Les transactions à haute fréquence ou une nouvelle illustration de la parabole du bon grain et de l’ivraie
Souvent connues par leur nom anglais de High Frequency Trading (HFT), les transactions à haute fréquence (THF) ont connu depuis le milieu des années 2000 un développement spectaculaire qui ne peut qu’attirer l’attention et la curiosité de l’honnête homme financier qu’est notre lecteur.
Le développement des THF qui portent principalement les actions, mais aussi les devises, les produits dérivés, est une évolution des pratiques de négociation et non une révolution. Il s’explique principalement par :
Les THF ne constituent pas en soi une stratégie de négociation, c’est un ensemble de moyens techniques utilisant les dernières avancées technologiques en matière d’accès aux marchés, de routage et d’exécution des ordres, mises en œuvre pour réaliser des stratégies de négociation classiques.
Les THF se caractérisent par la conjugaison des éléments suivants :
Les principales stratégies qui font appel aux THF sont :
Les techniques de THF, pour être mises en œuvre, nécessitent des moyens informatiques considérables se chiffrant en plusieurs dizaines de millions d’euros. C’est une course sans fin avec la vitesse de la lumière comme seule limite4, au point qu’un régulateur parle d’une « race to zero »5. Autrement dit, seules les plus grandes banques d’investissement, quelques brokers en parallèle de leurs activités de market marker (comme Getco par exemple), des hedges funds quantitatifs (Citadel…) ou des entités très spécialisées (Tradebot, Wolverine Trading, Renaissance Technologies…) ont les moyens financiers, techniques (et humains) nécessaires pour mettre en œuvre des techniques de THF.
L’écart entre le haut et le bas de la fourchette affichée permet au market marker de se rémunérer du risque qu’il prend de variations en sens contraire du prix d’un titre qu’il détient en attendant de pouvoir le revendre à un acheteur. Plus cette durée de détention est petite, plus l’écart de prix entre le haut et le bas de la fourchette peut être petit tout en donnant une rentabilité correcte au market marker car le risque est pris sur une courte période. Bien sûr l’opération unitaire est répétée à la queue leu leu tout au long de la journée.
Une fourchette resserrée permet au vendeur de vendre à un prix plus élevé ou à l’acheteur d’acheter à un prix plus faible qu’une fourchette plus large. Ils bénéficient donc de cette course à la vitesse qui n’est donc pas du domaine de la passion, mais de la rationalité.
Pourquoi passer tant d’ordres et en annuler aussitôt un aussi grand nombre ?
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Les travaux académiques sur l’utilité sociale du THF commencent à être assez nombreux (n’oublions pas que tout ceci est récent et qu’il faut du recul pour apprécier et pouvoir être publié). Ils concluent plutôt positivement, mais non sans réserve :
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Par contre, il est très inquiétant que, deux ans après le « flash crash » du 6 mai 2010, l’on ne comprenne toujours par pourquoi ce formidable coup de tonnerre dans un ciel bleu s’est produit et quel a été le rôle exact des THF dans son déclenchement. Le consensus (mou) est que les THF ne l’ont pas déclenché, mais qu’elles l’ont accéléré. En effet, des intervenants majeurs en THF se sont alors retirés du marché pour se protéger. Rappelons que ce jour-là, en 20 minutes, l’indice S&P500 a baissé de l’ordre de 9 % avant de se reprendre d’autant et que l’on a vu l’action Accenture passer de 40 $ à 0,1 $ et de celle de Sotheby’s décoller de 34 $ pour atteindre 99 999,99 $ ! Des ordinateurs avaient travaillé seuls illustrant, si besoin était, que la vitesse et l’automatisation poussées très loin sont clairement porteurs de risque systémique.
Depuis, d’autres dysfonctionnements de ce type, mais moins spectaculaires, ont pu être observés y compris très récemment sur l’action Apple ou BATS.
Si aller toujours plus vite était systématiquement la bonne réponse, il y aurait longtemps que les limitations de vitesse sur les routes auraient été abolies et jamais Air France ou British Airways n’auraient envoyé Concorde au musée.
Ayant sous-titré cet article « le bon grain et l’ivraie », notre lecteur ne sera pas surpris de nous voir faire le tri entre des techniques de THF qui nous paraissent avoir une utilité sociale : l’arbitrage, le market making, la spéculation et d’autres qui nous semblent nettement plus douteuses comme l’anticipation d’ordres ou des techniques spéculatives s’apparentant à la manipulation du marché.
De la même façon, il n’est pas normal que des intervenants en THF soient régulés (les banques par Bâle 2 puis 3 : ratios prudentiels, inspection des autorités de contrôle, tests externes des procédures…) alors que d’autres (les autres) y échappent pour une large part ou totalement.
Le bombardement d’ordres quasiment immédiatement annulés pour la quasi-totalité ensuite et la course à la co-localisation des ordinateurs à côté de ceux des places de marché donnent spontanément une impression négative des THF comme si elles étaient fondées sur la tricherie, la manipulation et la concurrence déloyale au détriment des autres intervenants de marché qui représentent, à défaut d’être encore la majorité des ordres passés, l’immense majorité des intervenants de marché.
A une époque où la cupidité, l’égoïsme, voire la malhonnêteté d’une poignée a jeté injustement le discrédit sur la vaste majorité des personnes travaillant dans le domaine financier ; à une époque où un candidat à la présidence de la République, ayant de sérieuses chances d’être élu, déclare que la finance est son adversaire, on ne peut plus permettre de laisser se développer sans réaction des techniques dont l’utilité collective est incertaine, que les régulateurs ne sont capables de contrôler que de très loin, faute de moyens, et qui font courir des risques mal mesurés mais potentiellement très élevés.
Heureusement, les autorités de marché semblent avoir pris la mesure du problème. En Europe, dans le cadre de la révision de la directive MIFID / MIF, tout acteur significatif en THF devrait être régulé et se voir imposé des contraintes de capitaux propres et de gestion des risques. Ceux qui jouent de facto un rôle de market markers devraient s’en voir imposer les règles. Les co-locations d’ordinateurs devraient être offertes à tout intervenant qui en fait la demande sur une base non discriminatoire, mais il y a des limites physiques… La notion d’abus de marché devrait être mieux définie et donc plus aisée à réprimer. Des arrêts de marché obligatoire en cas de variations trop fortes des cours ou de la volatilité pourraient être imposés.
Couplés avec les projets de taxation des transactions financières7, les THF devraient être mieux encadrées rendant le marché plus sûr au prix probable d’une efficacité moindre mais loin d’être rédhibitoire. Après tout, qui se plaint de ne plus pouvoir aller de Paris à New York en 3,5 heures comme au temps du Concorde ?
Et si l’on nous permet, pour terminer, un conseil à l’industrie des THF, ce serait celui de soigner sa communication externe actuellement inexistante car l’opacité et le culte du secret pour le secret ne sont plus de notre époque et ne peuvent que lui être défavorables.
(1) Pour plus d’informations sur la directive MIF / MIFID, voir La Lettre Vernimmen.net n° 63 de mars 2008
(2) Pour plus de détails sur les ETF, voir La Lettre Vernimmen.net n° 86 d’avril 2010 ou le chapitre 23 du Vernimmen 2012.
(3) Pour plus de détails sur le marché au hasard, voir le chapitre 17 du Vernimmen 2012.
(4) Et encore, si les récentes découvertes suisses et italiennes étaient confirmées, on pourrait encore aller plus vite.
(5) Andrew Holdane.
(6) Pour plus de détails sur les dark pools, voir la Lettre Vernimmen.net n° 71 de décembre 2008.
(7) Pour plus de détails, voir la Lettre Vernimmen.net n° 105 de février 2012.
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