail substitué ou travail à effet augmenté ?

 

Les robots deviennent autonomes, posant la question de la responsabilité

 

Responsabilité et personnalité juridique

Conférer au robot une « personnalité » juridique revient à décharger son détenteur, au moins en partie, de sa propre responsabilité. Le salarié humain, lui, voit rarement sa responsabilité engagée à l’égard de tiers, s’il respecte les instructions de son employeur. Si les juristes peuvent entrevoir un statut juridique pour le robot, les juges peuvent ne pas être dénués de pragmatisme économique. Ainsi, peut entrer en considération la responsabilité d’une partie non seulement responsable, mais aussi solvable.

 

Taxer les robots, c’est taxer le capital

Conférer la personnalité juridique à des robots peut en retour leur créer des droits : qu’il conviendrait alors de définir. La France compte parmi les pays, de plus en plus nombreux, sachant faire contribuer le capital à la protection sociale. C’est pour cela, peut-être, qu’en bonne logique, la rédactrice de la note du COR choisit de ne pas conclure sur la taxation des robots.

Enfin, le progrès technique ne manque jamais de surprendre : la tendance actuelle est celle non plus d’opposer, ou même de vraiment distinguer, entre l’homme et la machine. L’invention de l’être humain « bionique » n’est pas récente. Sa version actuelle, moins flamboyante, pose pourtant des questions aussi prosaïques que nombreuses.

La science-fiction, c’est connu, n’est pas avare de chimères, n’a pas encore imaginé un robot ayant cotisé, demandant à bénéficier d’une retraite. Mais la vraie limite à l’imagination de la science-fiction, c’est probablement le robot payant les impôts à votre place.

 

Points à retenir
  • Vertu apparente : freiner la substitution capital/travail et financer la protection sociale.
  • Conjonction : à robots main-d’œuvre efficace, robots performants.
  • Robot « intelligent », source de responsabilité. Pour qui ?
  • Taxer les robots, c’est taxer le capital. Qu’en est-il en économie ouverte ?
  • Un sujet de réflexion : l’intuition ne suffit pas, mais le sujet n’est pas abstrait.

 

Article reproduit avec l’aimable autorisation du Cercle des Épargnants : www.cercledesepargnants.com

 

Cet article a été publié dans le numéro 379 de finance&gestion. Il a initialement été publié sur Vox-Fi le 11 juin 2020.