L’European Association of Corporate Treasurers (EACT) a fédéré plus de 160 sociétés non financières européennes (dont Air France, Arcelor Mittal, Areva, EADS, EDF, Lafarge, PPR, Sanofi-Aventis et Vinci) afin de cosigner une lettre adressée aux Commissaires européens leur demandant instamment de revoir les propositions émises dans le cadre de la réforme des marchés de dérivés : « Cette nouvelle règlementation vise à forcer les entreprises à réaliser les transactions sur produits dérivés sur des marchés régulés et compensés et non plus de gré à gré. Les émetteurs rétorquent que cette loi augmenterait leurs coûts de transactions sur les dérivés et diminuerait leur cash-flow. » (L’Agefi, 07/01/2010)
Alors que la Commission européenne semble prêter une oreille attentive à l’EACT, parallèlement, de l’autre côté de l’Atlantique, Gary Gensler, le président de Commodity Futures Trading Commission (CFTC) américaine a demandé au Congrès de donner à la commission une plus grande autorité pour réglementer les contrats OTC, prônant des transactions sur des places boursières et une compensation.
Il peut être intéressant de rappeler quelques mécanismes techniques avant de proposer des éléments de réflexion.
Les opérations sur instruments financiers réalisées dans des marchés de gré à gré génèrent entre deux intervenants, un risque de contrepartie. Si l’un d’entre eux fait défaut et qu’il est débiteur du premier, ce dernier perd les gains spéculatifs ou de couvertures liées à la transaction.
Dans le cadre de fonctionnement des marchés dérivés, plusieurs mécanismes de couverture du risque de contrepartie ont été mis en place. Le dépôt de garantie auprès d’une entreprise de marché s’inscrit dans cette logique, qui couvre en principe le paiement de deux journées de perte maximale. Il est rémunéré sur la base d’un taux référencé sur le marché monétaire. Il est inscrit dans les livres de la chambre de compensation le jour de la conclusion du contrat.
La chambre de compensation des ordres sur les marchés dérivés procède à un appel de marge selon une fréquence fixée lorsqu’un intervenant est en perte potentielle. Elle exige de ce dernier une augmentation du dépôt de garantie représentant environ deux jours de pertes maximales. Si l’appel sur marge n’est pas suivi, la chambre de compensation dénoue d’office la position et apure les pertes avec le dépôt de garantie (*).
Les événements de 2008-2009 impliquant AIG dans le marché des Credit Default Swap (CDS) pour plusieurs dizaines de milliards de dollars ont conduit les superviseurs et régulateurs à s’interroger sur le bien-fondé des mécanismes de fonctionnement de ces marchés « libres » dits de gré à gré et le recours systématique à des chambres de compensation dotées de fonds propres importants, organisant les appels de marge et la conservation de dépôt de garantie.
Les remèdes proposés par les autorités américaines paraissent avoir été accueillies favorablement par la Commission Européenne, suscitant l’ire des membres de l’EACT !
Parmi les griefs énoncés, citons en deux.
Les dépôts de garantie conservés par les chambres de compensation devraient être versés par les intervenants du marché. Il est donc clair qu’une problématique de financement existe et partant de fonds propres et de coût des opérations.
On comprend que les calculs conduisant à la valeur souhaitée d’un dépôt de garantie ne sont pas triviaux et que la gestion précise des appels de marge doit être automatisée. En conséquence, une chambre de compensation ne peut agréer que des produits standardisés afin de garantir l’égalité de traitement des acteurs du marché.
Après quelques faits, quelques réflexions.
La catastrophe connue sur la marché de CDS impose aux autorités de réagir sereinement et pour le bien du plus grand nombre, y compris les établissements non financiers à propos desquels il convient de rappeler que les engagements financiers de Lehmann envers ses clients ne seront pas ou peu honorés… alors que ces mêmes clients avaient dû mettre à disposition de Lehmann des dépôts de garantie pour réduire le risque de contrepartie de la banque !
  1. Les problématiques des preneurs de risques professionnels que sont les départements d’investissement des institutions financières diffèrent de celles des grandes entreprises industrielles et commerciales qui ne correspondent pas à celles des PME.
  1. Des associations telle que l’Association Bancaire Européenne, ont introduit, pour les interventions sur des marchés non régulés par une instance publique une convention-cadre relative aux opérations sur instruments financiers « permettant aux parties de documenter des opérations de pension et de prêts de titres aussi bien que des opérations sur instruments financiers à terme conclues de gré à gré et des opérations de change. En réunissant l’ensemble de leurs opérations sous un même cadre contractuel, les parties peuvent convenir d’une série unique d’événements ou de circonstances clairement définis afférents à une partie dont la survenance peut entraîner la résiliation anticipée de toutes les opérations en cours entre les parties, évitant ainsi la situation où un événement ou une circonstance donnée peut entraîner la résiliation de certaines opérations entre les parties mais pas la résiliation de toutes les opérations conclues entre elles. En combinant en un solde unique compensé les soldes de résiliation afférents à toutes les opérations en cours résiliées de façon anticipée, la possibilité de réduire le risque de crédit (et par la même les exigences de fonds propres) grâce à la compensation est ainsi optimisée. Autre avantage, et non des moindres, les parties ont la possibilité de calculer sur une base nette les appels de marge au titre de toutes les opérations en cours conclues entre elles. Quand les exigences opérationnelles pour procéder à un tel calcul ne sont pas encore en place au sein des institutions contreparties utilisant l’Euro Master, des dispositions particulières contiennent des stipulations permettant aux parties de choisir les lieux de domiciliation des opérations ou les sous-ensembles d’opérations à inclure dans les accords contractuels relatifs à la gestion des marges. »
  1. Compte tenu de l’importance des volumes traités en trading par les organismes financiers, l’imprécision du calcul des appels de marge évoquée plus haut laisse non couverts des montants systémiquement significatifs. La mise en place d’une forme de standardisation des contrats et de leur compensation doit venir compléter les dispositifs existants.
  1. Les grandes entreprises ont recours depuis longtemps au contrats-cadres existant et on peut penser que la diminution du risque liée au recours à des chambres de compensation ne compenserait pas la facilité perdue des contrats « cousus main » encadrés par une convention de place.
  1. La norme IAS 39 demandant la preuve mathématique d’efficacité de couverture, on peut craindre, avec des contrats standardisés, le non-respect des critères et donc la qualification d’opérations de couverture économique en transactions spéculatives !
  1. Les contrats-cadre ne sont pas utilisés pour les PME qui ne peuvent souvent couvrir leur risque de marché qu’avec difficulté et pour des maturités réduites (en dehors des offres d’assurance « nationales » telles que Coface, ECGD, Exim…).

 

  1. Pour surmonter l’écueil actuel des PME qui réalisent des transactions dont les montants unitaires seraient trop souvent inférieurs à ceux retenus par les chambres de compensation actuelles, l’ouverture au sein de ces organismes d’un compartiment « Mid-cap » serait une avancée majeure dans la diminution de leurs risques de marché et de contreparties (les points d’imprécision s’appliquant au grandes entreprises deviendraient marginaux par rapport aux avantages procurés par la possibilité de réaliser une couverture).
Les corpus règlementaires mondiaux distinguent bien ce qui relève des établissements financiers de ce qui concerne les autres secteurs économiques. Pourquoi ne pas conserver cette distinction en matière de compensation ? Et pourquoi ne pas penser aux entreprises… qui n’ont pas de trésorier ?
(*) Vernimmen 2010, page 1107.